Regards sur l'éveil
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Posté
le: Di 3 octobre 2004 par joaquim
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Eveil
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J'ai posté, il y a quelques jours, un
message dans une rubrique concernant l'éveil où je témoigne d'"une
expérience":
Elle
est le "monde des phénomènes"
perçu comme un mouvement perpetuel, où même notre propre corps et nos
sensations y apparaissent comme une réalité "fuyante, glissante".
A la question "qui perçoit ?", on ne peut que répondre : c'est perçu !
Par le "sans nom", par la seule réalité qui ne soit pas soumise à ce
mouvement perpetuel.
Tout apparait riche d'une vie inépuisable et illimitée.
Cette conscience pure, LA conscience, est présente depuis toujours.
Elle est le témoin neutre d'un présent éternel et complet.
Elle est le centre vacant et impérturbable de la roue, l'"axis mundi".
Cette expérience pure de l'être est l'Expérience. On ne peut s'en
vanter car ce qui est "vantable" et "flattable" n'y a pas de réalité
absolue. D'ailleurs tout est relatif sauf cette conscience parfaite,
impersonnelle.
Elle est la source de "Je", là seul où est possible la paix éternelle.
Je n'avais pas intitulé ce passage "mon
expérience" car ce titre n'aurait pas reflété véritablement celle-ci.
Sans trop vouloir ni oser la nommer, je constate après coup que je
la reconnais dans les différents témoignages concernant l'éveil.
Bien entendu, j'ai auparavant lu quelques livres de spiritualité et
eu l'occasion d'écouter parler Arnaud Desjardins, Douglas Harding et
autres "éveillés" (pour utiliser le langage courant). Mais même si
leurs propos faisaient écho, je me contentais de les "comprendre".
L' expérience impersonnelle de l'absolu est tout autre chose que
cette comprehension. Toutes ces notions abstraites propres aux discours
des sages révèlent soudain leur réalité et leur limpidité extrême.
J'ajouterais que sur le moment la nouveauté de cette expérience procure
un état de grâce et de béatitude.
On réalise alors que ce à quoi on aspirait parfois hardament est
finalement notre nature profonde depuis toujours. Et là, même les
illusions qu'on associait à l'éveil s'évanouissent.
Il est vrai que l'expérience de l'éveil est LA révélation. Ceci dit
une question m'est apparue: "est-ce celà qu'on appelle l'"éveil" ?
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Lorsque l’on tente de partager le joyau
éclatant
qu‘on appelle l‘éveil, on réalise que ce qui a éclairé, réalisé la «
nature de Bouddha » en nous se heurte encore à bien des résistance chez
les autres. Finalement, il me semble que la même résistance qui les
empêche de se libérer, les rend hermétiques à ces tentatives de
partage. Dans une telle tentative, on est vite confronté à des
réactions violentes de la part de certains de nos interlocuteurs qui
parfois révèlent à l’occasion toute leur frustration et leur désordre
intérieur. Leur réaction « egoïque » a été une étape primordiale dans
ma « remise en phase » avec l’impermanence et la relativité du
manifesté:
Il est un temps pour la captivité et un temps pour la liberté.
Autrement dit, on n’apporte pas la maturité à un fruit vert en
l’arrachant de l’arbre ! La Libération de l’éveillé n’est pas tout à
fait abouti sans l’Amour du « devenir », sans quoi Il n’est pas encore
tout à fait « inconditionnel ». Ayant compris cela, le « don de la
lumière » est comparable à l’œuvre d’un jardinier qui surveille
amoureusement l’évolution de ses fleurs au fil des saisons en y
apportant tout juste ce qu’il faut d’eau pour ne pas qu’elle se
dessèchent et tout juste ce qu’il faut d’eau pour ne pas qu’elles se
noient. Alors, l’éveil n’est plus « là où il faut absolument être ».
La peur de perdre l’éveil (sujet qui a déjà était abordé dans ce
forum) est la peur de voir réapparaître le « malin » au détour d’un
buisson. Il m’est apparu que ce doute est un reste d’appréhension et de
refus de l’être (un reste d‘ego) ; mon apprivoisement de « la colombe
du saint-esprit » est passé par un lâcher-prise total vis-à-vis de
l’ego: il ne sera plus craint ni chassé, mais accepté dans sa nature
divine et transitoire. L’ego m’apparaît comme la coquille de l’œuf qui
permet au poussin de se former et se préparer à sa libération. Rien est
déchet ! De cette réconciliation avec l’ego est naît une réconciliation
profonde avec le relatif qui était nécessaire à une paix « sans faille
». Alors la crainte de perdre l’éveil a laissée place à l’Amour du
relatif, au véritable Amour sans limite et sans prise de position. Car
l’Absolu m’apparaît aussi dans le relatif, dans le « devenir ».
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Lorsque "ma finitude à été
révélée à mon
infinitude", le monde du relatif n’avait plus la même saveur à mon
palais. Non pas qu’il m’ apparaissait insipide, mais je ne me sentais
plus "enivré", étourdi par lui. L’imperturbabilité du sans-nom me
dévoile le monde comme une sorte de danse éternelle dont l’ "enjeu"
dépasse finalement tout projet humain. Toutefois, je réalise que ce
détachement vis-à-vis de "ceux qui m’entourent" ne peut-être associé à
de l’indifférence. Libéré des résistances à l’égard de certaines de
leurs "particularités" (la notion de "défaut" n‘ayant à mes yeux pas
beaucoup de sens), j’ai le sentiment de pouvoir enfin véritablement
"PARDONNER". En fait, je ne sais pas vraiment si c’est la libération
qui me donne accès au pardon ou si c’est le pardon qui est
libérateur,…et puis quelle importance ? Mais un tel pardon ne se
contente pas d’être une simple réconciliation, il laisse libre cours à
une plus grande considération des autres. L’atténuation de mes maux me
rend plus "réceptif" aux maux de l’autre et à sa "singularité".
Le "non-jugement" (à ne pas confondre avec un "non-discernement")
me paraît être un excellent "véhicule" vers un lâcher-prise total. Il a
été, me semble-t-il, un des "éléments déclencheurs" pour ma part.
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Il me semble en effet que le véritable
Pardon
soit de l’ordre du Divin et qu’il nécessite l’effacement de nos
résistances humaines. Ce Pardon n’est pas un pardon « après coup »
s’adressant à un acte ou a une personne en particulier. Il est -même si
cela peut paraître choquant- la « tolérance absolue », l’Acceptation de
ce qui est, aussi « inacceptable » que l‘on puisse le qualifier. Il
n’est pas une grâce que l’on accorde à un moment donné. C’est un Pardon
inconditionnel, « intemporel » que seul permet une conscience
impersonnelle et libérée. Le Pardon n’est pas un acte que la Conscience
commet, Il est intrinsèque à Son essence. En somme pourrait-on dire que
notre nature profonde est aussi Pardon. Et ce Pardon semble élever le
relatif à sa dimension absolue. Par celui-ci, l’Absolu semble se
reconnaître dans tout. Plus que l’on puisse l‘exprimer, le véritable
Pardon est Union. |
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L’action non assujettie aux "hantises
égoïques"
est plus opportune, elle possède une plus grande justesse ; Elle n’est
plus en décalage avec ce qui est, elle s’en fait l’écho. Cette oeuvre
impersonnelle et "spontanée" est un "élan de vie", elle est à l'unisson
avec notre
nature profonde.
(...)
Cette
action ne se situe pas dans une conception
dualiste, manichéenne des choses. La "qualité" de cette action se situe
plutôt dans sa résonnance au monde, dans sa cohésion vis-à-vis du tout.
Selon cette "qualité", elle engendrera plus où moins d'harmonie ou de
trouble, plus ou moins de "remous". |
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Il me semble que le fait d’accepter « à
contre
coeur » une émotion nous conduit finalement à une superposition
d’émotions comme « la colère d’être en colère » et éventuellement « la
colère d’être en colère d’être en colère »… Cette mise en abîme me
semble mettre en évidence la façon dont fonctionne une prise de
position vis-à-vis de nos affects.
Lorsque nous « habitons » sans réserve ces vagues émotionnelles qui
naissent et meurent "en nous", il est fabuleux de constater qu’elles ne
souillent pas notre nature profonde, qu’elles ne laissent aucune trace
pour peu qu’on ne les retiennent pas. Une prise de position vis-à-vis
de nos émotions se situe à l’opposé d’un abandon sans condition à
l’Être ; elle accapare notre attention sur le caractère résolu de leur
émergence et nous "désaxe" de l'Instant vivant. |
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Il ne s’agit pas d’éradiquer le mental, il
est
un outil qu’il faut juste utiliser à bon escient, notamment pour
communiquer. C’est par l’identification à cet outil que naît
l’illusion. Certes, la conscience absolue « se situe » en deça des mots
et de l’identification. Il est par contre nécessaire de faire
intervenir le mental pour tenter d’exprimer tant bien que mal cette
réalité qui l’englobe, là est la subtilité. Témoigner du fait que la
conscience absolue n’est pas une expérience particulière de « je »,
mais que « je » suis
une expérience de la conscience absolue... et ceci, je dois le
mentaliser pour le dire. |
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L’éveil psychologique se situe sur un plan horizontal
alors que l’éveil spirituel se situe plutôt sur un plan vertical.
Autrement dit, l’éveil
psychologique
doit suivre tout un processus, un ensemble d’étapes nécessaires à la
réalisation progressive d’un objectif dans le temps.
Quant à l’éveil spirituel,
il révèle quelque chose de déjà complet et « épanoui ». Une plénitude
présente éternellement et qui apparaît soudain. A mon sens, cette
révélation ne passe pas par des degrés. Comme le dit Arnaud Desjardins
: « une ampoule ne peut pas être un peu allumée ou un peu éteinte ». De
plus, cette Réalité « cachée » ne peut être localisée dans le temps
dans la mesure où elle n’est pas une expérience à proprement parler :
elle les englobe toutes depuis toujours. En somme, concernant l’éveil
spirituel, rien n’est à « établir », Tout est à révéler.
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Car il s’agit de dévoiler ce qui est caché,
d’accepter ce qui est, sans concession. Il ne s’agit pas tant de
devenir parfait que d’accepter parfaitement son imperfection. L’éveil
m’est apparu comme une reconnaissance de mon incomplétude par ma
complétude (ou de ma complétude par mon incomplétude), une «
réconciliation entre le parfait et l’imparfait » : En d’autres termes,
le relatif ne disparaît pas, mais il apparaît dans toute sa relativité,
dans son caractère non-absolu. J’entends par là que le « Non-né » ne
dissout pas le Devenir, mais il l’illumine de Son éternité. Il ne se
fonde sur rien, il est le Fondement. L’objet
que vise la quête spirituelle est pure vacuité, pure « disponibilité à
l‘être ». Nul besoin de chercher à remplir quoi que ce soit : Le Vide
appelle le Plein.
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Comparons l’Éveil à la révélation d’un
Chant céleste. Cette Mélodie éternelle est présente depuis toujours,
mais nos oreilles ne s’y prêtaient pas. Lorsque ce Chant se fait enfin
entendre, celui qui écoute ne disparaît pas mais se révèle « danseur ».
Et cette Mélodie devient l’axe d'une Chorégraphie harmonieuse. Alors,
il se laisse emporter par cette harmonie divine, épousant son
mouvement, se fondant en Elle. Aussi, le mouvement du danseur se
perfectionne et devient de moins en moins chaotique. La Musique, quant
à elle, reste égale à elle-même aux oreilles affûtées du danseur,
éternelle et parfaite.
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Suite à la "causerie" de Stephen Jourdain
de ce
week-end, je viens partager avec vous cette étonnante rencontre ainsi
que mon regard sur ce personnage très éloigné de l'image stéréotypée
de"l'éveillé" :
J'utilise le terme "causerie" pour citer Stephen Jourdain qui
préfère amplement cette expression à celles que l'on utilise couramment
: "Est-ce que j'ai une gueule de conférence ou d'atelier ?" dit-il avec
un sourire espiègle. D'ailleurs, la parfaite informalité de ces propos
correspond bien à une causerie, aux confidences d'un vieil homme
intarissable ; "Steve" consacre la majeure partie de la matinée à
parler de son intéret pour les femmes, de sa nostalgie à l'égard des
gramophones, de sa passion pour Quick en s'arrêtant régulièrement pour
tirer une bouffée sur sa cigarette et boire une gorgée de Coca. De
temps en temps, la personne du 3e millénaire interroge Steve sur
l'éternel présent ou sur la souffrance comme pour recadrer les propos
du sage. Mais ce dernier oublie très vite la question et repart sur
cette étonnante flèche d'or qu'il apperçoit à travers la fenêtre et qui
désigne le ciel. Toutefois, il ne manque pas d'ajouter, comme pour
s'excuser de parler de tout sauf de l'éveil, que ces confidences de la
vie de tous les jours sont bien plus légères et moins pompeuses que les
grands discours métaphysiques, et que tout ce qui est humain est sacré.
Il enchaine alors sur les "archanges poétiques" qui habitent les traits
du parquet, les craquelures du trottoir, les lourds seins d'une
ancienne conquête, puis s'interrompt encore pour tirer une nouvelle
bouffée sur sa cigarette et boire une nouvelle gorgée de Coca. Les
propos plus pointus concernant l'éveil (terme qu'il affectionne assez
peu) se noyent entre deux anecdotes, entre deux "songes", dans un flot
de mots passant du coq à l'âne.
Le temps est ensoleillé ce week-end sur Paris. A l'heure du
déjeuner, après avoir acheté une quiche aux fromages dans la
boulangerie du bout de la rue, je reviens sur place. Stephen Jourdain
est dehors accompagné de sa charmante compagne Dahalia et de la
personne du 3e millénaire, un garçon très doux. Une chaise est libre,
Dahalia me propose de m'asseoir entre elle et Steve. On échange très
brièvement quelques mots sur "les fiançailles du Moi avec le Moi" avant
de nous extasier devant un arbre dont les racines noueuses écartèlent
le bitume, laissant surgir quelques minuscules brins d'herbes...
Stephen Jourdain est un personnage atypique et touchant ;
résolument anti-conformiste, il exprime les choses avec conviction et
passion, laissant régulièrement échapper un "merde" ou un "putain" avec
une humanité qui pourrait déranger. Son discours sur l'éveil, hors de
tout dogme, ressemble très peu à ce que l'on peut entendre d'habitude.
Loin de l'image lisse et sans faille communément attribuée aux
"éveillés", il exprime sans complexe sa colère, n'hésitant pas à
traiter de "cons" ceux qui ont mis en doute la sincérité de "son
expérience de l'éveil" lorsqu'il pleurait la perte de sa fille.
A la fois fragile et lumineux, il parle de
"Stephen" parfois avec
dérision, parfois avec un certain repenti à l'égard du mal qu'il a pû
faire à ces proches, mais toujours avec beaucoup de lucidité et de
tendresse tant pour "Steve" que pour ceux et ce qui l'entourent.
Petite anecdote : Au cours du repas à l'extérieur Stephen Jourdain,
en buvant sa canette de Coca, en renverse un peu sur sa cravatte et dit
: "Mon âme pour une paille !" ; ce à quoi un participant répond que ça
serait bien dommage ! Après un court silence, il murmure ceci : "Encore
qu'on pourrait s'interroger sur le rapprochement entre l'âme et la
paille... On souffle dedans et ça fait une bulle !".
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Je n'ai pas le sentiment d'avoir eu une
enfance
difficile. J'ai le sentiment d'avoir reçu tout l'amour qu'est en droit
d'espérer un enfant. J'ai été élevé par des parents catholiques sans
pour autant avoir l'impression que cette religion m'ait oppressé. Au
delà de l'aspect un peu rituel de celle-ci, certains textes que je
pouvais entendre à l'église m'ont conduit à plonger dans la découverte
passionnante des évangiles ; plus intéressé par sa symbolique que par
son aspect historique.
Toutefois, cette découverte me laissait sur ma faim, une aspiration
me poussait à en "savoir" plus. Ce qui m'a conduit à une démarche
spirituelle faite de lectures, de longues méditations et de rencontres
marquantes. Cette quête a été le centre de toute mon adolescence. Puis
les "obligations du quotidien" m'ont un peu détourné de cette ferveur.
Je gardais toutefois le sentiment que rien ne nous détournait vraiment
de l'évolution spirituelle.
Quelques années plus tard, la découverte d'internet m'a conduit
assez naturellement à orienté de nouveau mon attention sur la
spiritualité, et notamment... sur les forums. Un soir, au téléphone,
j'ai témoigné de cet enthousiasme à un proche qui partageait autrefois
cette ferveur spirituelle. Il semblait à présent totalement
désintéressé par cela : "La spiritualité n'a plus sa place à notre
époque, elle est totalement dépassée !". Cette affirmation fût un
véritable choc et provoqua un profond malaise. Comment ce en quoi je
croyais le plus pouvait ne plus avoir sa place aujourd'hui ? Cette
pensée était intolérable !
Animé par ce profond malaise, je plongea dans une intense
introspection. Il me fallait à tout prix résoudre ce "koan" : "Quel est
le coeur éternellement vivant de la spiritualité ? Qu'est-ce qui la
rend immortelle ?" Puis la réponse se révéla comme une parfaite
évidence, une évidence apaisante et salvatrice. 'JE SUIS' le coeur
éternellement vivant de la spiritualité. Mais il s'agissait alors d'un
'JE' impensable, abyssal, libre, éternel... et pourtant si familier.
A ce moment, je n'associais pas cela à l'éveil, mais cette
complétude absolue dans laquelle "je" sombrais fût radicalement
salutaire. Et tout ce que je viens de relater, "ma réalité historique",
est alors apparu illusoire...
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Dans le cadre d’un "regard sur l’éveil",
l’action me semble être un thème incontournable et d’une grande
richesse. A ce titre, je souhaiterais m’attarder sur un extrait de
l’interview d’Eckhart
Tolle dont waxou nous propose ce lien : http://www.wie.org/FR/j18/tolle.asp
Andrew Cohen : Si, donc, le
monde est une manifestation temporaire du réel, quelle est la relation
éveillée au monde ?
Eckhart Tolle : Pour la personne non éveillée, le monde est tout ce qui
existe. Il n'y a rien d'autre. Ce mode de conscience temporel
s'accroche au passé pour son identité et a un besoin désespéré du monde
pour son bonheur et sa plénitude. Le monde est donc source d'une
promesse énorme mais aussi d'une grande menace. C'est tout le dilemme
de la conscience non-éveillée : elle est tiraillée entre le besoin de
chercher une satisfaction dans et à travers le monde et le fait d'être
constamment menacée par celui-ci. Une personne espère se trouver
elle-même dans le monde mais en même temps, elle a aussi peur que le
monde ne la tue, comme il ne manquera pas de le faire. Voilà la
situation de conflit permanent auquel est condamnée la conscience non
éveillée, celle d'être déchirée en permanence entre le désir et la
peur. C'est un destin épouvantable.
La conscience éveillée est enracinée dans le non-manifesté et est
ultimement une avec lui. Elle se sait être cela. On pourrait presque
dire qu'il s'agit du non-manifesté regardant à l'extérieur. Même pour
une chose simple comme de percevoir visuellement une forme, comme une
fleur ou un arbre, si vous les percevez dans un état de grande
vigilance et d'immobilité profonde, libre du passé ou de l'avenir, à ce
moment-là, c'est le non-manifesté. A ce moment-là, vous n'êtes plus une
personne. Le non-manifesté se perçoit lui-même dans la forme. Et il y a
toujours une sensation de bonté dans une telle perception.
C'est de là que surgit tout action et celle-ci est alors d'une toute
autre qualité que l'action qui surgit de la conscience non-éveillée -
qui a besoin de quelque chose et cherche à se protéger. C'est de là que
surgit ces qualités intangibles et précieuses qu'on appelle amour, joie
et paix. Elles font corps avec le non-manifesté. Elles émergent de
cela. Un être humain qui vit en connexion avec cela et agit ou
interagit devient une bénédiction pour la planète, alors que la
personne non-éveillée pèse lourdement sur la planète. L'être
non-éveillé est lourd, et la planète souffre de millions d'êtres
non-éveillés. Le fardeau pour la planète est à la limite du
supportable. Je le ressens parfois, comme si la planète disait " assez,
ça suffit, pitié."
Eckhart Tolle met en exergue la souffrance et le déchirement que
provoque le "désespoir du mode de conscience temporel". L’éveil permet
une action d’une "autre qualité" ; libérée du "désir et de la peur",
d’une conception étriquée du monde. Cette approche de l’action n’est
pas sans rappeler les propos d’un certain Arnaud Desjardins
:
Cette prise de conscience est possible pour celui qui a la
détermination et l'acuité de regard nécessaires, à condition de
comprendre que vos actions s'insèrent toujours dans un ensemble,
l'ensemble de votre situation mentale et de la situation extérieure
dans laquelle vous vous trouvez. Cette situation concrète, ici et
maintenant, est votre meilleure garantie ou garde-fou contre les ordres
souterrains de l'inconscient. L'inconscient, lui, ne connaît que sa
propre loi et son propre monde. Il est à la source de la vision
déformée par laquelle on ne vit pas dans le monde mais dans son monde.
Seulement le monde, lui, est là. Et, si la buddhi est suffisante,
instant après instant, pour nous aider à revenir de notre monde au
monde, il est possible de cerner de manière indubitable ce
fonctionnement purement réactionnel qui ne mérite en aucun cas de
s'appeler « agir ». En se mesurant avec la réalité relative, il est
possible de voir comment des mécanismes tout-puissants qui ne tiennent
pas compte de cette réalité veulent s'imposer à vous. Et il existe une
possibilité effective de chitta shuddhi (purification de cette mémoire
inconsciente faite des vasanas et des samskaras) accomplie dans
l'existence simplement par la décision de faire ou, pour reprendre le
vocabulaire de Swâmiji, d'agir au lieu de réagir. C'est une lutte qui
peut, pendant des années, vous paraître presque totalement vouée à
l'échec. Et pourtant il y a une issue.
Le but, éveil ou libération, est la fin de quelque chose. Une façon
d'être - par conséquent une façon de voir l'existence et une façon de
concevoir l'action - disparaît et l'action fait place à ce que les
hindous et les bouddhistes appellent en anglais spontaneity . Mais nous
n'en sommes pas là immédiatement et le chemin nous montre d'abord notre
incapacité à faire. Les actions ne sont que des réactions, et Swâmiji
insistait: «Dont mistake reaction for action » : « ne prenez pas une
réaction pour une action». Par la connaissance de soi, vous découvrez
peu à peu, et c'est déjà très important, que vous n'agissez pas. C'est
une découverte, parce que les hommes vivent dans l'illusion d'agir :
des mécanismes tout-puissants sont à l'oeuvre en vous, je dis bien
tout-puissants, sur lesquels vous n'avez d'abord aucun pouvoir, qui ne
tiennent pas compte de la réalité relative du monde phénoménal, et qui
vous condamnent à vivre dans votre monde. Ces mécanismes suivent
implacablement et stupidement leur propre loi. Certains destins ont été
ravagés par ce genre de réactions et, vus du dehors, ils paraissent
n'avoir été qu'une suite d'erreurs qu'un observateur peu psychologue
jugerait évitables. L'observateur plus informé de la psychologie
comprendra que ces erreurs obéissaient à des lois mais elles n'en sont
pas moins douloureuses. Un premier aspect de la vision du réel, au
moins à un certain niveau, c'est celui de ce divorce poignant,
tragique, entre 1a plupart des existences et la réalité relative. II
consiste à voir, autour de soi, les autres, mus par leurs propres
mécanismes, aller de réactions en réactions au long d'une existence
faite de souffrances, menée dans ce qu'on appelle en Inde « avidya »,
la non-vision, donc qui ne pourra pas conduire à la grande vision, a
l'éveil, au dépassement de l'ego.
Extrait de A la recherche du Soi , volume 4 : "Tu es cela", Ed. de La
Table Ronde, Paris 1979 . (p 152)
Les propos d’Eckhart Tolle et d’Arnaud Desjardins décrivent une même
réalité. Le deuxième texte insiste plus sur la "mécanique" qui
conditionne ces "actions illusoires" qui se révèlent n’être que des
"réactions inconscientes".
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Douglas Harding : Vision sans tête
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J'aime beaucoup cette approche de l'éveil très
"prosaïque", voire "triviale" de Douglas Harding. Un sage dont j'ai eu
la chance de voir le rayonnement éblouissant lors d'une conférence à
Rouen :
« Le plus beau jour de ma vie –ma nouvelle naissance en quelque
sorte- fut le jour où je découvris que je n’avais pas de tête. Ceci
n’est pas un jeu de mots, une boutade pour susciter l’intérêt coûte que
coûte. Je l’entends tout à fait sérieusement : je n’ai pas de tête. Je
découvris instantanément que ce rien où aurait dû se trouver une tête,
n’était pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce
vide était très habité. C’était un vide énorme, rempli à profusion, un
vide qui faisait place à tout –au gazon, aux arbres, aux lointaines
collines ombragées et, bien au-delà d’elles, aux cimes enneigées
semblables à une rangées de nuages anguleux parcourant le bleu du ciel.
J’avais perdu une tête et gagné un monde.
Tout cela me coupait littéralement le souffle. Il me semblait
d’ailleurs que j’avais cessé de respirer, absorbé par
Ce-qui-m’était-donné : ce paysage superbe, intensément rayonnant dans
la clarté de l’air, solitaire sans soutien, mystérieusement suspendu
dans le vide, et (en cela résidait le vrai miracle, la merveille et le
ravissement) totalement exempt de « moi », indépendant de tout
observateur. Sa présence totale était mon absence totale de corps et
d’esprit »
-Douglas Harding "Vivre sans Tete" Edition Le Courier du Livre
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