Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté du 24 janvier 2007 au 16 février 2008 par Asche
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Pratique
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En ce qui concerne ma pratique, c'est plus
de
l'ordre d'une attitude du "regard" qu'une méthode précise. C'est un
état d'esprit, qui va et vient de manière plus ou moins contrôlée.
C'est de résider dans le vide du "je suis", de la conscience témoin.
J'aime aussi beaucoup faire de la lecture méditative ou encore écouter
divers enseignants sur youtube ou autre...
Pour
moi le vide du "je suis", c'est lorsque
l'attention est telle que tout semble extérieur à soi, même notre
corps, nos perceptions. Je ressens que "je" suis en creux, et que ce
creux est rempli du monde que je perçois. Ca me donne aussi la
sensation d'être un mouvement, une direction, du vide vers le plein.
D'un point de vue plus théorique, ça peut être compris comme la
dualité poussée dans son dernier retranchement, là où le "moi" n'est
plus qu'un "je" pour ainsi dire non-conceptuel. C'est ce que certains
maîtres appellent la "conscience témoin". |
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Depuis quelques semaines, je me baigne dans
mon
propre regard, je m'y étire, comme on s'étire le matin sous la couette.
Je m'y sens à mon aise, comme chez moi, au chaud dans le regard, dans
le champ de vision, et dans toutes mes perceptions, aussi étrange que
cela peut sembler. J'y apprend le non-effort, ou peut-être serait-il
plus juste de dire que je désapprend l'effort, en me laissant
simplement couler dans mes perceptions, et en laissant mes perceptions
se détendre au pied de l'être. Cela fait comme une caresse de tout mon
être.
Je
me questionne sur cette approche, qui
consiste à se fondre dans les perceptions, laisser son "sentiment
d'être" s'y dilater, s'y dissoudre. Cela n'est possible que lorsqu'il y
a acceptation de ce qui se présente aux sens et j'ai le sentiment ainsi
d'amadouer tranquillement "ce que je suis" ultimement. C'est un
désamorçage progressif, timide certes mais aisé à s'y abandonner. Ce
qui me laisse penser qu'il peut s'agir en quelque sorte d'une "voie
d'éveil" est que lorsqu'on se fond ainsi dans ses perceptions,
elles-même deviennent comme "joyeuses" et simples, délicates. C'est ce
que je voulais dire par "mes perceptions de détendent au pied de
l'être". |
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Je me rend compte douloureusement, ces
jours-ci,
que plus je vis une certaine ouverture, plus je me sens vulnérable en
société. Les relations de travail deviennent difficiles tellement je me
sens exposé, et en décalage avec mon entourage. Je peux constater cela
"en direct", si un soir je me sens vraiment bien, ouvert, l'esprit
serein lorsque je suis seul (je passe 100% de mon temps libre seul,
chez moi ou à me balader), le lendemain au travail est alors difficile
parce que je ressens chaque "mauvaise onde" émanant d'un collègue comme
un couteau. Ca me déstabilise beaucoup, alors du coup, je me referme,
et le jeu de l'égo reprend de plus bel. Plus je m'ouvre, plus je suis
confronté à la nécessité de me refermer si je ne veux pas annihiler ma
vie "dans le monde", qui est déja limitée au stricte minimum. |
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Lorsque je suis "Là" (ou plutot, lorsque je
ne
suis plus là) ou du moins lorsque le pressentiment est très fort, c'est
tellement simple, ça fait comme "Ah ! C'est ça, c'est seulement ça !
Trop facile, je ne pourrai plus le perdre !" Ca donne l'impression que
c'est acquis, tellement c'est simple à en pleurer... et cette
impression émane évidemment de l'ego, ce qui ruine tout. Alors la
recherche reprend. Pour moi, la recherche dure des jours ou des
semaines, ou des mois, puis pendant quelques minutes, ça revient, puis
ça repart...
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Oui,
j'ai "vécu" une expérience d'éveil (même si
c'est seulement plusieurs jours plus tard que j'ai compris ce qui
m'étais arrivé), que je n'ai pas su laisser s'exprimer librement et qui
a avorté après seulement quelques minutes : bref, je préfère faire
comme si rien ne s'était passé, mais je dois dire que le souvenir me
taraude
).. donc, un message qui me touche car tu exprimes ici de manière si
éminemment opérationelle ce qui ne relève d'aucune opération, et tu le
fais pourtant sans trahir la grâce, et cela donne l'espoir. Oui,
l'espoir est l'ennemi de l'ici-maintenant, et pourtant, c'est aussi lui
qui permet de persévérer plutot que de retourner à ses identifications
quotidiennes en se disant "j'y ai cru, j'étais naïf".
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La
présence qui consume "l'âme", c'est cela que
j'ai Vue lors de ma courte expérience d'ouverture. Dans un sens, "ma"
personne n'avait pas disparue, mais elle était plutot comme sacrifiée,
d'instant en instant, sur l'autel de la Vie. Je sais, c'est ronflant !
Mais ce sont les mots qui viennent naturellement, tellement c'est ça
qu'il m'ait été donné de voir. Cette expérience était la simplicité
même, elle n'avait rien de grandiose. Une simplicité déconcertante.
L'évidence vécue intimement à ce moment était que c'est dans la
consumation de la personne que résidait cette liberté vivante et
parfaitement achevée à la fois (tellement achevée que je suis tombé
dans le piège de croire que c'était "gagné" pour de bon). La personne
ne disparait pas, elle se fait transparente ! Joaquim l'a dit et redit,
ça résonnait en moi mais ce n'était pas clair. C'est seulement
aujourd'hui que je saisis cela, mis à part le moment même d'ouverture
où cette "vérité" était trop vraie pour être formulée. J'ignore s'il
vient un moment, autre que la mort physique, où la personne peut
entièrement s'évaporer, mais j'en doute, et cela me semble ne plus
avoir d'importance.
C'est le Regard sur
cette consumation qui est impersonnel, mais celui-ci est entièrement
plein de la personne ! Cependant, il me semble que ce regard n'est
possible que lorsque la personne accède à ce sacrifice, ce don de soi
mue par l'amour-regard-présence, et qu'en se restituant ainsi son
autonomie fondamentale, elle révèle la substance qui la soutient depuis
toujours.
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Il
est vrai que j'ai le sentiment de
"progresser", même si je comprend bien qu'il n'y a aucun progrès
possible vers l'ici-maintenant. La semaine dernière, une petite
étincelle s'est allumée, une fraction de seconde, le temps de me dire
(texto!) : "Aaaah ! Je n'ai pas besoin d'être là pour être là
!!!". Une drôle de petite révélation qui est sortie des profondeurs,
vraie et rafraichissante. Comment et pourquoi ces prises de consciences
surviennent, cela demeure un mystère pour moi, mais le pressentiment
m'habite plus subtilement que jamais. Aujourd'hui, cette "autonomie
fondamentale" dont je parlais plus haut semble vouloir ressurgir, en
douceur, étonnante. Présence sans formulation, tout participe de Ma
Vie, il suffit de lui donner sa chance... |
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Cela
recoupe un peu ma propre petite expérience
dont j'ai déja parlé (il faudrait que je cesse d'en parler,
d'ailleurs). Lorsqu'elle s'est produite, j'étais complètement occupé à
écrire un email à mon frère, je lui parlais... de non-dualité (ce sujet
l'intrigue lui aussi). Au départ, mon email était plutot prosélyte,
assez déplacé puisque je n'avais pas de vécu d'éveil. Mais mon propos
me passionait profondément, j'étais absorbé parce ce que j'expliquais,
je ne pensais pas à moi... puis doucement, inconsciemment, je me suis
reconnu profondément dans ce que j'écrivais, cela était devenu évident,
j'étais vraiment cela, alors je riais de joie tout en écrivant mon
message. Je devais terminer cet email, mon esprit était en ébulition et
paradoxalement la fluidité de "qui je suis" était tellement simple et
douce que je n'eus aucune crainte de me noyer à nouveau dans
l'identification. Quelle erreur. Mais je n'ai pas vraiment de regret.
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Le non-effort n'est pas possible, il est
a-possible. Je
ne peut pas l'accomplir, il ne peut qu'être avènement de et par Moi.
Aussi m'échappe-t-il à jamais. Banalités ressassées, peut-être, et
pourtant... Je donne attention à ce qui se présente, mais cette
attention est forcément dirigée, aussi humblement soit-il; je donne ma présence
est intention. D'une intention en-deça des mots certes, mais qui
procède malgré tout depuis un centre imaginé que je sais ne pas être -
Ô, nullité du savoir - mais que je suis, moi-le-penseur, néanmoins.
Nécessité de la grâce, donc.
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Je reviens un moment sur cette "pratique"
dont
je parlais au début de ce fil. Une façon simple de méditer consiste à
observer doucement toutes mes perceptions, les unes après les autres,
surtout les plus anodines. Je suis assis tranquillement et je porte mon
attention sur la sensation de ma main posée sur ma jambe, je laisse mon
attention flotter longuement sur cette sensation. Elle prend vie, elle
se déploie. Ensuite, j'entend le bus qui passe derrière moi, le vent
dans les arbres, etc. Si je parviens à me détendre profondément et à
m'abstenir de rattacher ces perceptions à des concepts ("main",
"autobus", etc), après un certain temps, il apparait que mes sens sont
indépendants les uns des autres, qu'ils semblent flotter dans le vide,
nulpart, comme autant de bulles de savon dans l'air. Ils ne sont plus
liés, ils ne se conjuguent plus de manière à former un monde cohérent,
mais ils fonctionnent en parallèle. Les perceptions semblent n'être que
structures énergétiques. Il m'arrive de fermer les yeux et de n'être
attentif qu'à mes mains que je déplace lentement dans l'espace devant
de moi (si on me voyait faire ça, je passerais pour fou ), c'est une expérience
vraiment intéressante, qui va parfois jusqu'à procurer des sensations
extatiques.
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L'impermanence de toute chose en est un
enseignement fondamental. La permanence appartient uniquement à
l'absolu, et non pas à la réalisation de cet absolu.
L'illusion a un début, à l'enfance, elle a donc une fin, lors de la
réalisation ou lors de la mort, et elle est donc sujette à surgir de
nouveau. Ce ne sera pas la même illusion, puisque l'illusion n'a aucune
réalité. Elle est recréée d'instant en instant. Mais rien ne peut
garantir qu'un phénomène de même nature ne puisse se produire de
nouveau. Suis-moi bien : si la réalisation était permanente, c'est
qu'elle serait de l'ordre de l'absolu lui-même, cela impliquerait que
tout le monde serait "éveillé" puisque sur le plan absolu, tout est UN.
Si la réalisation de telle personne n'entraine pas l'éveil de telle
autre, c'est que la réalisation n'appartient pas entièrement au plan de
l'unité, elle chevauche l'unité et la dualité. Ce chevauchement
implique sont impermanence.
Nisargadatta, Jean Klein, et bien d'autres maîtres ont parlé de
cette impermanence de la réalisation. Bien sûr, ils en parlaient comme
d'une folie, d'un hérésie en quelque sorte, mais cela demeure possible.
Certains vont vivre une "permanence" de la réalisation, durant toute
leur vie, mais cette permanence est fortuite, non garantie. Cette
apparence de permanence n'est possible que parce que la vie est courte.
D'autres, peut-être parce qu'ils ont abordé l'éveil avec une meilleur
compréhension préalable (c'est paradoxal, et pourtant...), plus de
douceur, risque de voir ressurgir l'illusion. Il me semble que ça tombe
sous le sens.
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Nocturne Indien, d'Alain Corneau, 1989
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J'ai revu Nocturne indien
hier soir, un superbe film d'Alain Corneau avec Jean-Hugue Anglade, qui
a pour thème central la recherche de soi. On se croirait dans un roman
de Hermann Hesse, par le ton méditatif mêlé d'une grande élégance
romantique. Il y a d'ailleurs une courte conversation au sujet de
Hesse, entre le personnage principal et un érudit indien.
Le film suit l'errance d'un jeune homme français parti à la
recherche d'un ami qui s'est perdu en Inde, recherche qui l'amène à se
trouver lui-même, cela étant illustré par un subtil jeu de miroir entre
les personnages, l'un absent et l'autre présent. Ce road movie
"spirituel" est transporté par le magnifique quintette en Ut de
Schubert. Mais je ne veux pas vous en dévoiler d'avantage. C'est un
film magique, que je vous invite à voir.
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