Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté par
joaquim
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Débordement
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Un texte
auto-référentiel ne se suffit pas à lui-même: il inclut le lecteur, il
n’est vrai
et complet que lorsqu’un lecteur en chair et en os le lit.
Comme par exemple ces phrases de Douglas Hofstadter:
«Le
lecteur de cette phrase n’existe que lorsqu’il me lit.»
«Tant que vous n’êtes pas en train de me lire, le troisième mot de
cette phrase n’a pas de référent.»
Les phrases auto-référentielles sont extrêmement intéressantes, et
troublantes, car elles sont comme animées d’une vie propre qui est à
l’image de la conscience de soi.
La
phrase auto-référentielle n’est pas lisse,
elle n’est pas entièrement orientée vers la réalité qu’elle décrit, le
monde du récit, mais elle établit un dialogue avec une réalité
extérieure au récit, celle dans laquelle se trouve le lecteur. La
maîtresse de Calvin n’a de réalité que dans le récit de Calvin, alors
que la “postérité” de Queneau a une réalité dans la matérialité du
lecteur.
Ainsi, la phrase auto-référentielle est une phrase qui n’est pas
contenue entièrement dans sa propre réalité mais déborde dans une
méta-réalité. Exactement comme la conscience humaine. La conscience
animale ne vit que dans l’instant présent, elle est entièrement dirigée
et occupée par la réalité du monde. Alors que la conscience humaine
ouvre un espace hors de cette réalité, hors de La réalité, un espace
d’intimité hors de l’Être, comme la phrase auto-référentielle ouvre un
espace hors de la réalité représentée par le récit.
En tant que phrase, la phrase auto-référentielle est fausse, elle
est incomplète, il lui manque une cohérence intrinsèque pour être
vraie. Mais lorsqu’elle établit la connexion avec l’objet extérieur qui
lui manque, tout se renverse, elle devient vraie, et cela non plus
seulement à l’intérieur du récit qu’elle représente, mais dans
l’absolu. Elle devient réelle.
Et je pense que c’est la même chose pour la conscience humaine.
Elle est incomplète, elle est grevée d’un manque, difficile à percevoir
de l’intérieur car elle-même se sent complète, bien que plus ou moins
confusément, elle souffre d'être séparée du Tout, mais aussitôt qu’elle
touche un morceau de réalité extérieure, comme dans les Instants,
elle sort de son propre enfermement et devient alors réelle dans un
sens absolu.
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Les koans tirent de leur caractère
paradoxal une force qui leur permet,
dans certaines circonstances, d’étourdir en quelque sorte le mental qui
cherche toujours à s’agripper au sens, et de provoquer ainsi ce léger
décentrage par lequel l’esprit peut lui échapper. Il existe aussi
d’autres phrases, qu’on appelle auto-référentielles, et qui sont
étrangement animées d’une vie propre. Voici quelques exemple de phrase
auto-référentielle (tiré de Douglas Hofstadter, Ma Thémagie,
Interéditions, Paris, 1988):
Bien que cette phrase commence par les mots “parce que”, elle est
fausse.
Tout l’intérêt de cette phrase tient à ce que l’on veut clairement
y faire comprendre en quoi consiste tout l’intérêt de cette phrase.
Cette phrase propose à ses lecteurs (et ses lectrices) diverses
solutions/options qu’ils (ou elles) sont à même d’accepter et/ou de
rejeter.
In this sentence, the word and
occurs twice, the word eight
occurs twice, the word four
occurs twice, the word fourteen
occurs four times, the word in
occurs twice, the word occurs
occurs fourteen times, the word sentence
occurs twice, the word seven
occurs twice, the word the
occurs fourteen times, the word this
occurs twice, the word times
occurs seven times, the word twice
occurs eight times and the word word
occurs fourteen times.
Voilà des phrases qui acquièrent une sorte de consistance, une
nécessité interne, qui s’enroulent sur elles-mêmes, qui ne consistent
plus en un simple énoncé linéaire, mais qui sont tissées de plusieurs
liens qui s’enchevêtrent, formant un véritable tissu. Ces phrases sont
utilisées comme des pistes dans les recherches sur l’intelligence
artificielle pour tenter de comprendre ce qu’est la conscience, cet
auto-enroulement de l’esprit sur lui-même. Mais tout cela ne nous
rapproche pas pour autant de l’éveil.
Peut-être la poésie, elle, donne-t-elle aux mots une vie capable de
remuer l’esprit et le coeur, comme les koans, de réveiller une
étincelle qui pourrait provoquer ce léger décalage, cette libération de
l’esprit. |
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