Regards sur l'éveil
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Posté
le 26 septembre 2004 par joaquim
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L'infini au fond de soi
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Je sors de
la projection de Da Vinci Code. Un
peu éberlué. L’intrigue est construite sur un secret, qui aurait été
préservé durant 2000 ans aussi bien de la divulgation que de l’oubli
(pour nous être révélé aujourd’hui à nous, chanceux spectateurs dans
nos fauteuils...): le secret d’une descendance cachée de Jésus.
L’Eglise catholique aurait tout fait pour empêcher la divulgation de ce
secret et détruire les traces qui auraient permis de le découvrir, et
aurait tué s’il le fallait les personnes qui en étaient les
dépositaires: le Prieuré de Sion. Une Eglise qui aurait bâti sa
puissance sur l’amputation de la partie féminine de Dieu. Une Eglise
ennemie de la chair, qu’elle n’aimerait que mortifiée ou brûlée. Le
message est donc de chanter une humanité réconciliée avec sa partie
féminine, libérée du carcan d’une foi figée dans des certitudes, une
foi coupée de toute réalité vivante, à l’image de ces membres
mortifiants et mortifères de l’Opus Dei.
Paradoxalement, le nerf de l’intrigue ne tourne pas du tout autour
de cet idéal, au contraire, il est construit autour d'une foi, assez
figée elle aussi, dans la puissance accordée à des symboles, des codes,
des secrets et des Ordres, défiant le temps dans une forme de mission
sacrée — plus magique que divine d’ailleurs. L’imposture éclate au
grand jour lorsque l’intrigue se dénoue et que l’Héritier nous est
dévoilé sous les traits de cette pauvre Audrey Tatou qui se voit
catapultée descendante de Jésus. On n'accède manifestement pas à
l'idéal de liberté qu'on aurait pu espérer. Non, le mystère éventé
choit dans une réalité prosaïque qui lui retire toute sa magie. A tel
point que le scénariste a dû revenir à la charge afin de réinsuffler un
peu de mystère et de magie pour donner à son film une chute digne de ce
nom, en nous conviant à une ultime quête: celle du tombeau de la Femme.
Retour donc dans le froid des églises.
Cette thèse du prétendu mensonge de l’Eglise, sous couvert de
réhabiliter la femme et de stigmatiser l’Eglise qui n’aurait eu de
cesse de la nier, ne dénote en fait rien d’autre qu’une fascination
pour les apparences, un goût du symbole et du mystère, une quête d’une
vérité ultime, une vérité sans substance pourtant, une vérité qui
n’existe qu’à travers le “mensonge” auquel elle est censée apporter un
démenti, dont elle est pourtant solidaire, et qui s’évente avec sa
divulgation. La seule substance vraie dans toute cette histoire, dans
l'histoire de la Chrétienté, mais qui à aucun moment n’est mentionnée,
c’est la foi qui a animé les coeurs de tout l’Occident durant près de
2000 ans: c’est cette piété qui a construit la Chrétienté, c’est elle
le véritable corps du Christ. Que ce même Occident se complaise
aujourd’hui dans une lamentable frivolité religieuse, comme le montre
le succès que rencontre cette énigme, ne laisse pas d’être désolant.
Le
message de Jésus a été détourné, peut-être.
Par les évangélistes tout d’abord, et plus encore
à partir du moment où l’Eglise est devenue la seule officielle de
l’Empire romain — ce qui l’a autorisée à prendre le titre de catholique
(= universelle). Quoique “détourné” n’est peut-être pas le bon mot: les
éléments originels, issus de la culture sémitique, ont été
réinterprétés à la lumière de la philosophie hellénistique dans les
premiers siècles chrétiens, puis s’y sont mêlées des croyances païennes
au fur et à mesure que les peuples de l’Empire, puis les barbares
étaient christianisés. Le message d’origine s’est trouvé ainsi enrichi
bien plutôt qu’appauvri. Mais ce qu’il ne faut surtout pas perdre de
vue, c’est que ce message d’origine ne nous serait tout simplement pas
parvenu s’il n’avait pas été ainsi “détourné”. On ignorerait totalement
Jésus aujourd’hui si son message n’avait pas connu la carrière que l’on
sait. C’est cette carrière uniquement qui donne son poids historique au
message originel. Dès lors, vouloir remonter au message originel (pour
autant que cela soit possible, ce qui est douteux) en lui attribuant le
poids qu’il n’a reçu qu’après avoir été “détourné”, c’est un peu
vouloir se suspendre soi-même par les cheveux. Il y avait à l’époque de
Jésus dans le bassin méditerranéen quantité de prophètes dont la
plupart sont aujourd’hui oubliés. Pourquoi les Meurois-Givaudan et
autres détectives modernes s’intéressent-ils à Jésus plutôt qu’à Apollonius de Tyane,
par exemple? Tout simplement parce que l’Eglise s’est bâtie sur Jésus,
et non sur Apollonius. Dès lors, en rejetant la tradition pour
soi-disant revenir aux enseignements originaux, ils s’illusionnent et
nous illusionnent, car ils perdent de vue que c’est uniquement à cause
de l’éclat que cette tradition a donné à ces premiers enseignements
qu’ils s’intéressent à eux aujourd’hui.
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