Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté par
joaquim
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Définition
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L’ego échappe à toute définition... comme
la conscience, d’ailleurs. Il n’est pas quelque chose
— contrairement à la personnalité, qui, elle, est bien "quelque chose".
On peut au mieux cerner l’ego par des images, comme le fait le Maharshi
dans ce texte:
«L’ego
ne peut disparaître s’il est vu
comme réel. Il est comme votre propre ombre. Il la voit le suivre
partout où il va, et il veut s’en défaire. Il s’enfuit, mais elle
s’attache à ses pas. Alors il creuse un trou profond et essaye
d’enterrer son ombre, remplissant le trou de sable; mais l’ombre reste
à la surface et s’attache toujours à lui. Il ne peut s’en défaire que
s’il ne se regarde plus, lui, l’origine de son ombre. Alors elle ne
sera plus un sujet de souffrance. Les chercheurs de la Délivrance sont
comme l’homme de cette parabole. Ils ne voient pas que l’ego n’est que
l’ombre du Soi suprême. Tout ce qu’ils doivent faire, c’est se tourner
vers le Soi qui est leur ombre véritable.»
Ramana
Maharshi in Patrick Mandala, Le Son du Silence, Présence de Ramana
Maharshi, Ed. L’Originel, 2006, p. 96.
L’ego n’est pas quelque chose de réel, il n'est rien qu’on puisse
jamais toucher. Il est, comme le dit le Maharshi, l’ombre du Soi. Il
est l’écran sur lequel se projette notre cinéma intérieur. Il est ce
“je” insaisissable que nous croyons être. Si on parvenait à le toucher,
on le percerait (il n’a pas de consistance), et on “tomberait” sur le
Soi, ou plutôt on se découvrirait être le Soi, qui seul “est”. Il n’y a
pas de travail possible sur l’ego. On peut seulement cultiver
l’attention, la vigilance, et surtout la non-saisie des éléments du
monde intérieur, afin de priver cet écran de tout ce qui l’occupe et
qu'il s'approprie pour suppléer à sa propre inconsistance. Si on le
fait vraiment, alors plus rien ne se projette sur lui, son
inconsistance est dévoilée et il devient transparent, s'effaçant de ce
fait pour laisser apparaître la Réalité.
La personnalité, par contre, c’est une structure bio-psycho-sociale
tout-à-fait réelle. On peut la “toucher” (pas avec les doigts, mais
avec l’affect), on peut la décrire, l’étudier, la modifier. Elle est
faite de racines biologiques et d’empreintes environnementales, qui
interagissent pour construire une biographie. Elle n’est pas
spécifiquement humaine, contrairement à l’ego, mais se trouve présente
aussi chez les animaux.
Si la personnalité mûrit au cours de la vie, l’ego, lui, ne change pas:
le temps n’a pas prise sur lui. C’est parce qu’il ne change pas, qu’on
se sait être toujours “soi”. Depuis la première prise de conscience de
"moi" dans la petite enfance jusqu'à la mort, l'identité "je" ne change
pas d'un iota. Il est ce qui demeure inchangé au sein du changement.
L’ego, comme le Soi dont il est l’ombre, n’est pas de nature physique,
mais métaphysique; il n’appartient pas au temps.
Dans
ce cas, l'Eveil peut survenir, alors que l'individu n'est pas "achevé'. |
Il n’y a pas de commune mesure entre l’éveil et la maturation de la
personnalité. L’éveil est a-temporel, la maturation est par essence
temporelle. Penser qu’il faudrait que l’individu soit achevé (peut-on
jamais l’être?) pour que se révèle l’éveil, serait subordonner une
réalité absolue à une réalité relative. Mais si l'éveil n'est pas "un ultime aboutissement
englobant à la fois égo et personnalité", il n'est pas non
plus "une quête
strictement philosophique qui ne raisonne qu'en termes de conscience,
d'altérité et d'égo". Il n'est pas le résultat
d'une quête, il n'est le résultat de rien. Il surgit lorsque l'ego
s'efface et que la réalité apparaît: la réalité toute nue, celle qui a
toujours été là, devant soi, sans qu'on la voie, entachée qu'elle était
par les marques d'appropriation dont on l'avait recouverte. En fait,
s'il fallait définir l'ego, je dirais qu'il est la marque
d'appropriation qui entache la réalité et la dégrade en ma représentation. |
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Je
crois qu’il faut distinguer entre ego et personnalité.
Cesser de mentir, par exemple, c’est peut-être améliorer un trait de
personnalité,
mais ce n’est en rien vaincre l’ego. L’ego ne peut pas être vaincu, car
le vaincre impliquerait qu’il y aurait quelqu’un pour le vaincre.
Quelqu’un qui serait dès lors une nouvelle forme, masquée, de l’ego.
Non, il ne peut être que transfiguré. Ce qui veut dire : découvrir à
travers sa propre transparence et son
propre effacement, l'Être éternel qu'il masquait et auquel son geste de
renoncement à soi le fait advenir.
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L'ego n'est pas la personnalité, ni la
pensée, ni les
émotions, ni les sensations, mais ce en nous qui s'attribue la qualité
de sujet de la pensée, des émotions et des sensations. C'est cette attribution à soi
qui est caractéristique de l'ego. L'ego, c'est ce qui fait nôtre
tout ce qu'on touche, et du coup nous sépare de la réalité propre de
tout ce qu'on touche. L'ego lui-même ne peut jamais être touché, car
toute tentative de le faire générera une pensée, une émotion ou une
sensation qui deviendra, elle, objet de l'expérience, et que l'on
référera à soi dans un nouveau mouvement d'appropriation de l'ego, sans
rien avoir perçu de ce dernier lui-même. Il est ainsi par nature
immatériel et illusoire.
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Voilà une définition de l’ego qui me
convient:
le rapport qu’on a avec soi-même. Vu sous cet angle, dissoudre l’ego,
ce n’est pas disparaître, même par un suicide soft,
c’est cesser de se définir dans son rapport avec soi-même. C’est ne
plus attribuer à soi ce qu’on fait et ce qu’on vit, mais agir et vivre,
simplement. S’y donner sans rien en retenir. Cela ne veut pas dire la
fin de soi, ni de la conscience, mais la fin d’un certain rapport à
soi. Désormais, “soi” n’est plus le référent de tout ce qui en moi
pense, sent et veut, mais c’est quelque chose que je découvre à
l’intérieur de tout ce que je rencontre. Et je l’y découvre parce que
je me donne entièrement à cette rencontre, sans retenue. Il n’y a pas
d’ennemi. S’il fallait en définir un à tout prix, alors on
pourrait dire: la paresse et la peur qui me retiennent de me donner
entièrement dans la rencontre avec tout ce qui est. |
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Lorsqu’on
vient de découvrir l’éveil, on a
l’impression que la lumière qui nous apparaît si évidente nous sépare
de ceux qui ne la perçoivent pas. Avec le temps, cette impression
s’estompe, car chacun baigne dans cette lumière, qu’il la voit ou non.
Et comme il est de toute manière impossible d’enfermer cette lumière
dans des mots, on apprend peu à peu à la voir dans toutes les
manifestations de la vie, et on s’aperçoit qu’on peut parler d’elle
même avec quelqu’un qui n’y comprendrait rien si on cherchait, comme on
le fait ici sur le forum, à la nommer directement. Il est vrai qu’un
tel échange, comme on peut l’avoir ici, est éminemment précieux, mais
il n’est finalement pas d’une autre nature que n’importe quel autre
échange authentique. L’authenticité, c’est toujours de la lumière qui
se transmet, qu’on en perçoive tout l’éclat ou non.
Là où il y a par contre véritablement une différence radicale, à mes
yeux, c’est à l’intérieur de soi, entre la rive sur laquelle on se
trouve lorsqu’on regarde les choses à partir de l’ego, et celle d’où on
voit la réalité telle qu’elle est. Entre ces deux rives, le fossé
semble infranchissable. Et pourtant, il s’agit continuellement de le
franchir. De devenir littéralement quelqu’un d’autre en franchissant
cette rivière. De mourir à soi pour renaître sur la rive de la Réalité,
et inversément, pour peu qu’on s’installe dans le confort de l’acquis,
de glisser sans s’en rendre compte dans l’endormissement de l’ego. |
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Trop
souvent, on croit que maîtriser les
émotions, ce serait maîtriser l'ego. Bien sûr, il est important de ne
pas perdre son discernement sous le coup des émotions, mais cela n'a
finalement pas grand chose à voir avec l'ego. Les êtres sur terre qui
ont les émotions les plus fortes et se laissent le plus emporter par
elles, ce sont les animaux, et il n'ont pas d'ego au sens où nous
l'entendons ici. Même chose pour les bébés et les tout petits enfants.
Ils n'ont pas d'ego, et sont pourtant submergés d'émotions. L'ego,
c'est ce en nous qui veut avoir prise. Le désir de maîtriser quelque
chose est le propre de l'ego. Vouloir maîtriser les émotions, c’est
l’ego. Même vouloir maîtriser l’ego, c’est l’ego. Il avance masqué, et
se nourrit des efforts qu’on fait pour s’en débarrasser. C’est lui qui
se cache derrière le sentiment qu’on a de le maîtriser. |
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