Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
|
Accueil
·
Forum ·
Blog |
Posté
le: Ma 10 mai 2005 par feuille
|
Voyage
|
|
A la fin de mon voyage, dans le dernier
pays que
je visitais, j’ai rencontré un autre voyageur, avec qui j’ai eu une
expérience étrange qui m’a révélé une sorte de « sens de la vie », à en
pleurer de joie… Mais sur le coup, je n’avais pas bien compris ce qu’il
m’était arrivé.
(...)
Je
parle très peu de tout ça, de ce qui qualifie
cette prise de conscience, car je ne sais à qui en parler, alors j'en
parle là... je sais que la réponse est en moi, mais parfois, une
rencontre, un avis, une remarque, peut tout changer, alors pourquoi pas?
|
|
|
J'ai beaucoup pleuré, parce que j'avais
trop
caché, je croyais qu'il ne fallait pas que j'en parle, par le
senti-reçu-appris de "l'entité" (j'emploie ce mot ne sachant pas trop
comment qualifier ce que l'on nomme autrement, le "ce qui est")... Je
cachais cela, mais je me trouvais naturellement frustré par les écrits
des uns et des autres qui parlait ouvertement de leur sensation, je ne
comprenais pas d'ailleurs pourquoi il pouvait en parler... mais j'ai
réalisé hier, grâce à mon amie qui me l'a fait remarquer, qu'il était
bon d'en parler... ce n'est pas parce que l'on en parle que l'on
cherche nécessairement à contrôler l'entité, car elle accompagne mais
ne peut être détenue, et si elle sent que l'on cherche à la détenir,
elle s'en va... là encore, on pourrait me dire que je projette l'idée
(l'appris), mais je suis bien obligé, de fait actuellement, pour
communiquer, d'utiliser les mots... (ouups, sinon, euuuh, je pourrais
même pas participer au forum, crotte )
(...)
je
sens une profonde ouverture par rapport à la
vie, les jugements extérieurs importent alors peu, l'ego a justement
disparu à ce sujet là... c'est un tout et il n'y a aucune résistance,
c'est comme ça, je ne peux revenir en arrière de ce changement, car il
est indissociable du reste... néanmoins, il est très délicat de gérer
cela, tant les frictions que je peux rencontrer avec le monde actuel et
les pensées communément admises par chacun sont conditionnées... |
|
|
comment ne pas se retrouver ridicule devant
les
autres, lorsque l'on souhaite parler de ce qui nous a touché, du rideau
qui est tombé... parfois, je parle de moi en disant "avant", pour
situer ma prise de conscience... et on me dit "mais t'es toujours le
même"... c'est vrai, et faux à la fois... j'ai changé, et finalement,
non, puisque cela est depuis toujours là, mais c'est ma perception par
rapport à cela qui a changé...
Bref, il est toujours très difficile d'exprimer l'éveil sans être pris
pour un fou...
|
|
|
Par
contre, dans cet irréversible, il n’existe
pas un état qui me permet de me rapprocher plus de « la chose », d’en
avoir plus le droit que d’autre ou de savoir mieux que les autres ce
que c’est. Car c’est justement une des vérités qui m’a été insufflée :
c’est que l’on ne peut pas parler directement « de la chose », qu’il
faut y croire sans y croire, sans condition, sans intellectualisation…
c'est mon tracas en ce moment d'ailleurs, car je dois faire attention,
car mon intellect a la furieuse envie d'utiliser ces notions pour ses
besoins en image...
Pour reprendre une idée (parfois émise par waxou, je crois?),
l’irréversibilité que j’entends (qui est peut-être différente de celle
dont vous parlez ?) est justement un changement de point de vue, mais
ce n’est pas le passage à un point de vue sans référentiel, sans
centre, sans observé ni observateur… celui là, il ne m’est accessible
que quelques secondes par jour parfois au bout d’une semaine, dans les
moments où je ne m’y attends pas du tout… et dans cet état (ou ce non
état), il n’y a même pas la notion d’irréversibilité.
|
|
|
Mon expérience d’éducation et ma prise de
conscience de ce que l’éducation doit servir ont pris un tout autre
tournant lorsque j’ai senti fortement la Présence pour la première fois
il y a un peu plus d’un an. J’ai le sentiment de retourner à l’école de
l’instant, de me rééduquer depuis cet évènement, de réapprendre le sens
profond de l’échange et de la relation avec l’autre et donc avec soi,
avec mon amie, avec ma famille, mes amis, mes collègues, et ici même
d’ailleurs au travers de nos échanges…
|
|
|
Ce qui est différent d'une "simple"
compréhension, c'est qu'il y a une forme de dislocation à l'intérieur,
quelque chose qui prend du recul, ce n'est pas une compréhension mais
un regard sur la compréhension, alors qu'avant tout deux se
retrouvaient plus "inconsciemment mélangés". Ce n'est pas la
compréhension qui amène à anéantir le conditionnement, mais le
contact-conscient du regard sur cette compréhension, qui se fait alors,
petit à petit, plus transparente au regard, dans un mouvement
d’humilité par rapport à celui-ci. |
|
|
Je voudrais partager avec vous
un extrait de « Murale » écrit par un poète Palestinien, Mahmoud
Darwich. C’est un personnage très particulier, dont la finesse et la
beauté de ses écrits resplendissent dans toute son œuvre, mais aussi,
parce qu’il a affronté les mystères de la mort il y a quelques années…
Murale
est une poésie écrite après cette expérience, sur la mort et la vie,
sur la dualité, abordant ce sujet au travers de la relation du poète à
la femme, au langage et à l’histoire. Je n’ai pas saisi toutes ses
références mais il y a bien des passages qui me parlent…
Celui que
j’ai sélectionné parle de la solitude et de la mort. Je me permet
d’extraire celui-ci pour le mettre en relation avec mon vécu : l’année
dernière, lors d’une profonde discussion assez bouleversante avec mon
amie, alors que je cherchais à lui suggérer que nous ne sommes pas
seul, elle m’a dit, dans une totale spontanéité désespéré : « je suis
seul ». Sur le moment, j’ai été déstabilisé par sa réponse, je ne
pouvais rien lui dire… deux jours plus tard, je me suis brusquement
réveillé dans la nuit, et j’ai versé des larmes et serré la main de mon
amie… je venais de réaliser toute la vérité de ses propos…
Cette
solitude qui m’a poussé à voir au plus profond de moi, pour que je
décide un jour de faire un long voyage, pour enfin réaliser à la fin du
voyage l’impensable, c’est cette même solitude que j’ai retrouvé au
plus profond de moi cette nuit-là, dans la plus belle expression de son
unité…
C’est assez bouleversant de faire un pas parce que l’on se
sent seul, de réaliser qu’on ne l’est pas « vraiment », et de retrouver
finalement cette solitude originelle…
[…]
A quoi servirait le printemps clément
S’il ne tenait compagnie aux morts, s’il n’accomplissait,
Après eux, la joie de vivre et l’éclat de l’oubli ?
La clé de ma poésie serait là,
Ma poésie sentimentale du moins.
Et les songes sont notre seul mode de parole.
O mort, hésite et assieds-toi
Sur le cristal de mes jours,
Comme si tu étais l’une de mes amies de toujours,
Comme si tu étais l’exilée
Entre les créatures.
Toi seule es l’exilée. Tu ne vis pas ta vie.
Ta vie n’est que ma mort. Tu ne vis ni ne meurs
Et tu enlèves les enfants à la soif du lait pour le lait.
Jamais tu ne fus
L’enfant bercé par les chardonnerets.
Jamais les angelots et les bois du cerf distrait ne t’ont cajolée
Comme ils nous ont cajolés, nous,
Les hôtes du papillon.
Toi seule es l’exilée, ô malheureuse.
Aucun homme ne te serre contre sa poitrine,
Qui partage avec toi
La nostalgie de la nuit écourtée par la parole libertine
Fusion de la terre et du ciel en nous.
Tu n’as pas donné naissance à un enfant qui vient à toi, implorant :
Mère, je t’aime.
Toi seule es l’exilée, ô reine des reines.
[…]
( extrait de Murale,
page 29-30, de Mahmoud Darwich, Editions Actes-Sud ) |
|
|
La
vision du monde change donc radicalement
après cette première révélation, avec un nouveau chemin que je
m'efforce d'emprunter maintenant nus (ou en tout cas, en tendant vers
cette nudité la plus intime qui m'a révélé), sur lequel je me sais à la
fois acteur et créateur et que je dois emprunter avec mes lambeaux
d'habits d'avant, qui se régénèrent parfois « à mon insu », qui
m'égarent tout autant sinon peut-être plus sournoisement qu'avant, avec
ma pensée qui butte toujours sur cette petite phrase, que je répète,
parfois comme un vieux fou : la vie est in-croyable.
|
|
|
Juste
une petite annecdote réveillée en moi par
vos propos : l'année dernière, au cours d'une discussion avec ma
compagne, alors que je crois (de souvenir) que je m'évertuais à
souligner l'importance de l'Amour inconditionnel envers tous les
Hommes, la Nature, les Animaux...etc. mon amie m'a tout de suite
répondu, "avant de faire cela, si j'arrive déjà à vivre l'Amour avec
une personne particulière, avec toi, ce sera déjà bien..."... cette
phrase m'avait tiré de mon sommeil... de cette impossibilité évidente
d'aimer véritablement "l'ensemble" - inéluctablement bien plus
"abstraitisé" par la pensée qu'envers le singulier - sans s'épanouir
totalement dans sa
relation avec un
particulier, à l'image de la fleur du Petit Prince.
|
|
Merci virgilewest,
Je suis touché par la simplicité et la douce sincérité qui se
dégage de ton témoignage… déposer délicatement des mots sur cet
indicible évènement est un acte sacrément difficile - J’avais pour ma
part tenté de le faire il y a quelques mois, et renoncé tant la tâche
m’était apparue impossible… trop de concepts post-expérience venaient
interférer avec la description de l’expérience et je te suis donc
pleinement reconnaissant, pour ces mots spontanés, qui raisonnent en
moi, où le Retournement, le Jaillissement, le Bonheur, l’Eternel,
l’Amour sont autant de mots
lumière qui transpercent tout notre Etre au moment de ce
passage inoubliable vers l’Incroyable…
|
|
|
De cette première expérience renversante,
je
serais bien incapable de définir les conditions... j'étais parti à la
rencontre de la beauté de la terre, à la rencontre des êtres aux
cultures différentes, j'étais parti pour comprendre l'Amour... puis à
la fin de mon voyage, j'avais vraiment oublié les motivations
de mon voyage, je les vivais simplement... et Cela m'est apparue...
Alors, quelle est la condition, un abandon infigurable? le sur-désir de
comprendre la vie? l'offrande inconditionné de son regard sur la vie à
la mort?...
|
|
|
J’aimerais nuancer la notion de
personnalité. Il
faut aussi être vigilant à ne pas réduire la surface à une futilité
pour affirmer l’unique authenticité de la profondeur… je comprends tout
à fait le point que vous voulez souligner, dans un autre sens, sur ce
qui ne constitue pas la personnalité, mais la personnalité, à mon sens,
est l’expression d’une diversité, et pas nécessairement l’expression
d’une identification… et si c’est l’expression d’une identification,
c’est l’identification de l’Indicible à ce que je suis. Je crois en une
personnalité inviolable propre à chacun : un Bouddha n’a pas eu le même
discours de surface qu’un Jésus, ils n’ont pas utilisé les mêmes mots…
vous-même – et moi-même – nous nous exprimons constamment avec une
relation propre à une palette de couleur que nous avons constitué tout
au long de notre vie. Il serait tout à fait triste pour l’Etre Aimé que
nous laissions une page blanche uniquement parce que c’est l’idée que
nous nous faisons de notre Essence… vous avez la possibilité de choisir
toute la beauté d’un bleu particulier et moi de choisir une tout autre
couleur, et cette dévotion dans la surface en sera d’autant plus belle
pour notre profondeur.
|
|
|
le non-retour, j'ai le sentiment qu'il est
de
toute façon présent à partir du moment où l’on a VU ce qui se cache
derrière le rideau... cette vision est tellement renversante que même
en revenant derrière le rideau, on garde en soi le Sens qui nous a été
dévoilé. Ensuite, on peut être plus enclin à reconnaître les moments où
le rideau dévoile la Vérité (et aussi, dans son travers, moins enclin,
car on devient obsédé par cet état et plus aveugle qu'avant...). On va
appeler cela une expérience vivifiante ou de contact.
De l’autre côté, effectivement, l'expérience libératrice, c'est la
transparence définitive du rideau, qui garde néanmoins toute sa
personnalité d'expression mais qui ne vient plus interférer dans la
vision.
Tout comme toi, j'ai vécu cette expérience de contact, très forte
la première fois (le plus renversant) puis après, par ci par là... le
moment le plus dense de mini-expériences ayant été juste après le 1er,
un peu comme les répliques des tremblements de terre.
Entre les deux, c'est comme avant l'expérience de contact... il
est impossible de savoir où l’on se positionne et comment on y arrive.
La difficulté dans cet entre deux, c'est comme tu le soulignes
phoeniks, que le rideau cherche à rendre permanent l'état dont il a été
le témoin... ce qui va orienter nos actions (et donc notamment à faire
croire aux autres que c'est permanent, mais l'Autre n'est pas dupe, ce
genre de position ne tient pas longtemps! )
Enfin, je crois aussi qu'il est vraiment difficile de parler l'autre
côté de l'expérience libératrice, sans y Etre...
|
|
|
En cela, l’expérience d’éveil, c’est le
contact
conscient d’une durée pure avec un espace pur. Quand j’ai fait
l’expérience de l’indicible (toniov : désolé, c’était un autre mot pour
l’expérience d'éveil…),
ce qui m’avait frappé, c’était à la fois, la pure matérialité de
l’expérience… et à la fois, un sentiment d’éternité, mais c’était
vivant, pas fixe, pas une « éternité morte » comme dirait Bergson… il y
avait le sentiment d’une pluralité du possible là maintenant qui était
renversante… Pourquoi ce sentiment de l’éternité et donc, de Temps,
plutôt qu’un autre m’est apparu ? C’est que le Temps est là présent en
soi.
|
|
|
La Douceur n’arrive que lorsque, orphelin
d’une
question sans réponse, nous abandonnons cette soif de réponse, pour
vivre le plus simplement, et c’est alors que l’Etre tapote à notre
épaule, demande de nous allonger, et murmure ce mystère que nous
sommes… A ce moment précis, c’est un choc, différent qualitativement du
premier, véritablement plus profond puisqu’il ébranle définitivement
notre vision du monde et à la fois, incarne un Sens nouveau et
familier, inaccessible aux minces filés tendus par notre pensée
toujours prompte à vouloir immortaliser par les mots un tel évènement…
|
|
Cinema
- Forrest
Gump, de Robert Zemeckis, 1994
|
|
J’ai récemment eu l’occasion de revoir
Forest
Gump avec un œil nouveau. L’histoire de ce personnage est très
attachante et reflète assez bien l’esprit que pourrait avoir une
personne sans égo qui vit dans l’instant.
L’introduction me fait d’ailleurs penser à American Beauty avec une
prise de vue du ciel qui suit le parcours d’une plume d’oiseau venant
se poser avec délicatesse sur le pied droit de Forest, qui attend à
l’arrêt d’un bus. Il la remarque tout de suite (ce qui pourrait passer
pour anodin mais dans ces yeux, ça ne l’est pas) et la place entre deux
pages d’un livre d’enfance.
Forest est l’expression la plus pure du morceau de bois se laissant
guider par le courant d’une rivière. En se laissant entraîner par la
vie, sans opposer de résistance, ni motiver par l’ambition, mais en
faisant corps avec elle, la vie lui re-tourne avec justesse une
fantastique impulsion.
Il y a certains passages assez révélateurs du désespoir dans
l’espoir et du calcul que l’on place dans le futur : à la fin de
l’adolescence, l’amie d’enfance de Forest (son véritable Amour
d’ailleurs) lui explique qu’elle veut être célèbre, pouvoir chanter de
manière intime devant une foule toute dévouée à sa personne. On verra
par la suite que son amie ira de déboire en déboire, de désillusion en
désillusion pour finir (il n’y a rien de péjoratif dans ce constat) en
serveuse dans un petit bar d’une bourgade américaine.
Forest, lui, se laisse ballotter par les évènements sans se poser
de question. Mais il agit aussi quand il sent qu’il doit le faire,
lorsque par exemple, il sauve un à un tous ces compagnons de guerre
lors d’une embuscade au Vietnam.
Il y a aussi ce passage assez révélateur lorsque Forest se retrouve
enrôlé par hasard pour parler à la tribune du mouvement anti-guerre
post-vietnam… Au moment, où il se retrouve à parler devant une foule
immense, le micro est débranché par un militaire sans scrupule…
pourtant, Forest dit beaucoup de choses à ce moment là, mais l’on ne
sait pas ce qu’il a dit… comme si cela devait être caché, comme si
l’intimité de l’Etre devait être préservé…
Il devient finalement extrêmement célèbre sans avoir recherché quoi que
ce soit.
Sa démarche est hilarante et vrai lorsqu’il décide, après la mort
de sa mère, sans raison apparente, de courir pendant plusieurs années,
en faisant l’aller-retour d’une côte américaine à l’autre. On lui
demande pourquoi il fait ça ?… il répond qu’il ne sait pas, mais il le
fait, c’est tout. Et il se retrouve suivit par des centaines de
personnes qui voient en lui un espoir.
Au cours de son voyage, il regarde les couchers de soleil, la nature,
il en parle d’ailleurs après, de la beauté de ce qu’il a vu… cela me
rappelle fortement mon voyage et j’ai eu une émotion toute particulière
lorsqu’il en parle. A la fin de sa course, il arrête, parce qu’il doit
arrêter… et c’est un passage excellent, car tout un tas de jogger
attende la parole de ce « messie »… en vain, Forest dit simplement
qu’il est fatigué et qu’il rentre pour se reposer.
Il vit dans la plus pure simplicité qui soit.
La plume d’oiseau reviendra pour repartir sur la fin, laissant place à
une nouvelle étape incroyablement enrichissante dans la vie de Forest
Gump.
Un film drôle, à la fois léger et profond, à voir ou à revoir! R
|
|
Cinema
- Stalker, de Andreï Tarkovski, 1979
|
|
J’aimerais partager avec vous un brin de
l’œuvre
d’Andreï Tarkovski, un réalisateur tout particulier qui a eu à cœur
dans toute son œuvre d’aborder un sujet essentiel tel que la foi…
Je suis tombé sur cet auteur après des échanges avec Khoan qui parlait
de Andrei Roubliev (cela m’avait intrigué) puis ensuite quelques
semaines plus tard, un bon ami à ma compagne lui révélait que son
cinéaste préférait est Tarkovski… à force d’une telle synchronicité, je
m’étais alors décidé à visionner quelques films de Tarkvoski…
Je rebondis aussi sur une discussion récente avec miboogh qui parle de son rôle de passeur
car cela m’a tout de suite fait penser à un film de Tarkovski : «
Stalker » (oups j’ai réalisé que Khoan avait lui aussi parlé d’un
passeur comme en témoigne la réponse de Pierre ici comme
quoi il y a quelque chose qui cloche dans cette conception de la
relation…)
Le Stalker, c’est l’histoire d’un homme taciturne, mystérieux et fruste
qui propose d’amener des hommes dans la Zone, un lieu étrange bouclé
par la police et interdit à la civilisation après qu’une météorite s’y
soit écrasée… On dit que dans cette Zone, une chambre permet d’exaucer
tous nos vœux, elle s’appelle la Chambre des désirs…
Deux personnes, un Ecrivain et un Physicien, décident de se rendre
dans la Zone et engagent les services du Stalker qui signifie guide,
passeur…
Lors de leur arrivée dans la Zone, le Stalker évoque la Zone comme «
un savant système de pièges, disons, et ils sont tous mortels. J'ignore
ce qui se passe ici en l'absence des hommes, mais il suffit qu'un seul
paraisse pour que tout se mette en branle. Les anciens pièges cèdent la
place à de nouveaux pièges. Les endroits qu'on croyait sûrs deviennent
impraticables. Le chemin est tantôt aisé, tantôt labyrinthe
inextricable. Voilà ce que c'est la Zone. […] En réalité elle est ce
que notre état psychologique en fait. »
A la question provocatrice de l’Ecrivain « Elle ne touche pas les gentils
et arrache la tête aux vilains ? » le Stalker répond par «
J'ai l'impression qu'elle laisse passer ceux qui n'espèrent plus rien.
Des gens ni vilains ni gentils, simplement malheureux. ».
Ce film trace l’histoire d’une quête initiatique, une quête de soi dans
un lieu inconnu et imprévisible, la Vie. La Zone est un prétexte ici...
Les films de Tarkovsky sont souvent très symboliques… je me sens
parfois à la limite d’une compréhension rationnelle de son message et
de ses influences.
Dans le film le Stalker, l’eau est par exemple un élément important
dans le film, il montre sa puissance, son changement constant et
insaisissable, comme une force de vie en soi…
Le rêve aussi à une part importante, comme s’il était l’expression
d’un lien plus profond avec ce qui nous fonde. L’animal au travers d’un
loup noir suggère cette force de vie, présente partout, qui veille sur
nous et qui cherche à nous indiquer la voie…
Cette quête va amener chacun des protagonistes à se découvrir. Mais
au pied de la Chambre des désirs, toutes les motivations se dévoilent…
y compris celle du Stalker : «
Je n'ai rien fait d'utile dans ce monde et je suis incapable de rien
faire. Même ma femme, qu'est-ce que j'ai pu lui donner ? Et je ne peux
pas avoir d'amis. Mais laissez-moi ce qui m'appartient ! On m'a déjà
tout pris, là-bas, de l'autre côté des barbelés. Tout ce qui me reste
est ici. Vous comprenez? lci! Dans la Zone ! Mon bonheur, ma liberté,
ma dignité - ici ! Qui est-ce que je guide? Des comme moi, des
malheureux qui souffrent. Qui n'ont plus rien à espérer. Moi je peux
les soulager ! Personne ne le peut, moi, la petite gouape, je peux.
J'en pleurerais de bonheur, de savoir que je peux les aider… »
Le Stalker est un être désespéré par la non croyance des autres… comme
en témoigne cette échange avec sa femme de retour de la Zone : «
Et ils se disent intellectuels, tous ces écrivains, tous ces
savants...[…] lls ne croient à rien de rien... Leur organe de la foi
s'est atrophié, la fonction n'est plus sollicitée. […] Mon Dieu, d'où
viennent-ils...[…] lls ont les yeux vides. »
A la fin du film, Tarkovsky dévoile un de ses thèmes majeurs : la
communion du corps et de l’esprit… sans paroles… au travers des yeux de
l’Enfant du Stalker…
Lorsque je me remémore mes rencontres, avant l’indicible… je me
rappelle parfois les conseils de lecture d’un ami que j’appréciais
beaucoup, lectures qui m’étaient apparues forts intéressantes mais qui
m'avaient néanmoins rendu hermétique au message…
A mon retour du « passage », je m’étais attelé à relire ces
livres, et j’avais découvert toute la profondeur de ces écrits… Et je
me remémorais cette rencontre avec cette Ami.
Qui était le passeur ? Le passé ? Je n’ai aucune certitude sur cela. Il
peut être tour à tour, dans le prolongement de ma main, de mes yeux et
tout autant devant mes yeux… comme un effet quantique, alors, qui peut
réellement savoir ? C’est pourtant une torture que de se croire l’un,
cela fausse toute relation, cela empêche vraiment toute communion avec
l’Autre…
Bref, Stalker, c’est un film pour ceux qui n’ont plus la foi… et aussi
pour ceux qui en ont trop ! :wink:
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus, j'ai trouvé un article
plus poussé sur l'oeuvre de Tarkovski ici.
Ps : La version DVD de MK2 est une catastrophe pour les
sous-titres. J’ai du sans cesse faire des retours en arrière pour
comprendre les dialogues… dommage…
|
|
Winnicott : Bouddhiste ou psy ?
|
|
J’aimerais vous présenter la pensée de Donald
Woods Winnicott (1896-1971). Il était médecin, pédiatre et
psychanalyste. Ayant tout récemment commencé à exploré le monde de la
psychanalyse, j’ai eu un travail à faire sur le principe de la «
préoccupation maternelle primaire » de Winnicott et j’ai été surpris de
découvrir la pensée toute singulière de ce monsieur. Il m’a donné
l’impression d’être un peu un « bouddhiste de la psychanalyse » et je
trouve particulièrement étonnant ses analyses, il y a là une intuition
phénoménale…
Avant de vous présenter un petit extrait de sa pensée, je vous livre un résumé de sa vie (plus complète de Winnicott sur Wikipédia).
De nature indépendante, Winnicott s’est apparemment orienté vers la
médecine à la suite d’une fracture, touché par le vertige de réaliser
qu’il pourrait être dépendant d’un médecin, ce qu’il l’a décidé
finalement à se lancer dans cette profession.
Pendant la 1er guerre mondiale, il occupe le poste de stagiaire
chirurgien. Il étudie plus particulièrement la physiologie (Science qui
étudie les fonctions normales ainsi que les propriétés des tissus des
organismes vivants, humains, végétaux ou animaux.) qui l’inspire peu.
Il s’oriente vers la pédiatrie pour s’occuper des enfants, intéresser
aussi par la relation avec le contexte familial et social.
En 1923, alors qu’il se sent à l’étroit dans une démarche
exclusivement médicale, Winnicott découvre l’œuvre de Sigmund Freud et
se lance dans une formation analyste, mais il réalise rapidement que la
psychanalyse s’adresse essentiellement aux adultes cultivés et non aux
enfants.
Entre 1920 et 1940, la psychanalyse de l’enfant va connaître un
essor considérable, notamment au travers du travail de Mélanie Klein et
d’Anna Freud, deux femmes totalement investi dans le même domaine et à
la fois totalement séparé par leur caractère et leur attachement à leur
idéologie. Entre ces deux écoles qui s’affrontent, Winnicott va tour à
tour être un disciple de formateur kleinien et annafreudiene, mais il
va choisir une tout autre voie, plus personnelle et indépendante, sorte
de voie du milieu. Il ne va pas non plus s’enfermer dans l’idéologie ou
devenir chef de file des idées qu’il va développer tout au long de sa
carrière.
Winnicott va alors retravailler à la source de la théorie
psychanalytique de Freud pour emprunter des chemins signalés par Freud,
mais peu explorés : notamment celui du jeu et de la créativité et aussi
de la prise en compte de la mère (évoqué dans une note de Freud en
1912), travail qu’il a toujours voulu complémentaire à celui de Freud.
Le travail de Winnicott est empreint de l’approche empiriste
anglo-saxonne, privilégiant « les faits qui est la réalité, aux
théories qui sont un balbutiement de l’homme à saisir les faits ».
Il a aussi une approche à la fois didactique et prophylactique
(préventif contre la nuisance) avec son entourage, en échangeant ses
idées avec tous médecins, psychiatres, parents, infirmiers, éducateurs…
Il croit en la résolution personnelle d’un conflit.
Il va développer plusieurs concepts, notamment les notions de
phénomènes transitionnels ou espaces potentiels (l’élection d’un objet
transitionnel par un bébé), qui symbolisent pour le bébé dans sa
relation au monde, la transition de sa créativité primaire à une
relation objectale, ainsi que les notions de Préoccupation Maternelle
Primaire et de self .
Le self (le Soi) est une notion toute étonnante qu’il a développé,
je ne sais s’il a été influencé (et après quelques recherches
infructueuses, je n’ai trouvé rien en rapport avec un thème bouddhiste
ou autre). Pour Winnicott, Le Soi, est un ensemble non fragmenté de la
représentation Freudienne moi-ça-surmoi. Un bébé au départ possède un «
Soi vierge » et va progressivement développer soit un vrai self (un
contact authentique et spontané avec la réalité) ou un faux self : on
retrouve ici ce cher thème de l’illusion! :)
Une mère bonne, au sens de Winnicott, est une mère qui répond
parfaitement aux besoins de l'enfant : c'est cette période qu'il
appelle la préoccupation maternelle primaire - état d'hypersensibilité
et d'empathie de la mère à mettre en regard avec la spontanéité du bébé
à sa naissance. C'est durant cette période "fusionnelle" que l'enfant
peut alors expérimenter le sentiment de continuité d'existence, qui va
l'aider à croire en la vie (par l'empathie de la mère) et pour qu'il
dépasse le sentiment d'annihilation provoqué par une discontinuité dans
sa relation avec le monde extérieur (absence de sa mère alors qu'il a
faim et qu'il est seul dans son berceau par exemple...).
Il y a aussi quelque chose qui me parle dans le passage de l'idée
que le bébé a l'impression - au sens de Winnicott - qu'il créait le
monde... (par exemple, lorsqu'il a faim et que sa mère arrive pour lui
donner le sein ou le biberon, il a l'impression qu'il fait apparaître
sa mère) quand il y a une telle communion, est-ce vraiment qu'une
impression? :wink:
«S’il existe un potentiel créatif
vrai, alors nous devons nous attendre à le trouver parallèlement à la
projection de détail introjecté, dans chaque effort productif, et nous
l’identifierons non tant en raison de l’originalité de la production,
qu’à cause du sens qu’a le sujet de la réalité de l’expérience et de
l’objet.
Le monde est créé à nouveau par chaque être humain, qui se met à
la tâche au moins aussitôt qu’il naît et prend son premier repas
théorique. Ce que crée le tout-petit dépend très largement de ce qu’on
lui présente au moment créatif : « on », c'est-à-dire la mère et son
adaptation active aux besoins du bébé ; mais, que la créativité du
tout-petit vienne à manquer, et les détails présentés par la mère
seront dépourvus de sens.
Nous savons que le monde était là avant l’enfant, mais l’enfant ne
le sait pas, et il a d’abord l’illusion que ce qu’il y trouve est une
création. Mais cet état des choses n’est réalisé que si la mère agit
suffisamment bien. Ce problème de la créativité primaire a été envisagé
comme l’un de ceux de l’enfance la plus précoce ; en fait, c’est un
problème qui ne cesse de prendre sens, tant que l’individu est vivant.
La compréhension que le monde existe avant l’individu se fera peu
à peu, intellectuellement, mais le sentiment demeurera que le monde a
été une création personnelle.
[…]
Les philosophes ont toujours été soucieux de la signification du
mot « réel » et des écoles de pensées furent fondées sur la croyance
que :
« cet arbre et ce caillou
cessent d’exister là où
il n’y a personne pour les voir »
la solution étant que
« cet arbre et ce caillou
continuent d’être en tout
tels que votre fidèle les a vus… »
Mais tous les philosophes ne sont pas capables de voir que ce
problème qui obsède tout être humain décrit en fait la relation
initiale à la réalité extérieure lors du premier repas théorique; ou
lors de n’importe quel premier contact théorique.
Je présenterai les choses de la manière suivant : quelques bébés
ont la chance d’avoir une mère dont l’adaptation initiale active au
besoin de l’enfant était suffisamment bonne. Cela leur permet d’avoir
l’illusion de trouver réellement ce qui a été créé (halluciné).
Finalement, après l’instauration de la capacité de relation, de tels
bébés peuvent faire le pas suivant vers la reconnaissance de
l’essentielle solitude de l’être humain. Finalement, un tel bébé
grandit pour dire : « je sais qu’il n’y a pas de contact direct entre
la réalité extérieure et moi-même, simplement une illusion de contact,
un phénomène intermédiaire, qui marche très bien pour moi lorsque je ne
suis pas fatigué. Rien ne pourrait m’être égal comme l’existence d’un
problème philosophique dans cette affaire ».
Les bébés qui ont un tout petit peu moins de chance dans leurs
expériences sont réellement embêtés par l’idée de n’avoir pas de
contact direct avec la réalité extérieure. Ils ont l’impression
permanente qu’une menace de perte de capacité de relation est suspendue
au-dessus d’eux. Pour eux, le problème philosophique devient et demeure
un problème vital, une question de vie et de mort, de manger ou de
dépérir, d’amour ou d’isolement.
Des bébés encore moins fortunés dont les expériences précoces
concernant la présentation correcte du monde furent embrouillées,
grandissent sans aucune capacité d’illusion de contact avec la réalité
extérieure (*); ou bien leur capacité est si mince, qu’elle s’effondre
devant la frustration, et qu’une maladie schizoïde se développe. »
La nature humaine. D.W. Winnicott. Editions Gallimard. p145-151
(*) Cette dernière phrase, que je viens de découvrir en relisant le
texte suggère presque que l'illusion serait "nécessaire"... étonnant
vraiment...
Voir aussi ce commentaire
|
|
|
|
|