Regards sur l'éveil
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Posté
par joaquim
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La Hulotte |
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La voie du guerrier, c’est être prêt à
chaque
instant à faire le grand saut dans le vide. S’il est vrai que le
courage de dire “oui” à l’inconnu au moment crucial est incontournable
sur le chemin de l’éveil, quelle que soit la voie empruntée, cet acte
de courage est tout-à-fait central dans la voie du guerrier, et
particulièrement radical, puisqu’il s’agit de dire “oui” à la mort.
«Je
découvris que la voie du samouraï,
c’est la mort. Si tu es tenu de choisir entre la mort et la vie,
choisis sans hésiter la mort. Rien n’est plus simple. Rassemble ton
courage et agis. (...) Tous, nous préférons vivre. Rien n’est plus
naturel donc, dans une situation de ce type, que de chercher une excuse
pour survivre. Mais celui qui choisit de continuer à vivre alors qu’il
a failli à sa mission, celui-là encourra le mépris qui va aux lâches et
aux misérables. (...) Si l’on veut devenir un parfait samouraï, il est
nécessaire de se préparer à la mort matin et soir et jour après jour.
Le samouraï qui est continuellement préparé à la mort, celui-là a
maîtrisé la voie du Samouraï et saura sans jamais faillir vouer sa vie
au service de son seigneur.»
Jōchō Yamamoto
(1659-1719), Hagakuré, in Yukio Mishima, Le Japon moderne et l’éthique
samouraï, Gallimard, 1985, pp. 48-49.
La nature nous offre en la personne du Martinet l’exemple d’un animal
qui doit, pour accéder à sa pleine nature, sauter littéralement dans le
vide, en surmontant l’angoisse de l’inconnu. La revue “La Hulotte”,
merveille de vulgarisation naturaliste, scolaire et ludique, en a fait
une description savoureuse:
La Hulotte,
Numéro 79, 2001, pp 22-25
N’est-ce pas à la fois incroyable et bouleversant de voir ce petit
animal, abandonné par ses parents, harcelé par la faim, se décidant
finalement, en désespoir de cause, à se jeter dans le vide, et qui à
travers cette opération-suicide se découvre lui-même, accède à sa vraie
nature et pénètre dans un élément auquel il n’osait pas se confier,
mais qui est le sien, pour lequel il a été fait sans qu’il le sache, et
dans lequel il va durant 2 ans 3 ans, sans jamais poser le pied au sol
(si! si!) voler, manger et dormir.
C'est plus radical que le passage de la chrysalide au papillon, et
c'est vraiment comme l'éveil, c'est faire confiance à ce qu'on est,
mais qu'on ne connaît pas et qui apparaît comme le vide...
L’éveil
n’est pas le fruit d’un épanouissement. C’est un retournement, une
rupture. L’éducation la mieux conduite, la plus respectueuse du bien de
l’enfant, ne peut le conduire à l’éveil. C’est d’ailleurs cela qui est
si frappant dans l’exemple des martinets: c’est lorsque les petits,
après avoir été choyés par leurs parents, sont brutalement abandonnés
par eux, lorsqu’ils se retrouvent face à un vide, qu’ils doivent alors
chercher en eux-mêmes la force de découvrir ce qu’ils sont. Ils doivent
trouver le courage d’oser devenir des oiseaux, d’oser voler, ce qu’ils
ne savent pas encore, et pour l’apprendre il leur faut plonger dans le
vide. L’éveil, c’est la même chose, c’est trouver le courage d’oser
être ce qu’on est, ce qu’on est derrière l’image que l’on a de soi,
cette image que l’on prend pour soi et qui masque pourtant ce que l’on est.
Une éducation trop parfaite ne constitue pas pour l’éveil une condition
particulièrement favorable, au contraire, car une vie trop agréable
dispense de la nécessité de s’extraire d’un enfermement finalement
assez confortable.
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