Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté du 25
octobre 2006 au 16 janvier 2008 par Jean-Marie
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Basculement
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A partir de 1998, j’ai commencé à me sentir
concerné par l’état économique, politique et écologique de la planète.
J’étais à la recherche de moyens de construire un monde meilleur. En
2001, les attentats de New York et Washington m’ont donné un
électrochoc et j’ai brusquement réalisé que la souffrance provoquée par
les conflits humains était bien plus forte que je ne l’avais imaginée.
Comme si la solution de ces conflits dépendait de moi, j’étais
animé d’une volonté puissante de comprendre la situation dont une bonne
part reposait sur des sensibilités religieuses différentes. Bien que ne
me sentant pas personnellement impliqué dans la religion, j’ai lu
quelques livres d’initiation à l’Islam.
Cette étude m’a plongé dans une constatation affligeante : croire à
la Vérité de sa religion implique de croire à l’erreur des autres et
suivre une religion sans croire qu’on est dans le vrai n’a pas de sens.
Une convergence, un véritable œcuménisme semblait dès lors totalement
illusoire. Au sein même de la chrétienté, l’histoire montre une
tendance à la divergence des sensibilités plutôt qu’à un rassemblement
unitaire.
Je cherchais désespérément une issue à cette situation
inextricable. Ma recherche amena mes pas à croiser ceux de John Spong,
un évêque épiscopalien américain. En quelques jours, j’ai dévoré son
dernier livre : « A New Christianity for a New World ». Ce livre
démonte les dogmes officiels et montre à quel point ils sont fossilisés
et choquants pour notre raison. Au lieu d’être une aide, ils
constituent donc un obstacle à la perception d’une réalité au fondement
même de la nature humaine. C’est cela qui est à découvrir… sans dogme.
A peine un mois après l’électrochoc de New York, j’encaissais donc un
deuxième électrochoc : d’un seul coup, Spong avait balayé toutes les
objections qui m’avaient fait rejeter la religion aux oubliettes à
l’âge de 20 ans. Je récupérais non plus une religion faite de croyances
et de dogmes mais un état de nudité et de fraîcheur sur le plan des
idées et une attention orientée vers l’essence des choses cachée sous
les apparences.
Cet état d’esprit se renforça encore en janvier 2002 à la lecture du
livre de Dürckheim : « Le Don de la Grâce ».
Voilà un peu l’atmosphère dans laquelle je baignais quand, début
mars 2002, quelque chose a basculé en moi, entraînant un renouvellement
complet de ma perception du monde et de moi-même.
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C’était
une après-midi comme une autre. J’étais
assis à mon bureau, le regard distraitement tourné vers la fenêtre. Le
souvenir d’un magnifique endroit au sommet d’un ancien volcan me
revenait à l’esprit et m’entraînait dans la rêverie.
Tout à coup, j’eu la sensation d’être comme aspiré à une grande
hauteur d’où la nature, les hommes, la terre m’apparaissaient dans une
paix et une harmonie insoupçonnée. Moi-même, j’avais l’impression
d’avoir été extrait d’une sorte de sphère close mais fissurée que, de
là-haut, j’identifiais immédiatement comme étant ma personnalité, mon
petit moi, ce qui avait constitué jusque-là mon univers, mon horizon.
La sensation n’a probablement duré que quelques secondes mais au
décours s’est présenté le choix de réintégrer ma personnalité ou de
rester en-dehors de la sphère, ce qui impliquait l’acceptation de
n’être rien, aussi bien à mes yeux qu’aux yeux des autres. J’ai choisi
de laisser la sphère vide. Il m’est resté un sentiment de légèreté, de
joie et de paix que je n’avais jamais connu. Le soir, dans le train,
j’avais envie de secouer les gens en leur disant : « mais enfin,
regardez par la fenêtre, ce n’est pas possible que vous ne voyez pas la
magnificence ». En même temps, je savais bien que le matin même je ne
la voyais pas non plus.
Le lendemain matin, grande surprise. Depuis des années, j’étais en
conflit avec deux de mes chefs. L’atmosphère au travail était tellement
lourde et tendue que chaque matin c’était un calvaire d’aller
travailler. Je me souvenais régulièrement d’une phrase que mon
grand-père répétait souvent : « La vie est une tartine de merde dont il
faut manger un morceau chaque jour ». Or, ce matin-là, la tartine avait
disparu. Aucun fardeau sur les épaules. Plus de traces d’agressivité
envers mes chefs.
Après quelques jours, je me suis senti obligé de parler à ma femme
de ce qu’il m’arrivait car mon changement intérieur aspirait à pouvoir
s’exprimer librement dans mon comportement. Le problème, c’est que je
ne savais pas quoi lui dire. Je ne comprenais pas moi-même ce qui
s’était passé. La seule chose dont j’avais à peu près conscience c’est
que je n’avais pas réintégré mon petit moi et que j’avais la sensation
d’une absence de limites autour de moi. Je lui ai donc dit que j’avais
quitté mon petit moi, que j’étais entré dans mon grand moi, que j’étais
en paix et débarrassé de tout conflit. Elle n’était pas rassurée et me
regardait un peu comme un extra-terrestre, ne sachant pas si j’étais au
bord de la folie, au seuil de la mort, sur le point de la quitter ou en
passe de devenir prophète. Mon sourire et ma sérénité ont cependant
fini par l’apaiser.
Dans les mois et les années qui ont suivi, j’ai eu beaucoup de joie
à découvrir derrière des mots toujours différents toute une série
d’auteurs parlant de cette profondeur qui forme la véritable identité
humaine et qui est identique chez chacun. J’ai évidemment retrouvé un
Krishnamurti bien plus clair qu’avant. Mais il y en a bien d’autres :
Dürkheim, Tolle, De Mello, Thomas Merton, Arnaud Desjardins, Maître
Eckhart, Aurobindo, etc… et bien sûr Jésus.
Je n’ai pas fait que lire et réfléchir, j’ai aussi essayé de
laisser ce « Grand Moi » s’exprimer à travers mon petit moi en lui
opposant le moins d’obstacle possible. En particulier envers mon
épouse. Mariés depuis 1975, notre relation avait glissé vers une sorte
de semi indifférence teintée de bienveillance. Chacun se rendait compte
que l’autre ne correspondait pas au « partenaire idéal » mais qu’il y
avait pire. Mon basculement intérieur m’avait libéré de cette image de
partenaire idéal. Je n’étais plus en attente ou en manque de cette
image. J’étais donc capable d’accepter mon épouse telle qu’elle était,
sans la comparer à une image idéale. Deux ans après moi, son ego s’est
à son tour effondré. Une nouvelle relation a pu commencer à se mettre
en place, non plus basée sur un besoin que chacun tente de combler par
l’autre mais sur le don et l’accueil gratuit. |
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Le basculement me fait pénétrer dans un
monde où
je me sens mu par la douceur, la tendresse. La joie aussi. La joie la
plus grande vient de ce que mon petit moi a enfin ouvert les yeux sur
ma présence. Il sait maintenant qu’il est observé. Il ne manifeste plus
sa volonté d’être aux commandes. Il lui arrive même parfois de fondre
en larmes car il réalise avec quel aveuglement il a mené ma barque
pendant 57 ans et, pendant ce temps, j’attendais, sans l’ombre d’un
reproche, dans une patience infinie mais avec l’immense espoir d’être
aperçu. Et lorsque le moment est arrivé, la joie explose, sans la
moindre nuance d’amertume.
J’éprouve
fortement cette sensation d’avoir
changé d’identité. Plusieurs d’entre vous sur le forum vivent le même
genre de sensation. Par contre, d’autres peuvent vivre une spiritualité
très riche sans rapporter ce déplacement identitaire. |
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Paradoxalement,
la personnalité ne devient
richesse qu’en devenant passoire, lorsque, s’adressant à l’essence,
elle dit : « Père, que ta volonté soit faite et non la mienne »
je
ne peux m'empêcher de constater que, dès que
je quitte mon fonctionnement cérébral, dès que je lâche prise, dès que
j'abandonne ma "personnalité ordinaire", il s'installe en moi une
"autre personnalité" (que je n'ai pas moi-même contribué à construire)
qui s'exprime par une relation "d'amour" avec toute chose et tout être,
qui souffre aussi, mais dont toutes les douleurs se résument toujours à
une seule : celle de se voir "cloué le bec", abandonné, par une
"personnalité ordinaire" (la mienne ou celle de quelqu'un d'autre) qui
reprend son autonomie et perd le contact. Cette douleur ne s'accompagne
cependant jamais d'un sentiment d'amertume. En attendant que la
"personnalité ordinaire" s'efface à nouveau, ce n'est que patience et
bienveillance et lorsque cela se reproduit, c'est la joie.
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Environ 3 mois après mon « basculement »,
j’étais encore dans le cirage à peu près complet. Je ressentais les
effets pacificateurs mais je ne comprenais pas grand-chose à ce qui se
passait. Je « faisais confiance » à ce qui se produisait en moi,
totalement prêt à accueillir tout ce qui se présenterait. Mes «
convictions d’athée » étaient tombées mais je n’avais rien mis à la
place. Je me demandais si j’allais devoir accueillir la venue du
Christ. Je scrutais mais je ne voyais rien venir. S’il venait, sous
quelle forme allait-il se présenter ? A quel signe le reconnaîtrais-je
? Ce n’était pas les questions qui manquaient. Mais toujours rien.
Puis un jour, la fulgurance de l’évidence : l’ « Esprit » dont
Jésus témoigne la présence en lui, les paroles qu’il utilise et que ses
disciples ne comprennent pas, ces paroles décrivent brusquement ce qui
est en train de se passer en moi.
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Quand Dieu s'empare de vous, vous êtes
vous-même. Quand vous vous éloignez de Lui, vous redevenez le psychique
ou le mental ou la personnalité ordinaire ou ...(les termes n'ont pas
d'importance)
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Depuis mars 2002, j’ai découvert une
réalité qui
avait échappé à mes yeux jusque là. A mon grand étonnement, j’ai
également découvert que cette réalité était décrite dans les Ecritures.
Mais pas seulement dans les Ecritures juives ou chrétiennes. Dans
toutes les Ecritures témoignant d’une expérience mystique. Les mots
utilisés sont toujours différents car les cultures et même les
individus sont différents. Mais le fondement est identique, à travers
toute l’humanité.
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Le « grand moi » ou « moi divin » est
beaucoup
plus difficile à cerner. C’est Cela qui (re)prend les commandes de
notre être si le « petit moi » lui cède la place. C’est sous
l’impulsion de Cela que notre agrégat biologique s’est mis en place.
Cela n’est pas né, ne grandit pas, ne vieillit pas, ne meurt pas. C’est
même un abus de langage de dire que c’est « vivant » car cela provoque
une confusion mentale avec le biologique. Cela n’est pas biologique.
Cela n’est pas non plus un produit de notre cerveau. Cela n’est donc
pas « spirituel » dans le sens d’une activité cérébrale. Heureusement,
sinon Cela disparaîtrait à notre mort biologique. Cela est « à l’image
du Père », c’est-à-dire de la même essence que tout ce qui existe. On
peut donc dire que c’est « le Fils du Père » en comprenant ce que ce
langage symbolique recouvre. Lorsque Cela est reconnu par nous comme
notre véritable fondement, notre « moi » véritable, alors l’Esprit du
Père et du Fils dirige nos actions et notre comportement prend l’allure
de ce que les hommes appellent Amour, à condition que le « petit moi »
accepte de jouer son rôle d’outil sans mettre des bâtons dans les
roues.
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Voici comment les choses se présentent pour
moi.
Ce que j’appelle l’éveil est pour moi une sorte d’état quasi permanent,
moins aigu que le premier jour, mais de même nature. Dès que j’ouvre un
œil le matin, cet état se rappelle à moi. Il ne me quitte pas durant
toute la journée. Et il m’arrive souvent pendant la nuit de passer une
heure ou deux dans un demi-sommeil en présence de cet état. Cela me
fait penser à ce que j’ai déjà lu sur la prière du cœur.
Personnellement, je n’ai réellement perdu la
permanence qu’une seule fois. Je l’ai peut-être déjà raconté, je ne
sais plus. C’était quelques jours après l’éveil. Mon mental a commencé
à m’assaillir de raisonnements logiques : la sensation de paix n’est
qu’une illusion. Tu sais très bien que rien n’a changé à l’extérieur.
Le monde est pourri. Il n’y a pas d’harmonie. Chacun tire la couverture
à lui. Si tu ne fais pas gaffe, tu va te faire bouffer par les autres.
Reprend ta dignité. Etc, etc… J’ai résisté quelques minutes, puis j’ai
éprouvé la sensation d’une chute et je me suis retrouvé exactement
comme avant. Mes conflits intérieurs étaient de nouveau présents, le
lourd poids sur mes épaules, les perspectives moroses, les limites de
ma personnalité… Cela a duré quelques heures, dans l’angoisse que cela
se prolonge, dans l’angoisse d’avoir perdu définitivement l’harmonie.
Puis, progressivement, j’ai retrouvé une certaine confiance dans la
paix que j’avais connue. Ce n’était pas une invention ou une illusion.
Elle était bien en moi, quelque part. C’était le soir. Avec
appréhension, je me suis persuadé d’aller dormir et que je verrais bien
le lendemain.
Le lendemain, j’étais sorti du désert. |
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L'éveil
m'a plongé dans la paix et l'harmonie
mais la compréhension ne vient que très progressivement. Dans les
premiers mois, j'ai commencé à écrire un livre. Je ne me rendais pas
encore compte qu'il existait déjà plein de livres sur le sujet. Vers la
page 140, j'ai arrêté car ma conscience, ma compréhension n'était plus
au même niveau qu'au début. Les symboles et les images que j'avais
utilisés au début ne me semblaient plus très bons. J'avais envie de
recommencer le travail et d'en parler autrement. Il y a 9 mois, j'ai
recommencé dès le début. Le travail est à nouveau stoppé. En fait, ma
compréhension ne cesse d'évoluer . Dans ces conditions, c'est très
difficile de rester satisfait de ce qu'on a écrit.
Même le sentiment d'amour universel, je ne l'ai pas ressenti d'un
seul coup dès les premiers jours de l'éveil. Il s'est développé progressivement.
Autrement dit, il n'est pas impossible que dans 2 ans je dise qu'en
2006, mon coeur était encore une pierre.
En fait, si je parle d'éveil, c'est parceque ce qui s'est produit
en moi en 2002 a été brutal. Mais n'était-ce pas tout simplement un
déblocage brusque d'un "retard" de conscience ? Il y a des chances que
si je n'avais pas eu ce blocage, j'en serais où j'en suis sans avoir eu
la "sensation" de l'éveil. Je suis persuadé qu'on peut être bien ancré
dans le "moi divin" sans pouvoir situer quelque part dans son histoire
un quelconque "éveil", tout simplement parce que les choses peuvent se
faire progressivement.
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Dans
mon vécu personnel, j’ai perçu mon «
expérience d’éveil » comme un brusque élargissement du champ de ma
conscience, comme si j’étais passé du téléobjectif au grand angle. Je
n’ai pas eu la sensation d’être passé d’une conscience à un autre type
de conscience mais seulement d’un agrandissement de mon champ de
conscience.
Par contre, ce qui a changé c’est le « lieu » où je situe ma
personne, mon identité. Avant l’élargissement de conscience, mon
identité correspondait à ce que j’ai défini comme l’ego, mais je n’en
savais rien, je ne le voyais pas. Je ne l'ai vu qu'après. Après
l’élargissement de conscience, j’ai le sentiment d’être un Moi que je
n’ai pas construit, qui ne s’est d’ailleurs pas construit avec mes
expériences, qui est hors d’atteinte de toute agression ou menace. De
ce Moi n’émane que la bienveillance et l’harmonie. L’émanation de ce
Moi doit encore traverser le filtre de ma personnalité (d’où l’intérêt
à rendre celle-ci la plus transparente possible) et emprunter le bon
vouloir de l’ego, qui, heureusement, est bien plus docile depuis qu’il
« sait » qu’il n’est plus le maître des lieux. Ce Moi est bien plus
simple et très différent du « petit moi » ordinaire que chacun se
constitue. Comme ce n’est pas moi qui ai construit ce Moi, on peut dire
que c’est un Moi impersonnel, ayant réellement des caractéristiques «
divines ».
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Au
moment où l'ouverture s'est produite, j'étais
dans un processus général de tension et de perception aiguë des
souffrances de l'humanité. En particulier, face aux réflexes
identitaires arabo-islamistes et américano-chrétiens qui s'affrontent,
j'étais dans une recherche de solution de ces déchirements meurtriers
et stupides. C'est John Spong ("A new christianity for a new world")
qui a ouvert en mon esprit la brèche dans laquelle allait naître
l'ouverture.
L'ouverture elle-même fut inconsciente, inattendue, surprenante.
Inconsciente : en effet, je n'étais pas en train de m'observer, j'étais
plutôt en train de rêver (alors que j'étais supposé travailler
). Inattendue car je n'étais pas en recherche d'un éveil mais d'une
solution raisonnée aux conflits du monde. Surprenante car la solution
que m'apportait l'ouverture n'était pas de l'ordre de la raison mais de
l'ordre de la perception directe de l'Unité sous les oppositions
paraissant irréductibles à la raison.
Par la suite, après quelques jours d'euphorie, le bénéfice de cette
ouverture se serait probablement estompé ou volatilisé sous les coups
de boutoir de ma raison qui me répétait d'arrêter de m'illusionner.
Mais l'ouverture m'avait ensemencé et quelques lectures avaient préparé
le terreau. Juste assez pour que ma raison finisse par comprendre que
c'était foutu pour elle. Elle s'est alors rangée à mes côtés et,
ensemble, nous avons commencé à laisser advenir le vrai processus de
l'éveil, l'ouverture étant la grâce qui sert de réservoir de confiance.
Jésus a dit (de mémoire)
"Vous avez cru parce que vous avez vu. Heureux ceux qui croient sans
avoir vu". C'est vrai que ça aide d'avoir vu.
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