Regards sur l'éveil
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scientifique
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Posté par
joaquim
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Réflexions
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La liberté,
dans son acception commune, c’est la
capacité de mettre en oeuvre sans contrainte d’aucune sorte les
dispositions de sa propre nature. Les choix qu’on opère sur cette base
répondent ainsi aux dispositions qui sont les nôtres. C’est une
position naïve, bien sûr, qui ne résiste pas à un examen critique. Car
comme l’a très bien montré Pierre,
ces dispositions qui sont les miennes relèvent toujours, en dernières
analyse, de contingences étrangères à ce “moi” qui s’enorgueillit, bien
à tort évidemment, d’avoir opéré librement un choix. Il a simplement
suivi une pente, et il lui fut d’autant plus aisé de la suivre qu’elle
était plus marquée. Ainsi seulement a-t-on l’impression que le choix
coule de source, et ainsi seulement procure-t-il un sentiment de
liberté. Une liberté parfaitement illusoire, comme chacun l’a bien vu.
Car un choix, pour qu’il soit vraiment libre, ne devrait pas simplement
répondre à des exigences découlant d’une nature qui m’a été prêtée par
la biologie et par l’éducation, mais il devrait découler de ma propre
nature en tant que je suis “moi”. La question de la liberté rejoint ici
la question de la nature de “je”. On en a beaucoup parlé sur le forum:
“je”, l’ego. “Je” est ce qui fait que “quelque chose” apparaît, c’est
par lui que le monde se dévoile sous la forme d’un monde-pour-moi. Le
monde ne prend une apparence qu’au moment où c’est à “moi” qu’il
apparaît. Sans “moi”, je ne pourrais rien dire de lui, il serait
non-existence. Et pourtant, ce n’est que de lui que je peux dire
quelque chose, et nullement de moi. “Moi” n’est que la scène sur
laquelle se déroule le théâtre du monde. “Je” suis le spectateur,
l’oeil qui regarde, mais qui ne peut se voir lui-même. Car aussitôt
qu’on retire tous les éléments de cette pièce, et qu’on laisse la scène
vide, il ne reste littéralement plus rien.
“Je” n’est rien de substantiel, il n’est qu’une sorte de qualité
attachée aux acteurs de ce théâtre, par laquelle ils deviennent
“miens”. L’éveil, c’est découvrir que “je” n’est pas qu’une simple
scène de théâtre. “Je” se perçoit comme un simple réceptacle, parce
qu’il dort. Mais aussitôt qu’il bouge, qu’il s’éveille, qu’il se saisit
comme existant, il se découvre comme ce qui fait que le monde est. Les
choses sont renversées: ce n’est plus parce que le théâtre du monde se
déroule dans ma conscience, que je me perçois moi-même comme être
conscient, mais c’est parce que “je suis” que le monde “est”. Les deux
termes se révèlent d’ailleurs identiques: “je suis”, “le monde est”. A
partir de là, le problème de la liberté apparaît sous un point de vue
totalement différent: la liberté n’est plus à voir comme l’expression
spécifique d’une insaisissable singularité de ma nature; elle est le
jeu toujours neuf qui naît de ma rencontre avec le monde. Voir un
objet, le toucher, quand en lui c’est “je” qui se révèle, c’est aller
au travers de chaque événement à la rencontre de sa propre liberté. Une
liberté qui a bien ce goût qu’on recherchait avant cela sans jamais le
toucher vraiment: un jeu totalement gratuit, en même temps que
totalement créateur. Les noces par lesquelles le monde m’engendre. Il
n’est plus nécessaire alors d’exprimer une hypothétique nature ultime
qui serait mienne pour me croire libre, il n’est qu’à naître à travers
chaque contact avec le monde.
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