Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté par
joaquim
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Réflexions
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Les
recherches sur le langage ont montré les
limites du discours et ont mis des bornes aux questions que l’on est en
droit de poser. J’emprunte la longue citation suivante à Paul Watzlawick,
l’un des fondateurs de l'école de Palo Alto, où furent posées les bases
de la compréhension des mécanismes de la communication et où fut conçue
la thérapie systémique. Cette citation est tiré de l'ouvrage devenu un
classique, coécrit avec Janet Beavin et Don D. Jackson: “Pour une
logique de la communication”:
«Ce concept (...) de Gödel (...) traite des propositions
formellement indécidables. Le système formalisé qu’il a choisi pour
formuler son théorème est celui des Principia mathematica,
l’ouvrage monumental de Whitehead et Russel qui explore les fondements
des mathématiques. Gödel a pu montrer que dans ce système, ou un
système équivalent, il est possible de construire une proposition, G,
qui: 1º est démontrable d’après les prémisses et les axiomes du
système, mais qui 2º dit d’elle-même qu’elle est indémontrable. Ce qui
signifie que si G est démontrée dans le système, son “indémontrabilité”
(ce qui est dit d’elle-même) pourrait également être démontrée. Mais si
on peut déduire à la fois qu’elle est démontrable et qu’elle ne l’est
pas à partir des axiomes du système, et si les axiomes eux-mêmes sont
“consistants” (ce qui fait partie de la preuve de Gödel), alors G est indécidable dans les termes du
système (...). La preuve de Gödel a des conséquences qui
débordent largement le cadre de la logique mathématique; elle
prouve, en fait, une fois pour toutes, que tout système formel
(mathématique, symbolique, etc.,) est nécessairement incomplet au sens
posé plus haut, et que, en outre, on ne peut prouver la “consistance”
d’un tel système qu’en recourant à des méthodes de preuve plus
générales que celles que le système lui-même peut engendrer.
«Si nous nous somme étendus assez longuement sur l’oeuvre de Gödel,
c’est parce que nous y voyons l’analogie mathématique de ce que nous
pourrions appeler le paradoxe fondamental de l’existence de l’homme.
L’homme est en fin de compte sujet et objet de sa recherche. S’il est
vraisemblablement impossible de dire si l’on peut considérer son esprit
comme analogue à un système formalisé, tel que nous l’avons défini au
paragraphe précédent, sa quête d’une compréhension du sens de son
existence est une
tentative de formalisation.
En ce sens, et en ce sens seulement, il nous semble que certains
résultats de la théorie de la preuve (notamment les idées
d’auto-référence et d’indécidabilité) peuvent être pertinents. Cette
découverte ne nous appartient nullement; en fait, dix ans avant que
Gödel ne présente son brillant théorème, un autre grand esprit de notre
siècle avait déjà formulé ce paradoxe en termes philosophiques: Ludwig
Wittgenstein dans le Tractatus
logico-philosophicus. Nulle part ailleurs, sans doute, ce
paradoxe existentiel n’a été défini avec plus de lucidité, et nulle part ailleurs,
sans doute, on n’a apporté à l’aspect mystique une
position plus digne, comme ce qui finalement transcende ce paradoxe.
«Wittgenstein montre que nous ne pourrions connaître quelque chose sur
le monde comme totalité que si nous pouvions en sortir; mais si cela
était possible, ce monde ne serait plus tout le monde.
Cependant notre logique ne peut rien connaître hors du monde:
Citation: |
La
logique remplit le monde: les limites du monde sont aussi ses propres
limites.
Par conséquent, nous ne saurions dire en logique: il y a telle et telle
chose dans le monde, non pas telle chose.
Cela semblerait en effet présupposer que nous excluions certaines
possibilités, ce qui ne saurait être le cas, puisque alors la logique
devrait transgresser les limites du monde: comme si elle pouvait aussi
considérer ces limites de l’autre côté.
Ce que nous ne pouvons penser, nous ne saurions le penser; donc nous ne
pouvons dire
ce que nous ne saurions penser.
Ludwig
Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5-61 |
«Le monde est donc à la fois fini et illimité, illimité précisément
parce qu’il n’existe rien en dehors du monde qui pourrait délimiter une
frontière avec ce qui est dans le monde. Mais s’il en est ainsi, il
suit que “le monde et la vie sont un. Je suis mon monde (op. cit.,
5-621 et 5-63)”. Le sujet et le monde ne sont donc plus des entités
dont la relation est, d’une certaine manière, régie par l’auxiliaire avoir (on a l’autre, on le
contient ou on lui appartient), mais par le verbe existentiel être: “Le sujet n’appartient pas au
monde, mais il constitue
une limite du monde” (op. cit., 5-632).
«A l’intérieur de cette limite, on peut poser des questions qui ont un
sens et y répondre: “Si une question se peut absolument poser, elle peut aussi trouver
sa réponse (op. cit., 6-5). Mais “la solution de l’énigme de la vie
dans l’espace et le temps se trouve hors de l’espace et
du temps” (op. cit., 6-4312). Car, comme il doit être plus qu’évident
désormais, rien à
l’intérieur d’un cadre ne permet de formuler quelque
chose, ou même de poser
des questions, sur
ce cadre. La solution ne consiste donc pas à trouver une réponse à
l’énigme de l’existence, mais à comprendre qu’il n’y a pas d’énigme.
C’est l’essence même des admirables maximes finales du Tractatus, qui font
penser un peu au bouddhisme zen:
Citation: |
Une
réponse qui ne peut être exprimée suppose une question qui elle non
plus ne peut être exprimée.
L’énigme n’existe
pas (...) (6-5).
Nous sentons que même si toutes
les possibles
questions scientifiques ont trouvé leur réponse, nos problèmes de vie
n’ont pas même été effleurés. Assurément il ne subsiste plus alors de
question; et cela même constitue la réponse (6-52).
La solution du problème de la vie se remarque à la disparition du
problème. (N’est-ce pas la raison pour laquelle des hommes pour qui le
sens de la vie est devenu clair au terme d’un doute prolongé, n’ont pu
dire ensuite en quoi consistait ce sens?) (6-521).
Il y a assurément de
l’inexprimable. Celui-ci se montre,
il est l’élément mystique (...) (6-522).
Ce dont on ne peut parler, il
faut le taire (7). |
P. Watzlawick,
J. Helmick Beavin, Don J. Jackson, Une logique de la communication,
Seuil Essais, § 8-62 et 8-63.
Autrement dit, en toute rigueur logique, le problème, ce qui fait
problème, ce n’est rien d’autre que celui qui perçoit un problème,
celui qui se perçoit lui-même comme une énigme, autrement dit l’ego, et
la solution, c’est donc évidemment la disparition de celui qui pose
problème...: c’est cela l’éveil.
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