Regards sur l'éveil
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Posté par
joaquim
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Etonnement
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Pour
ma part, Dieu n'est pas un sujet de croyance, ni même d'expérience; il
est la source de cet insondable étonnement par lequel l'être humain se
découvre exister. Aller au fond de cet étonnement-là, c'est Le
découvrir. Lorsque je me saisis comme origine indépendante de Dieu, la
question que je suis, si je me la pose à moi-même, me revient en écho,
indéfiniment, comme si j'étais suspendu au-dessus d’un abîme
vertigineux. Chercher en moi la réponse à la question que je suis,
c’est tomber sans fin dans mon propre abîme. Au contraire, ne chercher
aucune réponse, déposer les armes, et demeurer simple question... c’est
faire de soi une ouverture totale, c’est accueillir Ce qui Est, c’est
recevoir Dieu comme réponse.
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“Je
suis la vérité”. Je le comprends comme: “Je n’ai pas la vérité,
je suis la
vérité”. Cela ne veut pas dire que Jésus aurait eu un ego démesuré, qui
prétendrait être la vérité. Cela veut dire que “Je Suis” est la
vérité. Si Jésus pouvait le dire, c’est parce qu’en même temps, il
disait: “Que Ta volonté
soit faite”.
Lorsque “je” ne prétends rien par lui-même, mais qu’il accueille Ce qui
Est, “je” n’est plus le petit “je” appropriatif, il est “Je Suis”.
Lorsqu’il renonce à posséder une quelconque vérité, il est
la vérité. Sinon, la vérité n’est qu’une construction cherchant à
rendre compte de la réalité, mais qui ce faisant étend un voile sur
elle, un voile qui est l’image qu’on s’en forme, et qu’on appelle la vérité, mais qui
n'est jamais que sa
vérité. Lorsque le Bouddha dit “Je
n’ai pas trouvé la vérité”
(s’il l’a bien dit, je n’en ai trouvé aucune mention...), il faut me
semble-t-il l’entendre dans le sens qu’a dit Nout, c’est-à-dire qu’il
n’a rien trouvé parce qu’il n’y a rien à trouver, que “je”, dès qu’il
trouverait “quelque chose” qu’il appellerait “vérité”, ferait de cette
chose un objet dont il se trouverait séparé, un objet qu’il chercherait
à s’approprier, tombant ainsi dans l’illusion. Il n’y a pas de vérité à
trouver: ce n’est que lorsqu’on cesse de chercher, lorsque “je” cesse
de vouloir “quelque chose”, qu’il est,
tout simplement, et qu’il est alors la vérité.
Dire que Jésus seul serait la vérité, c’est faire de la vérité une
chose particulière — donc appropriable. C’est la mettre en compétition
avec d’autres. Or Jésus a dit: “Avant qu’Abraham fut, je suis”. Non pas
“j’étais”, ce qui aurait impliqué que le “moi-je” de Jésus fut, mais
“je suis”. Dans ce sens, Jésus est vraiment l’incarnation du mystère de
l’homme-Dieu. |
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L’éveil, c’est découvrir qu’au centre de ma
conscience, au plus
intime de moi,
“Je suis”. Ce
qui revient à dire: découvrir que “Dieu est”. Ce qui revient à dire:
découvrir Dieu. L’éveil est le mouvement qui me fait basculer dans
Dieu. Il n’est jamais acquis, au même titre que je ne deviens jamais
Dieu. Mais je suis un en Dieu.
En Dieu, il y a identité aussi bien que relation, à l'image des
trois personnes de la Trinité, qui sont trois en une (et non pas trois
séparées).
L'Eglise n'a jamais prétendu que l'homme serait Dieu (blasphème!), mais
bien est appelé à advenir à lui-même en Dieu.
"Deus
homo factus est ut homo fieret Deus" : "Dieu s'est fait homme pour que
l'homme soit fait Dieu." Saint Irénée, martyr chrétien du
IIIe siècle.
«Si le Christ est Dieu-fait-Homme, son être même — et non pas seulement
ses paroles — révèle à l’homme qui il est. Dans le Christ, l’homme découvre
ce qu’il peut et doit devenir pour être homme. Le mystère
de l’homme, de tout homme, est son aptitude essentielle à devenir par
le Christ ce qu’est le Christ.»
«Dieu n’est pas devenu Père des
hommes à partir de la naissance historique de Jésus Christ. Il l’est de
toute éternité, “dès avant la création”, dit saint Paul. En d’autres
termes le Christ — c’est-à-dire l’unité de Dieu et de l’homme — est
premier dans la pensée divine.»
François
Varillon sj, “Un abrégé de la foi catholique”, Ed. Bayard, 2006, pp. 31
et 34. |
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La parole du centurion romain: “Seigneur, je ne suis pas digne
de te recevoir, mais dis seulement une parole et mon enfant sera guéri.”
(Mt.8:8) a été reprise par l'Eglise
catholique au centre de la liturgie eucharistique, au moment de la
consécration, mais modifiée ainsi: “Seigneur,
je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.”
Le Christ, ce n’est pas seulement celui dont parlent les Ecritures.
C’est le Ressuscité, dont le corps est constituée de l’assemblée des
croyants: l’Eglise, corps mystique du Christ. Pour moi — et je suis
bien conscient d’exprimer là une opinion qui n’est pas celle l’Eglise —
le Christ tel qu'il se manifeste aujourd'hui aux convertis n’aurait pas
eu d’existence tangible si l’Eglise n’était pas née, c’est-à-dire si
n’avaient pas existé durant tous les siècles jusqu’à aujourd’hui ces
hommes et ces femmes qui ont communié ensemble dans la même foi en le
Ressuscité. Les croyants n’ont pas passivement accepté la foi, comme on
reconnaîtrait une vérité existant dans l’absolu; ils ont donné un corps
vivant au Christ en qui ils croyaient; sans leur foi, le Ressuscité
serait resté auprès du Père d’où tout émane. Par leur foi, les croyants
depuis des siècles donnent au Christ un corps, un corps mystique, parce
qu'ils reconnaissent, comme St-Paul: “Non pas moi, mais Christ en moi”.
C’est une vision personnelle, qui s’éloigne quelque peu de celle
que prônent les églises établies, car pour celles-ci, la question de
savoir ce qui serait advenu de l’Eglise si le christianisme n’avait pas
connu le succès que l’on sait ne se pose pas. Elles voient dans la
réalité historique du Christ un événement qui transcende le monde.
Elles ne sauraient d’ailleurs faire autrement, car elle s’originent
dans cet événement, et nul ne peut penser l’absence de sa propre
origine. L’origine de leur existence se situe dans la vie et la mort du
Christ. Imaginer que le Christ ne soit qu’un événement accidentel dans
le cours de l’histoire serait pour elles comme pour nous d’imaginer que
l’apparition de nos ancêtres humains sur la terre pût ne pas avoir eu
lieu. Bien sûr, on peut le faire abstraitement. Mais, lorsqu’on y
réfléchit plus profondément, ce monde abstrait, à l’intérieur duquel se
pose la question de la non-existence possible de l’humanité, n’existe
lui-même que parce que ces ancêtres sont bel et bien apparus. On se
heurte à un paradoxe têtu. Le même paradoxe que celui dans lequel
chacun tombe lorsqu’il réfléchit à sa propre naissance. Les conditions
qui ont prévalu pour qu’apparaisse cet être que je nomme “moi” reposent
sur un concours de circonstances si hasardeux que les probabilités ne
donnaient qu’une chance infime que ce “moi” précis advint. Et pourtant,
je ne peux faire autrement que lui accorder une réalité absolue,
indépendante de tout hasard, car sans lui, rien n’existerait. Rien de
tout ce monde qui est devant moi.
Je crois qu’on touche là un point central, le mystère du “moi”,
si fragile, si vulnérable en apparence, et pourtant si nécessaire. Pour
la cohérence de la pensée, il serait bien plus commode de le considérer
comme éternel. Tout se tiendrait alors. Mais on rechigne à se
considérer comme éternel, car on sait qu’on va mourir. On ne le sait
pas “en soi”,
mais on le sait
à l’intérieur de l’image que l’on se fait du monde. Dans le monde qui
s'offre à moi, je vais un jour disparaître. Chacun qui s'éveille au
monde prend un jour conscience de cette tragique certitude. Et on sait
aussi que d’autres existent, semblables à soi, qui continueront
d’exister, et “leur”
monde
avec eux, lorsqu'on aura soi-même disparu. Si mon moi est écartelé
ainsi entre une exigence d’éternité et une condamnation à l’éphémère,
ce n'est pas par une quelconque fatalité absolue, mais c’est simplement
parce qu’il est paresseux, parce qu’il dort. Parce qu’il croit être un
monde, et qu’il se comporte en fait comme une plaque photographique. Il
ne sait pas qui
il est. S’il s’éveillait, il verrait qu’il est Je Suis. Qu’il est
éternel. Et que les autres “moi”
ne sont pas d’autres mondes, mais qu’ils sont un en “Je Suis”. “Non pas moi, mais Christ en moi”.
C’est ainsi que je partage la foi chrétienne. |
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La seule relation possible avec Dieu, c'est
de lui dire "oui"
ou "non".
Lui dire "non",
c'est s'enfermer en soi-même, dans un ego illusoire, et du coup se
condamner au non-Être (ou si l'on veut, s'enfermer dans l'état de
séparation, de dia-bolos).
Lui dire "oui",
c'est renoncer à cette illusion que l'on prend pour soi-même, et c'est
du coup se trouver accueilli en Lui; c'est découvrir en Lui que nos
propres frontières sont celles de l'Être même. Ce "oui",
qui nous fait accéder à l'éternité, ici et maintenant, n'est bien sûr
jamais acquis dans le domaine du devenir, dans notre chair humaine
périssable; il est à réaffirmer à chaque instant, dans la pleine
conscience de sa propre indignité. Dans ce sens, on peut dire qu'on ne
saurait se sauver par ses propres forces, mais
que seule une force surhumaine peut le faire: la grâce. On implore
celle-ci à travers le geste d'humilité qui nous fait reconnaître notre
propre indignité. C'est cela, le sacrifice de soi.
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Je crois que c’est aller un peu
vite en besogne que de faire découler le "oui" rédempteur d’une volonté
impersonnelle. C’est sauter à pieds joints sur le mystère de la nature
humaine, occulter la mystérieuse articulation entre le fini et
l’infini. Le petit moi personnel n’est pas libre, on est d’accord,
chacun de ses choix est conditionné par une histoire qui lui préexiste
et qui l’a produit. Pourtant, il y a un choix qu’il est capable de
faire librement: c’est celui de dire "oui". Et il n’y a personne
d’autre que lui qui puisse le faire. Dieu n’a pas de "oui" à dire dans
le temps, il aime inconditionnellement de toute éternité. Mais moi,
petit moi que je suis, dois dire ce "oui"maintenant, dans l’instant.
Comme l’a si bien dit Maurice Zundel: "La
Révélation est un dialogue qui suppose que, autant que Dieu est engagé
- et Il l'est infiniment - selon notre mesure, nous nous engageons à
notre tour et, en nous libérant de nous-même dans le rayonnement de Sa
Présence, nous Le laissons transparaître."
Je crois que
ce point est crucial, car c’est autour de lui que tournent tous les
malentendus à propos de l’impersonnalité, et d’une éventuelle
disparition définitive de l’ego. L’ego n’existe pas, on est d’accord.
Mais il ne suffit pas de l’affirmer, ni même d’avoir vécu ce que cette
affirmation implique, pour être quitte de lui. L’ego n’existe pas,
d’accord, mais du coup, il ne saurait non plus disparaître, et moins
encore définitivement. La proposition "l’ego n’existe pas" ne contient
aucune vérité (elle est plutôt auto-contradictoire), mais elle ouvre
sur deux mouvements: le mouvement du "non", par lequel l’ego en
s’affirmant lui-même, affirme son propre non-être, et le mouvement du
"oui", par lequel l’ego en se niant lui-même, révèle l’être dont il
n’est que l’ombre. C’est une dialectique, une dynamique, un geste, et
non un état.
Source
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Nous
sommes des êtres de chair et de sang, qui appartenons au monde
manifesté. Nous avons la possibilité d’accéder à la dimension divine,
parce que c’est elle qui nous fonde. Lorsqu’on vit ce qu’on nomme
l’éveil, on se découvre avoir été depuis toujours le fondement du
monde, sans l'avoir jamais su. On peut dire alors: “Je suis Cela”. Mais
bien qu’on le soit au plus haut point, et cela de toute éternité, on ne
pourra jamais, en tant qu’être de chair et de sang, le considérer comme
acquis. IL est toujours là, derrière la manifestation, et nous LE
sommes. Toujours au présent, de toute éternité. Mais il n’est pas
acquis dans notre partie périssable, il n’est pas acquis dans la durée,
car si tel était le cas, l’éternité serait tout-à-coup advenue. Ce qui
ne saurait être. Comme il ne saurait être que nous devenions Dieu. Nous
advenons à nous-même en Lui. A travers l’Autre. L’altérité est, à mon
avis, la porte vers Dieu. S’ouvrir à l’autre, c’est sortir de soi, et
c’est entrer en Dieu. L'illusion, ce n'est pas l'altérité, mais bien
l’état dans lequel on se trouve tant qu’on ne prend pas le risque de se
perdre en elle.
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