Regards sur l'éveil
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scientifique
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Posté du 27
août 2007 au 17 février 2008 par Pascal
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Approcher du présent
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depuis quelques années je suis ému par la
simplicité et l'authenticité des témoignages de personnes vivant
l'éveil.
Je m'appelle Pascal, j'ai 36 ans. J'ai la chance d'être musicien
(pianiste et compositeur pour être précis!) et d'avoir fait de cette
pratique mon "activité de vie".
Et la musique est pour moi un guide précieux.
J'ai parfois l'impression, lorsque je joue ou compose, d'être dans
ce qu'on pourrait appeler un état d"éveil artitique": mélange de lâcher
prise et de vigilance totale dans l'instant présent, toujours créatif.
Même si je suis conscient que les lectures que j'ai pu faire
(Prajnanpad Krishnamurti, De Mello, Tolle...) , aussi enrichissantes
soient-elles, ne remplaceront jamais la découverte du "soi", j'ai
l'impression qu'elles n'en sont pas moins des panneaux indicateurs
précieux qui m'ont aidé dans mon évolution aussi bien musicale
qu'humaine (les deux étant liées bien sûr). Et voilà que je me
surprends aussi à enseigner la musique à des élèves en vantant les
vertus du moment présent et de l'observation de soi!
J'aime bien l'idée que l'on ne passe pas forcément d'une erreur à
la vérité mais d'une vérité à une autre vérité, plus profonde.
Je remarque depuis peu que mon ambition (pas tant pour les projets
eux-mêmes que pour moi-même) s'atténue sans que je ne le recherche, mes
attachements aux choses extérieures sont moins fortes, en ayant
conscience que par définition elles ne procureront jamais le "bonheur".
L'éveil que l'on ne peut rechercher pourrait-il être néanmoins aussi le
fruit d'un processus dans le temps?
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Pardon de revenir une nouvelle fois à mon
cas
personnel mais lorsque je me suis présenté sur ce forum récemment, j'ai
dit que j'avais perdu certains attachements, attentes ou dépendances,
et que cela s'était fait naturellement, sans le rechercher. Le regard
des autres par exemple qui m'importaient tant a perdu son poids.
Comment cela s'est-il produit? (même si je reste conscient que cet état
de calme peut s'enfuir à tout moment)
Au fond, je tente "juste" de surveiller mon état intérieur sans
forcément rechercher quelque chose de particulier (ou alors peut-être
bien que si, je tente sûrement d'éviter la souffrance).
L'autre jour par exemple, pendant un voyage en voiture de 5 heures,
j'ai tenté d'observer mes pensées.
Une chose est sûre (d'où ma question initiale): cette
désidentification au mental, donc ce regard objectif sur la réalité,
sur le moment présent, même momentanée, provoque un degré (une étape?)
de conscience différent, une sérénité (ou plus exactement une absence
d'agitation), et même l'amour.
Paradoxe (pour un non éveillé!) que le fait de regarder à l'intérieur
nous fait aimer mieux les autres... |
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Pour en revenir à la notion de "processus"
vers
l'éveil, celui-ci ne peut donc exister puisqu'il s'agit en fait de
reconnaître le caractère immuable qui est déjà en chacun de nous.
Mais il semble que tout ce qui peut nous faire comprendre que l'ego
n'a pas d'existence propre, est une manière de faire tomber une à une
nos illusions.
C'est donc ce qu'appliquent à transmettre certains témoignages en
tentant de nous montrer ce qui est faux en nous.
Et cette seule prise de conscience (sans parler d'éveil), souvent
si évidente, si profonde, si déjà enracinée en nous "(on se surprend à
se dire "oui, cela est vrai") permet déjà de nous en libérer à des
degrès divers.
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Avant de produire un son, il y a une
anticipation de ce son. Cette anticipation est en fait une appréhension
du caractère de l'oeuvre, comme si l'on cueillait l'énergie qui naît du
silence pour "prendre le train en marche".
Tout travail qui n'est pas en relation avec cette énergie
(appelons cela comme on veut, la force, la vie, Dieu...) est nul et non
avenu.
En fait, lorsque le trac survient, il se produit une sorte de
rupture de cette énergie, de sorte que l'attention n'est plus fixée sur
le moment présent mais un peu après lui.
C'est comme si l'on conduisait une voiture et qu'on avait peur de
ce qui allait se passer 1 km plus loin, et que le regard se fixait
soudainement sur l'horizon au lieu de la route.
Comprendre déjà les raisons de ses peurs qui peuvent être
multiples: le regard des autres, l'importance de l'échéance, la fatigue
accumulée, sont une grande partie de la solution.
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Notre esprit plein de conditionnements
établit
constamment des hiérarchies et réagit aussi en fonction du souvenir
qu'il a de ses écoutes précédentes.
Je me souviendrais toujours le jour où j'ai entendu une musique
qui provenait d'une radio lointaine. J'avais l'impression de ne jamais
avoir entendu une musique aussi belle, j'avais l'impression de ne pas
la connaître, et que chaque son provoquait une résonance et une
surprise en moi. Au bout de quelques secondes, je réalisais qu'il
s'agissait en fait du Requiem de Fauré, une oeuvre que je connaissais
depuis longtemps et qui ne m'avait jamais vraiment ému jusqu'alors.
Je l'avais en fait vraiment entendue pour la première fois, avec
une oreille toute neuve, sans aucun repère et donc sans aucun jugement
ni a priori vis à vis d'elle.
Ce fut pour moi une grande leçon de musique et de vie que je pris ce
jour là.
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Il me semble qu'on pourrait comparer cette
notion de partage à celle où l'on veut faire découvrir à quelqu'un une
belle musique par exemple.
Nul besoin de se mettre en avant (au nom de quoi, de l'avoir
découverte?), ni la musique en avant (les mots seraient bien
réducteurs). On s'efface devant elle, car elle se suffit à elle-même et
n'a pas besoin de quelque confirmation que ce soit.
On reçoit et on donne en même temps. On peut certes en parler
ensuite, pour exprimer par exemple un ressenti, des émotions, mais
c'est comme si l'essentiel avait déjà été dit.
Au fond c'est une sorte de communion avec la musique (ou un autre
art), et on rejoint l'autre aussi dans la reconnaissance tacite de sa
beauté, qui nous unit en l'instant. |
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Après la compréhension profonde que je
n'étais
pas le mental, s'est suivi celle que j'étais ce qui "restait" lorsque
celui-ci était absent: un espace, une ouverture, sans identité aucune.
La conscience simple et transparente du JE SUIS. Je suis la vie.
Avec des moments où l'on se "fond" littéralement dans ce qu'on
voit, ce qu'on vit, où il n'y a plus de différence entre observateur et
observé.
Actuellement je ne me demande plus si cela correspond à un certain
éveil, ni à "quel" éveil.
Je sais simplement qu'il me faut rester présent, et que ces moments
ont toujours été naturels mais que je les comblais avant (l'ego n'ayant
plus rien à se mettre sous la dent), alors que je les savoure
maintenant.
Cette prise de conscience change profondément l'existence à tous égards. |
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Aujourd'hui, je ressens en effet une
fraicheur et une confiance nouvelles (certains l'appelleront foi).
Il s'agit d'un abandon total en la musique, plus précisément en
cette conscience impersonnelle qui me donne souvent l'impression
"d'être joué".
Un océan sans limite qui ne m'est aucunement extérieur.
La musique n'est alors même plus importante.
Ce qui est nouveau, c'est que cet état est non seulement vécu mais
reconnu, et que ce qui m'apparaissait auparavant comme un guide
précieux à travers la musique, je le retrouve souvent dans la vie de
tous les jours.
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Pour ma part (pardon de parler de moi, mais
vouloir ne pas le faire me paraîtrait ici un autre conditionnement),
j'envisage maintenant comme un piège le fait d'appréhender ce que le
mot éveil veut dire.
D'abord parce que je pourrais y chercher quelque chose d'extérieur qui
viendrait un jour m'envahir, mais aussi parce que j'entrerais alors
dans une recherche ou une attente sans fin, pouvant occulter même
d'importantes révélations sur moi-même.
Alors éveil pas éveil? Qu'importe.
Ce qui compte le plus à mes yeux, c'est le fait que la plupart des
choses auxquelles je croyais ou me raccrochais auparavant soient
tombées s'en m'en rendre compte aussi vite qu'un château de cartes:
identification sociale, religieuse, regard des autres etc...
Même mon métier de musicien, que la société façonne pourtant avec
sa forte dose de narcissisme, est passé au filtre du "laisser faire ce
qui est".
Lorsque l'on comprend qui on était pas, le Rien vient nous envahir.
Mais ce Rien est probablement vécu par la plupart des gens comme un
gouffre épouvantable, un chaos, à éviter ou à compenser.
Je me sens comme ayant l'immense privilège de pouvoir accueillir
ce Rien sans peur, en me reconnaissant petit à petit comme étant lui,
et en essayant d'être le plus honnête possible. C'est à dire vivre dans
un ressenti de chaque instant, en reconnaissant encore et toujours en
moi les automatismes figés. |
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Tu as cité plusieurs compositeurs, dont ce
que j'appelle une trilogie : Mozart, Schubert, Chopin.
Cela n'a rien à voir avec une quelconque préférence mais plutôt
ceux qui me paraissent avoir été touchés par la grâce la plus
miraculeuse.
Lorsqu'on regarde les manuscrits de Mozart par exemple, il n'y a
aucune rature, tout lui venait avec une facilité déconcertante.
D'ailleurs il composa plus de 600 oeuvres dans sa courte vie.
L'exemple inverse est sans doute Beethoven: il y a tellement de
ratures sur certaines de ses pages qu'il est souvent impossible de
relire quoi que ce soit!
Beethoven, pour moi, c'est la musique de la non acceptation: du
destin, du temps... Il n'en demeure pas moins que sa musique
bouleverse, qu'elle est profondément humaine, terrestre, et que (mais
toujours pour moi) même ses élans vers le céleste semble voué à
l'échec.
Quant à Bach, on a parfois l'impression d'une immense cathédrale où
chaque pierre serait parfaitement à sa place.
Je suis d'ailleurs parfois un peu agacé par ceux qui y voient une
certaine emprise de la raison dans l'art. D'ailleurs Bach, qui n'avait
pas conscience de son génie, écrivait que quiconque travaillerait avec
la même ferveur que lui arriveraient aux mêmes résultats... A méditer,
sans doute.
Encore une chose qui me frappe avec tous ces compositeurs, à la fin
de leur vie, ou plutôt au moment où ils sentent la mort approcher (31
ans pour Schubert), leur musique devient plus dépouillée, utilise moins
de notes, moins de moyens.
C'est comme si la musique elle-même était devenue si peu importante
pour exprimer les choses...
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je viens de donner, ce qui est rare, une
douzaine de concerts consécutifs avec exactement le même programme et
cela m'a beaucoup appris. Chaque soir était bien sûr différent et pour
certains, j'ai ressenti comme cela arrive parfois cet abandon total,
cette confiance illimitée en la musique, qu'une poussière aurait pu
venir interrompre.
C'est exactement cela: je suis joué, en fait: je ne me mets pas
au travers de ce qui me vient, ce qui est très difficile car le
contrôle (qui reste primordial) peut casser le fil à tout moment.
Il me semble que cette confiance en la musique est la confiance en soi,
en Soi.
Nous sommes pris par le vertige de se sentir le vecteur,
l'expression la plus pure de la Nature, d'être Dieu, et sentons qu'il
n'y a pas à s'approprier cette inspiration. Pour autant, et cela peut
paraître paradoxal, mes identifications, mes peurs semblent participer
aussi à cette transmission. L'homme et l'artiste sont liés.
Enfin, je dois dire que lorsque je m'aperçois de cet abandon, il
s'évanouit. C'est dire que lorsque je suis dans cet état d'abandon, il
n'y a personne pour s'en apercevoir.
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En fait, ce qui pourrait ressembler à des
moments "d'éveil" pour moi n'ont rien à voir avec la transcendance, le
sublime, la fusion au divin. Ce sont juste des moments ordinaires,
"banals", paisibles. Dans l'activité normale du mental, ces moments
sont inutiles, fuits pour autre chose, que la société ou le regard des
autres imposent. Lorsque ces moments ne sont plus compensés, on se sent
de moins en moins "spécial", ou unique.
Une personne de ma famille avec qui je partageais cela m'a dit
l'autre jour: "mais alors, si ce que tu dis est vrai, je ne serais plus
personne!". Il y a peut-être certains moments où il nous est permis
d'être en résonnance avec cette affirmation.
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J'attirais surtout l'attention sur ces
moments
de receptivité totale, d'attention, de disponibilité, par exemple
lorsqu'une personne nous parle et que nous sommes complètement à
l'écoute. Nous pouvons d'ailleurs souvent le remarquer dans le regard
des gens, s'ils sont ou non dans le mental à cet instant précis. Ou par
exemple lorsque nous suivons le jeu d'un enfant. Dans ces moments, nous
sommes intensément dans le présent, vigilant, non pas justement
hypnotisé par ce que l'on voit mais à la fois très réactif et
tranquille. Mais dans ces moments nous n'avons pas conscience que nous
le sommes, nous n'avons pas conscience de soi.
Or, d'après ce que je crois saisir, c'est cette réalisation là, de
chaque instant, qui caractériserait vraiment l'éveil?
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