Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté du 8
janvier 2006 au 27 décembre 2008 par petitmoyengrand
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Mécanisme de la peur
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Tout part d'un constat. En cherchant
l'Eveil, on
peut ressentir une peur, une appréhension (non consciente). Quelle
est-elle vraiment, quel est son statut exact, peut-on la dissoudre?
Un individu qui prend conscience (seulement conceptuellement) de la
dualité et de l'Eveil peut se sentir tout entier morcelé, tiraillé.
Surtout, ce qui peut naître, de manière lancinante, c'est un sentiment
de peur. Mais sous forme de cavalier masqué. Peur profonde de ce qu'on
ne connaît pas. Peur de ce dont peu de gens parlent. Peur de prendre un
gros risque et de ne pas voir l'enjeu. Peut humaine de se planter.
C'est de cela dont j'aimerais dire deux mots.
Qu'est-ce que cette peur exactement? Evidemment, cette peur est une
protestation virulente de l'égo. L'égo est d'ailleurs cette peur même.
Quel roi, se croyant tout-puissant, ne réagirait pas de la sorte (par
la peur) en découvrant qu'il menace de se faire détrôner? C'est bien le
problème. L'égo en fait tout un plat. Quelque chose de totalement
différent menace de faire irruption. L'égo se fait des films. L'égo
aime les autres égo et leur être semblable. Or il se trouve qu'il
risque d'avoir un sort différent de ses petits copains. Alors il
délire, par peur de disparaître, de se dégrader. Ou simplement de ne
plus être écouté comme avant. Plus que jamais dans ce type de situation
anormale, l'égo menacé brouille les répères. C'est une sorte de défense
naturelle. Alors il fait exister la peur, et s'en nourrit en retour.
Pire encore, chez celui qui cherche et qui ne voit pas encore très
loin, l'égo se divise lui-même. On pourrait dire qu'il y à ce moment
une coexistence de deux ego (ou moi) distincts: le moi-aspirant-au-Soi,
coexistant avec ce moi-peureux
dont
nous venons de parler qui est l'auto-défense de l'égo lui-même. La
difficulté, c'est que ces deux entités ne se reconnaissent pas
mutuellement. Pire: elles ont des aspirations contraires. La première
veut dépasser l'autre qui la fige en retour. Le drame, c'est que toutes
deux appartiennent à la même essence, sont essentiellement une. Et nous
frôlons le fratricide. De ce fait, pour celui qui ne s'en rend pas
compte, cette coexistence sulfureuse en devient d'autant plus
insupportable.
De là naissent des sentiments intenses, difficiles à déchiffrer
chez l'aspirant et contradictoires entre eux. Et la boucle continue.
Ces sentiments -dont souvent une peur concrète- ont deux conséquences
contradictoires. D'un côté, le moi-aspirant
rencontre un de ces sentiments intenses (souvent la peur) et cherche du
coup à le dépasser, à se hisser au-delà, essayant de trouver un refuge
dans son espoir même de passer au-dessus, et d'atteindre un niveau de
conscience supérieur, hors de toute atteinte. D'un autre côté et
corrélativement, le moi-peureux
s'amplifie encore plus. Parce qu'il rencontre des sentiments d'un type
nouveau, auxquels il n'a jamais été confronté, et que le moi-aspirant
cherche à dépasser. Ce moi-peureux (qui serait le mécanisme naturel de
l'égo en tant normal) tire la sonnette d'alarme et stigmatise contre
son gré ce sentiment nouveau. En somme, il le phagocyte. L'individu a
vraiment peur. Ces deux conséquences pourraient s'annuler. L'une
tendant vers le haut, l'autre vers le bas. Mais non. Comme toutes deux
sont contradictoires, cela suffit pour que la peur gagne. Personne ne
supporte une telle contradiction. Le cheminement semble bloqué.
Cependant un dernier mouvement se produit, décisif. Une instance
tierce (comment l'appeler, est-elle une troisième division de l'égo?),
une sorte de lucidité,
a pris
conscience de ce conflit. Une sorte de mise à distance réflexive, dont
ce texte en est l'expression concrète. Et cette instance tierce se rend
compte que ce conflit est ridicule et qu'il n'a pas lieu d'être. C'est
une bataille factice. Puisque c'est l'égo qui se bat contre lui-même et
qui en générant un sentiment de peur s'amplifie lui-même. Il se
démasque, cet idiot! En bataillant contre lui-même, l'égo nous fait
sourire. Il est comme un serpent qui se mord la queue. Immédiatement,
son caractère puéril saute aux yeux et nous fait oublier cette gravité,
cette solennité qui accompagnait le sentiment de la peur. Pfff. Ce
n'était que l'égo. Rien de plus.
Ce sentiment de peur évanoui, que reste-t-il? Un égo dont les
stratégies d'auto-enfermement sont mises à nu. Bas les masques!
Désormais on a un moi-aspirant plus prudent, sur ses gardes. Conscient
qu'en tant qu'égo qui veut se dépasser, il peut se créer lui-même ses
chimères et ne jamais s'en sortir. Un moi-aspirant donc qui tire des
leçons et essaye de moins s'appuyer sur lui-même, parce qu'il sait
qu'il risque à nouveau de se subdiviser, et essaye donc de s'effacer
lui-même s'il en a la force. Un moi-aspirant plus léger donc, un peu
perdu aussi parce qu'il ne sait plus trop où pointer le museau. Quant
au moi-peureux, il se tient désormais tranquille, jusqu'à de nouvelles
aventures, et ne trouve plus en lui-même de vraies raisons de
s'exciter.
Le mécanisme de la peur renseigne sur l'égo en général. Sur sa
génialité à se bloquer lui-même, à entraîner une contradiction interne
dès qu'il se met en branle. Mais se découvrant lui-même dans sa
bataille, l'égo se discrédite. La preuve, l'instance tierce arrive à
parler de lui à la troisième personne et à raconter ses tribulations.
Non sans étrangeté d'ailleurs. C'est un pas de plus de franchi. Cette
peur aurait été rédhibitoire. |
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Prendre des vacances de soi-même
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Je retranscris ici une page qui m'a
particulièrement touché, qui est en fait un discours de l'abbé prononcé
lors de sa 5e conférence-retraite au lycée Claude Feriel en 1957:
"Et
je sais parfaitement bien, je
le revivrai jusqu'à la fin de mes jours comme une découverte unique, je
sais très bien qu'en regardant les oeuvres de Michel-Ange, sans me
battre les flancs pour les trouver extraordinaires, en me laissant
parfaitement faire par elles, je sais bien qu'à un moment donné j'ai
senti que j'étais pris. J'étais pris par quelqu'un. Je me perdais dans
un je-ne-sais-quoi auquel je n'aurais pas pu donner un nom, ce n'était
plus l'oeuvre de Michel-Ange que je voyais, c'était à travers l'oeuvre
de Michel-Ange une présence. Cette présence dont, si vous voulez,
Platon parle dans le Banquet.
Cette Beauté qui n'a plus de figure, qui n'a plus de visage, qui n'a
plus de mains, qui n'a plus de nom, qui est l'horizon de toutes les
oeuvres d'art, qui est le désir de tous poètes, qui est la joie de tous
les musiciens, cette présence qu'il est impossible de nommer, qui nous
envahit tout entier et que je sentais maintenant prendre possession de
moi. Et je me souviens avec une parfaite netteté que l'impression que
j'ai eue ce matin-là était une impression d'une immense liberté, la
liberté d'un homme qui prend des vacances de lui-même, qui ne se
souvient plus qu'il est là, qui ne se voit plus, qui ne se regarde
plus, qui ne s'écoute plus, qui est perdu, perdu dans cette présence
qui l'aspire, qui l'appelle, qui le remplit, qui le comble et qui
devient vraiment pour lui une respiration...Je sentais que j'étais pris
dans un dialogue et que c'était ça la vie. Il y avait là quelqu'un qui
m'envahissait tout entier, qui me libérait de moi-même, et qui, en même
temps me faisait entrer dans ma véritable intimité.
Cette extase je l'ai faite depuis d'ailleurs, je ne cesse de la
faire, toujours et partout, mais c'est toujours la même découverte, ce
sentiment qu'on se quitte soi-même, qu'on s'oublie, on se perd de vue
et qu'on s'écoute, qu'on écoute dans un silence merveilleux, où on
s'enracine dans une Présence qui est Vie de votre vie."
La cadence des phrases est remarquable, témoignant par-là d'une
émotion intense. Zundel employe des mots simples, authentiques, et
jette pêle-mêle des expressions qui tournent autour de l'effacement, de
l'abandon. Ce qui me touche le plus, c'est l'utilisation inattendue du
verbe se perdre. Je l'ai rarement vu employé dans ce contexte, et qui
plus est appliqué à l'homme. L'homme doit se perdre. Il ne doit pas
craindre de se perdre, c'est-à-dire s'égarer un peu dans ses
certitudes. Ne pas avoir peur d'éteindre la lumière et de se laisser
aller. Prendre des vacances de soi-même comme le dit Zundel, autrement
dire faire ses bagages et quitter un refuge incertain. |
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Je suis tombé par hasard sur cette artiste
du
Rajasthan en surfant sur France Culture. Je suis allé sur son site et
j'ai consulté quelques-unes de ses peintures. Certaines m'ont beaucoup
touché.
Dont celle-ci :
Eveil ou pas, je n'en sais rien. Mais cette esquisse d'humain,
baignant dans un blanc crémeux, dont le ventre, ou ce qui paraît en
être un, mène vers des cieux somptueux, ouvrant vers des crêtes
mystérieuses, c'est éclatant. Le corps déjà effacé disparaît dans un
quelque chose qui l'enveloppe. Sans trace de violence. En douceur.
Pour ceux qui veulent écouter l'interview, c'est ici:
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/forinterieur/fiche.php?diffusion_id=57561
Et si elle n'est plus disponible, je l'ai enregistrée, demandez-moi |
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