Regards sur l'éveil
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scientifique
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Posté par
joaquim
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Réflexions
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Pourquoi suis-je moi, et non pas quelqu’un
d’autre? Cette question met sous le projecteur de la conscience
intérieure la singularité de mon monde, qui se distingue radicalement
de tous les autres mondes, ceux des autres. Ce n’est toutefois pas
parce que je les percevrais comme “autres” qu’ils m’apparaissent tels,
non: je n’ai aucun accès à ces mondes autres. Je les appelle “autres”
dans mon monde à moi, parce que je suis bien obligé de reconnaître
qu’il y a encore quelque chose hors de moi. Et pourtant, tout se joue à
l’intérieur de moi: le sentiment d’être moi, l’évidence que les autres
sont “autres”, tout est toujours en moi.
Cette réflexion conduit à une forme de vertige, car elle bute
fatalement sur les frontières de mon propre monde, de ma propre
représentation, et bien que je me trouve contraint de situer les
“autres” hors des frontières de mon monde, sans quoi ils ne seraient
pas vraiment “autres”, c’est néanmoins toujours à l’intérieur de mes
frontières que se déroule l’opération. Pour percevoir les autres dans
leur identité propre, il faudrait que j’aie moi-même accès au monde où
ils se trouvent, ce qui est par définition impossible, car ce monde
au-delà de mes frontières deviendrait mien aussitôt que j’y aurais
accès.
Je suis pourtant bien obligé de reconnaître l'existence des autres, car
ils m’apparaissent aussi nécessaire à l'intégralité du monde que ma
propre personne. Mais je ne peux pas les percevoir directement, je ne
peux que me construire d'eux une image, censée les représenter à
l’intérieur de mon monde. Image tout-à-fait paradoxale, contradictoire,
et pourtant nécessaire, d’une existence qui serait hors de tout ce qui
m’est accessible. L’autre, dans mon monde, c’est un trou, un espace en
creux, l’image d’une altérité que je sais exister, et dont pourtant je
ne peux rien savoir, hormis qu’elle est située hors de mon monde. Tout
ce que je sais de concret sur elle, ce sont les habits que je lui
prête.
Je ne peux me construire de l’autre une image qu’à partir d’éléments
présents dans mon propre monde. C’est véritablement une image
vertigineuse, l’image d’une réalité parfaitement concrète (qu’y a-t-il
en effet de plus réel dans la vie que les autres?), et pourtant
foncièrement trompeuse, puisqu’elle prétend saisir quelque chose qui
est à jamais insaisissable. Ce vertige me fait apparaître moi-même
ainsi que mon monde comme un château de cartes, posé dans le vide,
comme une île au milieu du monde insaisissable des autres. Vision
totalement paradoxale, un peu comme si on demandait dans quoi peut bien
baigner l’univers. Aussitôt qu’on imagine quelque chose hors de
l’univers, censé le contenir, on ne fait rien d’autre qu’élargir les
frontières qu’on lui attribuait jusqu’alors. Avec la conscience, c’est
exactement la même chose. On ne peut jamais rien saisir hors de la
conscience: tout ce qu’on imagine hors d’elle ne fait qu’en étendre les
frontières.
Ma conscience englobe l’intégralité du monde tel qu’il m’apparaît. Il
ne peut rien exister en-dehors de ma conscience, puisqu’aussitôt que
j’imagine ou suppose une telle chose, je le fais à l’intérieur d’elle.
Imaginer quelque chose hors de ma conscience, c’est simplement
l’élargir pour englober cet élément supposé extérieur, supposé par
ma conscience, donc à l’intérieur de celle-ci. La conscience peut
s’agrandir indéfiniment, elle peut englober tous les “mondes” qu’on
peut imaginer, elle ne touchera jamais l’Autre, car dès qu’elle le
touche, elle le fait sien, elle ne voit de lui que les habits qu’elle
lui prête, et repousse indéfiniment l’Autre dans un monde résolument
hors de sa portée.
L’éveil, c’est l’effondrement du château de cartes. C’est
l’éclatement de la frontière, la subite réalisation qu’il n’y a jamais
eu de frontière, que tout cela n’était qu’un rêve, qu’il n’y a rien
d’Autre hors de mes frontières, pas plus qu’il n’y a de “moi”, ni non
plus de frontières. Je suis Cela.
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