Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
scientifique
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Posté par
joaquim
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Réflexions
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La pratique, c'est chercher quelque chose, c’est
vouloir un état de perfection plus grand, c’est se projeter en esprit
dans cet état et tendre vers lui. Or — c’est là que la démarche devient
paradoxale — si on se sent actuellement dans un état d’imperfection
qu’il faudrait améliorer, ce n’est pas parce qu’on s’y trouve vraiment, mais simplement qu’on ne voit pas ce qu’on est vraiment. L’imperfection ne provient pas de ce qu’on est
— l’être ne saurait être imparfait — elle provient de la scission que
le jugement introduit à l’intérieur de l’être, scission opérée par
je-ego, dès lors qu’il se sent autre
que tout le reste, et qu’il juge tout, et lui-même le premier.
L’imperfection ne provient pas de ce que l’on est, elle provient du
fait que l’on désire être autre chose. La dualité, ce n’est pas un état
d’imperfection au sens d’un état qui aurait valeur d’être,
c’est au contraire l’éloignement de l’être, c’est le fait d’une tension
vers autre chose que ce qui est. C’est là que réside tout le paradoxe
d’un chemin spirituel: chercher à résoudre le problème en tendant vers
une solution, ce qui revient non pas à le résoudre, mais à
l’actualiser.
Toute pratique dirigée vers un but est à ce titre un non-sens. Et
pourtant, je reconnais qu’il peut être profitable de
faire concrètement quelque chose, de s’engager dans une démarche
spirituelle. Pour ma part, avant l’éveil, j’avais intensément médité,
et je pense que cela fut déterminant. Mais je ne cherchais pas l’éveil.
Je ne connaissais d’ailleurs pas cette notion. Je m’étais mis en route
parce que je souffrais, et méditer me faisait du bien. Bien sûr, au
début, en suivant les instructions que j’avais lues, je cherchais à
développer les “facultés supérieures” qui étaient promises, mais
rapidement, ce que je vivais dans la méditation me suffit pour que je
n’aie plus besoin d’attendre autre chose.
Le plaisir de méditer était devenu une fin en soi. Et je crois que
c’est seulement ainsi que le paradoxe peut être levé. Lorsqu’on n'agit
plus en vue de ceci ou de
cela, mais simplement par amour pour cette action. Ainsi, méditer,
pratiquer, c’est très bien, c’est peut-être même nécessaire pour
beaucoup. Mais le point capital est de ne rien chercher,
de ne rien chercher d’autre que ce qui est là. C’est même cela, me
semble-t-il, qui devrait devenir le nerf même de la méditation:
éloigner tout ce qui pourrait nous détourner de ce qui est là. Ne pas
méditer en se disant: “Si je tiens encore 5 minutes, une heure ou deux
heures, j’aurai atteint mon objectif”. Non. Méditer, par exemple sur un
objet, non pas parce que derrière lui on pourrait découvrir quelque
chose, comme s’il pouvait devenir la porte qui nous ouvrirait un monde
inconnu, mais simplement le regarder, sans rien attendre. C’est loin
d’être facile, cela demande même une grande énergie, pour désamorcer
l’envie qui ressurgit constamment d’atteindre quelque chose. Ainsi, si
on n’y prend pas garde (et même si on y prend garde, d’ailleurs...),
désamorcer cette envie va, à un moment ou à un autre, devenir un but à
atteindre. C’est forcé. Il s’agira alors de désamorcer ce nouveau
mouvement subtil de préhension, jusqu’au moment où on s’apercevra que
la volonté de désamorcer ce mouvement de préhension deviendra à son
tour un nouveau mouvement de préhension. C’est sans fin. On ne peut pas
y mettre fin soi-même, et pourtant ce n’est pas inutile de le faire.
Cultiver une qualité de présence, une présence active dans la
non-action. Car cette action dans la non-action, lorsqu’elle devient
pure, se révèle pure ouverture. Elle s'ouvre à Ce qui Est.
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