|
Lorsque nous savons, nous nous ajoutons
simplement à l’ensemble de tous ceux qui savent, par simple addition;
alors que lorsque nous comprenons, nous sommes rassemblés avec eux dans
la même compréhension, nous communions avec eux dans un même esprit,
nous sommes réunis. La compréhension, c’est accéder, comme le suggère
Deutsch, à l’essence des choses; et dans cette activité, on n’est plus
un esprit distinct de l’autre qui comprend aussi, mais on puise à la
même source, unique, essentielle. Comprendre, c’est communier sur
l’essentiel, ce n’est pas tout savoir, connaître chaque chose
distincte. Au contraire, c’est lever toutes les distinctions qui
s’attachent aux éléments particuliers, pour les rassembler dans
l’essence qui leur est commune. Le savoir porte sur une multitude de
choses disjointes, considère le réel sous l’angle de l’individuel.
Comprendre porte sur les rapports qui unissent les choses distinctes,
ce par quoi elles relèvent de l’universel.
A l’image de l’acte de comprendre, l’éveil représente lui aussi
l’accession à l’universel. Toutefois, il s’agit alors d’une
compréhension visant non pas un objet extérieur à soi, mais soi-même.
Or, comprendre
soi-même, au sens évoqué ci-dessus, c’est accéder à l’essence de soi
au-delà de la multiplicité de sa propre manifestation, c’est dépasser
le caractère “objet” pour accéder à l’essence; mais si cette démarche
permet, pour tous les autres objets, de passer de la multiplicité
possible de leur manifestation à leur essence, lorsqu’elle est
appliquée à soi-même, elle fait éclater le cadre même de la
connaissance, puisque toute connaissance possible est fondée sur la
distinction nécessaire entre le sujet connaissant et l’objet de la
connaissance. Ainsi l’éveil, en même temps qu’il débouche sur une
possible connaissance de sa propre essence, anéantit les bases mêmes de
toute connaissance, puisqu’il détruit aussi bien le sujet que l’objet,
ne laissant plus subsister que l’être.
Lorsque par l’éveil, on accède à la compréhension ultime de son
être et de celui du monde — puisqu’à ce niveau, ils coïncident, on peut
légitimement parler de compréhension ultime —, cela ne veut pas dire
que l’on sache tout, certainement pas, ni même que toutes les questions
qui obscurcissaient la compréhension de notre propre place dans le
monde se trouvent comprises, mais elles sont simplement levées. Les
questions n'ont plus lieu d'être, puisque leur source, qui finalement
seule posait problème, n’existe tout simplement plus. |
|