Regards sur l'éveil
Café philosophique, littéraire et
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Posté le 9
octovre 2004par joaquim
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Ashrams, de Arnaud Desjardins
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Alors qu’il séjournait dans l’ashram de
Swami Ramdas, un des sages les plus vénérés de l’Inde, Arnaud Desjardins
raconte:
«Ce
soir, un nouveau venu s’est
encadré dans la porte toujours ouverte sur la campagne. Sans âge,
grand, très droit, imposant, un crâne minutieusement rasé, un étrange
regard perçant et impassible, partout on se retournerait sur lui. Il
fascine et effraye en même temps.
Il ne se prosterne pas devant Ramdas: à peine une salutation des
mains jointes. Quelques mots d’un swami qui l’accompagne et le présente
à Papa [surnom
affectueux donné à Ramdas] nous apprennent que c’est un
yogi réputé qui s’insère dans une chaîne d’initiés fameux et a lui-même
plusieurs disciples.
Il s’est assis au fond de la salle. Je ne peux détacher mon regard de
lui et, pendant un moment, je me détourne de Ramdas. J’ai l’impression
inquiétante que le pouvoir et la maîtrise qui se dégagent de cet
extraordinaire yogi ont une puissance qui manque à Papa, si simple, si
souriant, si enfantin. La joie inépuisable, la paix, l’amour, bien sûr,
bien sûr. Mais la connaissance et le contrôle des énergies subtiles,
des forces qui traversent notre univers, les mondes intermédiaires dont
parle toute la tradition de l’ésotérisme, l’éveil des possibilités
latentes en l’homme, les pouvoirs transmis secrètement de maître à
disciple. Tout cela dont j’ai souvent entendu témoigner, je l’ai devant
les yeux contenu en cet homme inhumain et surhumain. Un monde
mystérieux et déroutant s’ouvre devant moi, auquel je ne pensais plus
bien que j’en sache assez pour savoir qu’il existe. Et me voici face à
face avec lui.
Mais je ne peux regarder plus longtemps vers le fond de la salle. Il
faut bien que je me tourne du côté de Papa.
Ce que je vis me laissa le souffle coupé. C’était clair, évident,
éclatant, lumineux: je venais de me détourner d’un rêve et j’avais
l’éveil devant moi. Certes je ne niais pas que ce yogi eut atteint un
accomplissement fantastique. Mais dans le rêve, dans le rêve. Tous les
plans occultes, qu’on les appelle astral, subtil ou causal, sont encore
Maya, encore Maya. Oui, nous dormons, nous dormons, et devant moi,
rayonnant, sublime, Vérité, Joie, Amour, le petit vieillard édenté est
éveillé.
A côte de l’humble Ramdas, le grand yogi, tout simplement, n’existait
pas.»
Arnaud
Desjardins, Ashrams - Grand Maîtres de l’Inde, Albin Michel, coll.
Spiritualités vivantes, 1982.
L’éveil, ce n’est rien d’impressionnant, c’est ce qui est là, tout
simplement, et pourtant si loin, si éloigné de soi, si difficile, si
au-dessus de soi, puisqu’il faut supprimer celui qui regarde pour
n’exister plus qu'au bout de son regard.
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Râmdâs
(le nom qu’il s’est lui-même donné, et
qui signifie “esclave de Râm”) abandonna tout à l'âge de 38 ans et
prit le bâton de pèlerin, pour s'en remettre entièrement à la grâce de
Râm. Il décrit lui-même ainsi le cheminement qui l'a conduit à
l'abandon radical de lui-même:
«Pendant
près d’une année, Râmdâs
se débattit dans un monde plein de soucis, d’anxiétés et de peine. Ce
fut, par sa faute, une période terrible d’inquiétude et de tension.
Dans cet état de misère désespérée, un cri jaillit du coeur de Râmdâs:
“Où trouver le soulagement? Où trouver la paix?” Sa plainte fut
entendue, et dans le grand vide retentit une voix: “Ne désespère pas,
aie confiance en Moi, et tu seras libéré.” C’était la voix de Râm. Cet
encouragement fut comme une planche de salut jetée au nageur en péril
qui se débat dans la mer déchaînée. Une grande assurance tomba sur le
coeur meurtri du malheureux Râmdâs comme une douce pluie sur la terre
assoiffée. Dès lors, une partie du temps occupée auparavant par les
choses du monde fut consacrée à méditer sur Râm, qui octroya, dans
cette période, paix et soulagement véritables. Peu à peu, son amour par
Râm, le Donneur de Paix, augmenta. Plus Râmdâs répétait le nom de Râm
et méditait sur Lui, plus il ressentait de joie et de soulagement. Les
nuits, qui étaient libres de tout devoir terrestre, furent consacrées,
à part deux heures de repos, à chanter les louanges de Râm. Sa dévotion
pour Râm progressait par sauts et par bonds.
Le jour, alors qu’il était envahi par l’anxiété et le souci que lui
causaient des ennuis d’argent, des soucis de toute espèce, Râm venait à
son aide d’une façon inattendue. Aussi, dès qu’il pouvait se libérer,
même pour peu de temps, de ses occupations matérielles, se mettait-il à
méditer en prononçant le nom de Râm. En marchant dans la rue, il
répétait: Râm, Râm. Il perdait toute attraction pour les choses de ce
monde. Habits recherchés et toiles fines furent remplacés par le
grossierkhaddar;
une simple natte fut substituée au lit. Pour sa nourriture, il réduisit
à un seul les deux repas de la journée, et plus tard, ce repas ne
consista plus qu’un bananes et pommes de terre bouillies. Les piments
et le sel furent complètement abandonnés. Il n’avait plus goût que pour
Râm, et sa méditation sur Râm devenait continue, englobant toutes les
heures de la journée et les prétendus devoirs sociaux.
A cette époque, le père de Râmdâs, inspiré par Râm Lui-même, vint
le voir et, le prenant à part, lui transmis l’initiaiton du Râm-mantra:
“Shrî Ram, Jaï Râm, Jaï Jaï Râm”, et l’assura que, s’il répétait
continuellement ce mantra,
Râm lui accorerait le bonheur éternel. Cette initiation par son père —
qu’il considéra dès lors comme son gourou — fit faire au débutant de
rapides progrès dans la vie spirituelle. Râm l’invitait constamment à
lire les Enseignements du Seigneur Krishna dans la Bhagavad-Gîtâ, ceux
de Bouddha dans Lumière
de l’Asie, ceux de Jésus-Christ dans le Nouveau Testament,
ceux du Mahâtmâ Gandhi dans Jeune
Inde et l’Ethique
de la religion.
L’influence de ces grands hommes créa ainsi, dans l’esprit de Râmdâs,
une atmosphère chargée d’électricité où grandit la jeune plante de bhakti
(dévotion pour Dieu). C’est à ce moment que son esprit s’éveilla
lentement à l’idée que Râm était la seule réalité et que tout le reste
était faux. Tandis que l’attachement aux jouissances terrestres
l’abandonnait rapidement, la notion du “moi” et du “mien” s’effaçait
aussi. Le sens de la possession et des relations entre individus
distincts s’évanouissait. Tout, pensée, esprit, coeur et âme se
concentra sur Râm, Râm recouvrant et absorbant tout.
Ainsi Râm avait arraché Son esclave à l’étroit bourbier de la vie
du monde et l’avait jeté dans l’immense océan de la Vie universelle.
Mais Râm savait bien que pour nager dans ce vaste océan, il faudrai à
Râmdâs de la force et du courage. Pour lui faire acquérir ces qualités,
Râm fit passer son esclave ignorant et novice par une suite d’épreuves
sévères sous Sa direction immédiate et avec Son aide. Une nuit, alors
que Râmdâs savourait la douceur d’invoquer Son nom, Râm lui suggéra ces
pensées:
O Râm, quand Ton esclave Te voit à la fois si puissant et si
tendre, quand il sait que celui qui se confie à Toi obtient sûrement la
vraie paix et le bonheur, pourquoi ne peut-il se remettre complètement
à Ta miséricorde et renoncer à tout ce qu’il appelle “moi”? Tu es tout
en tout pour Ton esclave. Tu es le seul Protecteur en ce monde. Les
hommes se leurrent quand ils disent: “Je fais ceci, je fais cela; ceci
ou cela est à moi.” Tout, ô Râm, est à Toi, et toutes choses sont
faites par Toi seul. La seule prière que Ton esclave T’adresse, c’est
de le prendre entièrement sous Ta direction et lui ôter son sens du
“moi”.
Cette prière fut entendue. Le coeur de Râmdâs poussa un profond
soupir; une vague de désir passa dans son esprit de renoncer à tout et
d’errer par la terre en quête de Râm, sous la robe de mendiant. Alors
Râm le poussa à ouvrir au hasard le livre La Lumière de l’Asie
qui se trouvait devant lui; il tomba sur la page où est décrite la
grande renonciation du Bouddha: “Car maintenant l’heure est venue de
quitter cette prison dorée où mon coeur a vécu comme dans une cage, et
de trouver la Vérité que je chercherai désormais pour l’amour des
hommes, jusqu’à ce que je l’aie trouvée.”. Puis Râmdâs ouvrit le Nouveau Testament
et lut le message sans équivoque de Jésus-Christ: “Celui qui, par amour
pour Moi, a abandonné maison, frères et soeurs, père et mère, femme ou
enfant et terres, sera récompensé cent fois et recevra la vie
éternelle.”. Il fut encore incité à ouvrir la Bhagavad-Gîtâ
et y trouva le verset suivant: “Abandonne tous tes devoirs, cherche en
Moi seul un refuge; ne t’attriste pas, Je te libérerai de touts tes
péchés.”
Râm lui paralit ainsi par la vois de ces trois grandes Incarnations
divines, Bouddha, Christ et Krishna, et tous trois indiquaient le même
chemin: la renonciation. Râmdâs prit ausitôt la décision de quitter ce
monde de samsara,
de renoncer, pour l’amour de Râm, à tout ce qu’il avait serré sur son
coeur et considéré comme sien. Il s’habilla très simplement de deux
pièces de toile enroulées, l’une sur la partie supérieure, l’autre sur
la partie inférieure de son corps. Le lendemain, il fit teindre en ocre
route deux morceaux de toile; la nuit suivante, il écrivit deux
lettres, l’une à sa femme qui, grâce à Râm, n’était déjà plus qu’une
soeur pour lui, l’autre à un bon ami que Râm lui avait fait connaître
pour le délivrer de ses dettes; et, à cinq heures du matin, il dit
adieu à un monde qui n’avait plus d’attrait pour lui, et dans lequel
plus rien n’existait qu’il pût nommer sien. Le corps, l’esprit, l’âme,
il déposa tout aux pieds de Râm, l’Être éternel plein d’amour et de
pitié.»
Swâmi Râmdas, “Carnets de pélerinage”, Albin Michel, Coll.
Spiritualités vivantes, 1973, p. 18.
Cette renonciation totale me fait penser à celle de Saint François
d’Assise, qui, conjuré par son père sur la place publique d’Assise
d’abandonner sa conversion qui privait d’héritier l’entreprise
familiale, se dévêtit intégralement et déposa ses habits au pieds de
son père, pour ne plus dépendre des largesses de son père terrestre,
mais uniquement de la Grâce de Dieu. |
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