Regards sur l'éveil
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Posté
par joaquim
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Vide et création |
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Les physiciens espèrent un jour réconcilier
dans
une théorie plus large, les conceptions contradictoires et pourtant
actuellement valides l’une et l’autre de la relativité générale et de
la physique quantique, pour parvenir à une explication globale qui
rendrait compte de l’intégralité de l’univers. Il est assez amusant de
constater que l’état d’avancement de la science actuelle est à l’image
assez parfaite de l’état “d’avancement” de la conscience humaine,
puisque celle-ci est elle aussi écartelée entre deux niveaux
d’exigences incompatibles et pourtant tous deux nécessaires. La
conscience est en effet, sur son versant objectif, une propriété
émergente de processus matériels qui se déroulent totalement
indépendamment d’elle, et sur son versant subjectif, une entité
indépendante, autonome et close autour de sa propre intimité; plus
radicalement, sous son aspect objectif, elle est finie et contingente,
alors que sous son aspect subjectif, elle prétend à l’infini et à
l’intemporalité: de son point de vue, rien en effet ne saurait exister
en dehors d’elle, puisque l’intégralité du monde qu’elle perçoit n’est
rien d’autre qu’une représentation construite par elle, qui disparaîtra
donc bien évidemment avec sa disparition à elle; et elle ne saurait non
plus avoir ni début ni de fin, puisque le temps, pour elle, commence
avec elle sera englouti avec elle à sa disparition.
«La
physique fondamentale, théorique, repose sur deux piliers: la relativité générale
et la physique quantique.
Chacune a son domaine d’application, mais ceux-ci sont disjoints. Dans
les laboratoires de physique (laser, électronique, etc.), la physique
quantique est utilisée. Pour l’étude des mouvements des planètes,
l’astronomie, la cosmologie, c’est la relativité générale,
éventuellement dans son approximation newtonienne, qui est utilisée.
Les conceptions de l’espace, du temps, de la matière, du vide, de la
causalité, etc., sont différentes, voire contradictoires selon que l’on
se place du point de vue de la physique quantique ou de la relativité
générale. Or, le monde est unique, et une dichotomie pareille est
gênante. L’existence de deux théories contradictoires montre que le
bout de la physique n’est pas encore atteint: autre chose est à
chercher.(...)
Des pistes existent, comme la gravité quantique qui cherche à
construire une physique sans temps ni espace, et pour laquelle le temps
et l’espace deviennent des cas particuliers, la théorie des cordes, la
géométrie non commutative... (...) Bien sûr, il est difficile de
s’abstraire [du temps]. Nous sommes dans le temps. Nous projetons cette
propriété temporelle sur le monde autour de nous. Parlant d’un
électron, nous dirons qu’il suit le temps, allant du passé vers le
futur. Mais peut-on en être sûr? Cette propriété temporelle n’est
peut-être qu’une propriété des systèmes conscients. Ou bien des
systèmes collectifs, thermodynamiques? J’aurais tendance à souscrire à
cette dernière solution. L’écoulement du temps à l’échelle
microscopique ne veut rien dire. Passé, présent et futur n’ont pas de
sens à l’échelle d’une particule élémentaire. En revanche, dès que l’on
a un ensemble statique de particules, on peut définir un temps.»
Marc Lachièze-Rey, Vide et
Création - vers une physique intemporelle, in Revue 3ème millénaire, No
71, 1er trimestre 2004, pp. 47 et 85.
Il est soulageant de voir que ce n’est pas parce que deux points de
vue semblent inconciliables qu’ils ne sont pas pour autant nécessaires
l’un et l’autre, comme nous le montre le dilemme de la physique
actuelle. Et je crois qu’on peut ajouter dans le même esprit, et sans
le trahir, que ce n’est pas parce que la pensée est déterminée par des
processus neuro-chimiques qu’elle n’est pas en même temps quelque chose
qui transcende la matière et l’espace, comme ce n’est pas parce que les
étoiles sont des amas de matière flottant dans l’espace à des milliers
d’années-lumière de nous qu’elles ne sont pas en même temps des amies
qui nous parlent de nous.
Pour accéder à sa dimension intemporelle, pour retourner son
intimité afin qu’elle s’étende jusqu’aux étoiles, la conscience doit
cesser de s’identifier à son contenu, à ses pensées et à ses désirs,
purement accidentels et contingents, et s’ouvrir au vide, se laisser
tomber sans filets sur ses propres fondements. Ce vide-là est “vide”
seulement pour la conscience qui attend “quelque chose”, mais plein dès
lors qu’elle n’attend “rien”. C'est la trame même de l'être, et la
conscience, en se faisant elle-même “rien”, découvre sa parenté
fondamentale avec l'être, son identité avec lui. Moi et les étoiles,
nous sommes uns dans l'être. |
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