Regards sur l'éveil
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daniel
Inscrit le: 15 Fév 2006 Messages: 9284 Localisation: belgique
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Posté le: Ma 03 Août 2021 16:03 Sujet du message: De la nature humaine chez les anarchistes ! |
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Bonjour tout le onde !
En tant qu'anarchistes je pose, ici, un texte qui parle de la nature humaine vue par les anarchistes :
Enquête sur les conceptions de la nature humaine
chez les anarchistes.
Combien de fois n'avons-nous pas entendu ce discours ? Les anarchistes, ont une vision beaucoup trop optimiste de la nature humaine. Croire qu'il est possible de créer une société où la violence et l'autorité auraient complètement disparus est une douce utopie complètement absurde. La nature humaine est telle que seule l'existence d'une autorité jouant le rôle d'arbitre peut permettre de gérer les conflits, qui ne manqueront jamais d'apparaître dans quelque société que ce soit, et donc elle seule peut limiter l'apparition illégitime de la domination et de la violence.
Que ce type de discours sorte de la bouche de politiciens bien-pensants, rien de plus normal, il faut bien qu'ils justifient la domination qu'ils exercent sur le reste de la société. Hélas, ce discours est tout aussi bien tenu par ceux qui ont de l'anarchiste une vision un tout petit peu plus élaborée que la caricature classique de l'enragé, casseur de vitrines, lanceur de bombes, intégriste d'un chaos social appelé anarchie. Seulement trop souvent cette vision est remplacée chez bon nombre de sympathisants par une autre caricature de l'anarchiste, celle d'un éternel rêveur incapables d'affronter les dures réalités de la nature humaine. Il est donc toujours intéressant de rechercher et de clarifier quelles pourraient être réellement les opinions des anarchistes sur la nature humaine. C'est une telle tentative de clarification qui est proposée ici.
La nature humaine, contextuelle ou universelle ?
Avant de commencer à regarder ce que les anarchistes ont à nous dire sur la nature humaine, il est bon de réfléchir brièvement sur ce concept. On pourrait être tenté de rejeter ce concept en affirmant qu'il n'y a pas de nature humaine, mais seulement une condition humaine, c'est-à-dire que c'est le milieu dans lequel il est placé qui forme l'être humain. Seulement, ceci n'est rien d'autre qu'une vision contextuelle de la nature humaine car nier l'existence d'une nature humaine revient à en adopter une (de la même manière, celui qui, confronté à un dilemme, décide de ne pas choisir entre les deux alternatives auxquelles il est confronté, fait malgré tout un choix). Une autre vision possible de la nature humaine est universelle et considère que certaines caractéristiques sont propres à tous les êtres humains (le rationalisme par exemple considère que tous les hommes sont doués de raison, et que c'est là ce qui nous distingue des autres êtres vivants).
Qu'on le veuille ou non, le concept de nature humaine occupe une place fondamentale dans toute discussion sur les sociétés humaines, que ce soit sur leur histoire passée, sur la valeur actuelle de leur organisation, ou encore sur leurs développements futurs, possibles et/ou souhaitables. Particulièrement pour les idéologies, leur conception de la nature humaine joue un rôle déterminant lorsqu'on examine leurs valeurs respectives. La pertinence respective de leur modèle explicatif de l'histoire, de leur projet social futur, ainsi que des moyens proposés pour le réaliser, est directement jugée à partir de leur vision de la nature humaine. Ce jugement se base d'une part sur leur "réalisme", et d'autre part sur la cohérence de cette conception avec son propre projet social ; le concept de nature humaine prédéfini effectivement ce qu'il est possible d'atteindre par l'action sociale. Il est évident que quelle que soit sa conception de la nature humaine et son degré de pertinence, tout discours sur la société (et, en particulier, toute idéologie) se doit de posséder au moins une cohérence interne avec sa propre vision de la nature humaine, ce qui sera discuté plus précisément dans la suite.
Machiavel et le pouvoir d'État
Par exemple, un des "mérites" de l'idéologie Machiavélienne (1) à la base du pouvoir d'État, serait, selon certains, sa cohérence et son réalisme concernant la nature humaine. Elle offre en effet une vision assez pessimiste de cette dernière. On peut l'énoncer comme suit : L'instinct mauvais chez l'homme est plus puissant que le bon. L'homme a plus d'entraînement vers le mal que vers le bien ; la crainte et la force ont sur lui plus d'empire que la raison [...] Les hommes aspirent tous à la domination, et il n'en est point qui ne fût oppresseur, s'il le pouvait ; tous ou presque tous sont prêts à sacrifier les droits d'autrui à leurs intérêts (2). Les Machiavéliens adoptent donc une conception universelle pessimiste de la nature humaine, sur laquelle ils bâtissent la légitimité du pouvoir d'État. Ce dernier accapare le monopole de la violence physique afin de maintenir l'ordre social qui est l'intérêt commun. Dans les Discours sur la première décade du Tite-Live, Machiavel tente de démontrer comment l'État n'a d'autre fonction que de retourner la méchanceté des hommes contre elle-même pour engendrer l'ordre politique et les valeurs de la vie en commun, il fonde donc le pouvoir politique sur la violence. Ce pessimisme à l'égard d'une nature humaine considérée comme permanente (3) et universelle est essentiel à tous ceux qui veulent justifier le pouvoir d'État, Machiavel lui-même le reconnaît : Tous les écrivains qui se sont occupés de politique [...] s'accordent à dire que quiconque veut fonder un État et lui donner des lois, doit supposer d'avance les hommes méchants, et toujours prêts à montrer leur méchanceté toutes les fois qu'ils en trouveront l'occasion (4).
On peut noter que, concernant le droit, Machiavel lui-même a une position distincte de ses successeurs plus "libéraux" qui voudront fonder l'État sur le principe du droit uniquement. Néanmoins, chacun sait que tous les pouvoirs souverains ont eu la force pour origine, ou, ce qui est la même chose, la négation du droit (5). Et pour leur quotidien, il est semblable à leur origine : à chaque fois que le besoin s'en fait sentir pour les dominants, la raison d'État vient à la rescousse et légitime tous les abus. Machiavel a eu au moins le mérite de revendiquer bien haut la légitimité de ces incartades aux principes du droit, alors que nombre de ses successeurs se sont réfugiés dans l'hypocrisie la plus totale en condamnant les principes de ce qu'ils ont appelé le Machiavélisme, et ce pendant qu'ils appliquent ces mêmes principes en sachant très bien qu'il sont indispensables à l'exercice du pouvoir (6).
Pour les anarchistes, la nature humaine est...
Examinons maintenant ce que les anarchistes ont pu adopter comme conception de la nature humaine, cela nous mènera par la même occasion aux objections que les anarchistes opposent généralement à l'analyse Machiavélienne.
... optimiste ?
Malgré la grande variété de courants de pensée anarchistes, il semble possible de dégager quelques caractéristiques communes à l'ensemble des penseurs anarchistes quant à leur conception de la nature humaine (c'est du moins possible pour les représentants de l'anarchisme social, dont il sera uniquement question ici).
Tout d'abord, pour revenir à l'introduction, les anarchistes sont souvent traités d'optimistes irréductibles. On les accuse de prétendre, comme Rousseau, que l'humanité est essentiellement bonne et que c'est la société ou le pouvoir qui la corrompt. Il n'y aurait qu'à éliminer le pouvoir pour que tout rentre dans l'ordre. L'anarchie ne serait donc rien d'autre que l'état de nature, et l'anarchisme serait "primitif", "utopique" et "incompatible avec la complexité des réalités sociales". Cette accusation d'optimisme immodéré n'est pas sans fondement mais est grossièrement exagérée.
Kropotkine (1842-1921) est souvent considéré comme le plus optimiste des fondateurs de l'anarchisme. C'est de sa conviction en la nature sociable de l'homme qu'il tirait la possibilité et la nécessité d'une société libertaire : Eh bien, nous ne craignons pas de renoncer au juge et à la condamnation. Nous renonçons même [...] à toute espèce de sanction, à toute espèce d'obligation de la morale. Nous ne craignons pas de dire "Fais ce que tu veux, fais comme tu veux" - parce que nous sommes persuadés que l'immense masse des hommes, à mesure qu'ils seront de plus en plus éclairés et se débarrasseront des entraves actuelles, fera et agira toujours dans une direction utile à la société, tout comme nous sommes persuadés d'avance que l'enfant marchera un jour sur deux pieds et non sur quatre pattes, simplement parce qu'il est né de parents appartenant à l'espèce Homme (7).
Sa vision de la nature humaine semble donc à la fois contextuelle (ce sont les contraintes matérielles, socio-culturelles, et idéologiques, auxquelles l'homme est soumis dans la société actuelle qui l'amènent à développer les aspects les plus sombres de sa personnalité) et universelle (si l'homme est libéré des entraves dans lesquelles il est placé sa nature fondamentalement sociable se révélera inévitablement). Il est bien évident que cet optimisme inébranlable doit être remis dans le contexte qui est le sien : la fin du dix-neuvième siècle avec l'essor du socialisme sur lesquels se fondaient les espoirs révolutionnaires les plus absolus.
Kropotkine n'est pas le seul anarchiste a avoir exprimé son optimisme concernant une nature humaine qui serait à la fois contextuelle et universelle. Par exemple, l'anarchiste italien Errico Malatesta (1853-1932) était aussi convaincu qu'il y a heureusement, chez les hommes, un [...] sentiment qui les rapproche de leur prochain : le sentiment de sympathie, de tolérance, d'amour ; et c'est grâce à ce sentiment qui existe à des degrés divers chez tous les êtres humains [...] qu'est née notre idée : faire que la société soit véritablement un ensemble de frères et d'amis qui, tous, travaillent pour le bien de tous (8).
Mais ces convictions optimistes n'étaient pas une simple espoir idéaliste "métaphysique". Pour l'affirmer, Malatesta se basait sur la constatation concrète que s'il n'y avait eu en l'homme que [...] la volonté de dominer les autres et de profiter des autres, l'humanité en serait restée au stade de l'animalité et n'aurait pas pu connaître le développement des différents systèmes historiques et contemporains qui, même dans les pires cas, représentent toujours un compromis entre l'esprit de tyrannie et ce minimum de solidarité sociale sans lequel il n'y aurait pas de vie quelque peu civilisée et évolutive (9). Le scientifique Kropotkine remarquait également le fait établi que même sous le pire despotisme, la plupart des rapports personnels de l'homme avec ses semblables sont réglés par des habitudes sociales, de libres accords et une coopération mutuelle sans lesquels il n'y aurait pas de vie sociale du tout. Si ce n'était pas le cas, même le mécanisme d'État le plus violemment coercitif ne serait pas capable de maintenir l'ordre social un seul instant (10).
... ou pessimiste ?
Malgré ses remarques positives sur l'anarchisme, la conclusion finale de Dave Morland est que l'anarchisme doit être considéré comme utopique et incohérent car sa vision de la société future excéderait les capacités de sa propre conception de la nature humaine. En d'autres termes, à cause de son versant profondément pessimiste universaliste, la vision de la nature humaine proposée par les théories sociales anarchistes serait en contradiction avec la société sans État qu'elles défendent. Selon Morland (c'est important), en conséquence, la demande anarchiste pour un société sans État excède ce que sa conception de la nature humaine permettra, mettant par là en péril la validité de [...] son statut d'idéologie lui-même (22). Voilà qui est fort bien, car, précisément (ce que Morland semble ne pas voir) l'anarchisme n'est pas une idéologie (23). On peut même dire plus, ses fondements théoriques s'opposent essentiellement à toute forme d'idéologie. En effet, il n'y a pas de pouvoir sans nécessité de justification et, donc, [...] d'idéologie, comme le souligne A. G. Calvo pour qui l'idéologie est la forme froide et détachée de la justification. L'idéologie semble devoir être un discours au service du pouvoir (du pouvoir en place ou de ceux qui ambitionnent d'y accéder). On pourrait donc remercier Morland de fournir un indice supplémentaire de la nature non idéologique de l'anarchisme.
L'incohérence qu'il désigne est éliminée une fois que l'on réalise que l'anarchisme n'envisage pas l'anarchie comme un ordre social parfait indépassable. Cette dernière idée est en fait directement opposée aux idées fondatrices de l'anarchisme (24). Pour preuve, ce commentaire de l'anarcho-syndicaliste allemand Rudolf Rocker (1873-1958) : L'anarchisme n'est pas la solution brevetée de tous les problèmes humains, ce n'est pas le pays d'Utopie d'un ordre social parfait (comme on l'a si souvent appelé), puisque, par principe, il rejette tout schéma et tout concept absolus. Il ne croit pas à une vérité absolue ou à des buts finaux précis du développement humain, mais à une perfectibilité illimitée des formes sociales et des conditions de vie de l'homme, qui s'efforcent toujours à de plus hautes formes d'expression. On ne peut pour cette raison leur assigner de termes précis ni leur fixer de but arrêté. Le plus grand mal de toute forme de pouvoir est [...] de toujours essayer d'imposer à la riche diversité de la vie sociale des formes précises et de l'ajuster à des règles particulières (25).
Pour les anarchistes, l'utopie n'est pas un projet social immuable et indépassable, un contrat déterminé avec l'avenir, c'est pour eux le rappel constant du caractère inacceptable de toutes les oppressions présentes alors qu'un autre futur (et donc aussi un autre présent) est possible. Les utopies habitant leur imaginaire constituent les repères indispensables à la construction des alternatives qu'ils tentent de bâtir ici et maintenant.
... ou indéterminée ?
Que ce soit encore Paul Goodman [La nature humaine existe et l'une de ses caractéristiques est de sans cesse se faire et se refaire différemment (26)] ou Oscar Wilde (1854-1900) [Il n'existe qu'une certitude définitive sur la nature humaine, elle est changeante (27)], pour ne citer qu'eux, on peut affirmer que les penseurs anarchistes s'accordent unanimement à dire que la nature humaine évolue au cours du temps (du fait de sa contextualité) et il doit donc en être de même pour les principes qui organisent la société. La remarque de Morland sur le fait que l'anarchisme n'apporte pas de réponse définitive sur la nature humaine est justifiée mais elle manque sa cible car l'anarchisme n'a pas pour but de se baser sur une telle réponse pour élaborer ce qui serait une ordre social optimal immuable (28). Au contraire, pour l'anarchisme, les systèmes qui échouent sont ceux qui misent sur la permanence de la nature humaine plutôt que sur son évolution et son développement (29). Dès lors, il ne peut y avoir de principe social indépassable pour les anarchistes, la nature humaine et l'organisation sociale sont indissociablement liées et, toutes deux, perfectibles. Le plus grand crime de l'État est, précisément, d'instituer l'autorité et la violence comme fondements de l'organisation sociale, et de priver, par là même, la société de la possibilité de construire un monde meilleur. L'État fige l'imperfection sociale en l'élevant au rang de principe indépassable. La responsabilité dont William Godwin (1756-1836), par exemple, chargeait les gouvernants n'est pas d'avoir introduit le mal où il n'existait point, mais de l'entretenir et de le renforcer en lui donnant une substance et une permanence politique.
Dave Morland a donc bien raison d'affirmer que la conception pessimiste de la nature humaine des anarchistes proscrit la possibilité d'une société harmonieuse, parfaite, sans aucun conflit, seulement là n'est pas le problème. Il ne s'agit pas de prétendre éliminer toute forme de conflit au sein de la société (utopie totalitaire s'il en est) mais bien de savoir comment la société compte assumer et gérer les conflits qui surgiront immanquablement. Répétons encore une fois que l'anarchisme ne prétend en effet pas qu'une société parfaite soit possible, il considère plutôt que toute société humaine est perfectible, en se basant sur sa vision contextualiste de la nature humaine (si on change les structures sociales, l'homme et la société peuvent aussi changer) ainsi que sur le versant optimiste et sociable de sa conception universaliste de la nature humaine (comme chez Kropotkine et Malatesta).
La conception anarchiste de la nature humaine est bien duale, multiple, indéterminée (comme le souligne avec justesse Morland), c'est-à-dire, en quelque sorte, ouverte, libre. Quoi de plus naturel puisque l'anarchisme n'est pas une idéologie figée à vocation totalisante. Il est peut-être plus approprié de le voir comme une méthode, une recherche éthique sur les moyens et la fin, visant à améliorer la société actuelle, quelle qu'elle soit, pour qu'elle permette un développement toujours plus libre des individus qui la composent.
Cette indétermination fondamentale de la conception fondamentale de la nature humaine peut être interprétée comme une forme de prudence et de scepticisme méthodologique, plus proches de la démarche scientifique que certaines théories sociales révolutionnaires concurrentes se proclamant elle-même "scientifiques". Plus précisément, de nombreux scientifiques anarchistes, comme le linguiste Noam Chomsky, considèrent que la nature humaine existe réellement, et qu'il est dès lors possible de l'analyser par l'expérience et l'usage de la raison, seulement notre connaissance actuelle en est extrêmement restreinte, ce qui doit justement nous conduire à la plus extrême prudence vis-à-vis de toute utopie totalisante se basant sur une prétendue connaissance bien déterminée de celle-ci.
L'Anarchie, une utopie ambigüe ?
L'idée que la conception anarchiste de la nature humaine est incompatible avec l'idée d'une société harmonieuse parfaite et ultime est très importante et n'est pas toujours soulignée avec assez d'insistance, ce qui fut parfois source de confusion dans le mouvement libertaire lui-même, au point que l'Anarchie court toujours le risque éventuel de remplacer l'État dans son rôle de principe indépassable. Pour illustrer cette idée, le roman de science-fiction Les dépossédés de la féministe américaine Ursula Le Guin est tout à fait admirable.
Ce roman met en scène deux sociétés vivant sur des planètes séparées, Urras et Anarres, dans un lointain système solaire. La société sur Urras possède un système capitaliste patriarcal très prospère économiquement (comparable aux USA actuels, avec le racisme en moins). Celle résidant sur la lune Anarres c'est une société anarcho-communiste (grandement inspirée des idées de Kropotkine et de Goodman) issue de l'exode du mouvement anarcho-syndicaliste de l'autre planète Urras. Ces deux sociétés ont rompu tout contact sauf pour un convoi de marchandise de temps en temps.
Le fonctionnement de la société communiste libertaire est décrit de manière élaborée et crédible car imparfait. Ce n'est pas le lieu pour en faire une description détaillée, disons seulement qu'un des points examinés par Ursula Le Guin est que malgré l'absence formelle de coercition ou d'autorité, des formes de pouvoir et d'autorité sont réapparues sur Anarres, contre toute volonté délibérée des habitants, sans même que la majorité d'entre eux ne s'en rendent compte ou ne veuillent l'admettre. Leur société repose sur le postulat, qu'on trouve dans les utopies anarchistes, que la contrainte pourra être remplacée par la pression intériorisée de la conscience sociale. Son inflation, avec les effets de paralysie et de pouvoir qu'elle entraîne est une des lignes de force du roman (30). L'obéissance aux lois sous la contrainte d'un système répressif étatique, a été remplacée sur Anarres par la peur d'être non-conforme, d'égotiser comme disent les Odoniens (31), les habitants d'Anarres. Leur isolement volontaire est également responsable de sa sclérose ; en se fermant au Vieux Monde, en se repliant sur ses propres principes sans les remettre jamais plus en question, elle s'est interdit la possibilité d'évoluer. Mais plutôt qu'une longue dissertation, voilà deux extraits qui parlent d'eux-mêmes (c'est un contestataire qui a la parole) : Nous n'avons pas de gouvernement, pas de lois, d'accord. Mais il me semble que les idées n'ont jamais été contrôlées par les lois ou les gouvernements, même sur Urras. Si elles l'avaient été, comment Odo aurait-elle développé les siennes ? Comment l'Odonisme serait-il devenu un mouvement mondial ? Les hiérarchistes ont essayé de l'écraser par la force, et ont échoué. On ne peut pas briser les idées en les réprimant. On ne peut les briser qu'en les ignorant. En refusant de penser, refusant de changer. Et c'est précisément ce que fait notre société ! [...] C'est partout sur Anarres [...] partout où une fonction demande des connaissances techniques et une institution stable. Mais cette stabilité stable ouvre la porte au désir d'autoritarisme. Durant les premières années du Peuplement, nous étions conscients de cela, nous y faisions attention. À cette époque, on faisait une distinction très nette entre administrer les choses et gouverner les gens. Et ils l'ont si bien faite que nous avons oublié que l'envie de dominer est aussi centrale dans les êtres humains que le désir de l'aide mutuelle, qu'il faut l'entretenir dans chaque individu, dans chaque nouvelle génération (32).
Le roman Les dépossédés dans lequel certains pourraient voir une critique du communisme libertaire en particulier ou de l'idéologie anarchiste en général (33), semble plutôt devoir être interprété comme un plaidoyer pour la révolution permanente. Même dans une société sans État ni propriété, sans casernes ni prisons, sans patrons ni salariat, certaines formes d'Autorité risquent évidemment de (ré)apparaître, de resurgir insidieusement de notre propre nature humaine. Dès lors, on peut affirmer que même une société libertaire aura toujours besoin de ses anarchistes pour remettre en cause et secouer l'ordre établi.
Le principe d'autorité : facteur interne de la servitude volontaire
Du fait de l'intériorisation sociale millénaire du principe d'autorité, le danger existe qu'il renaisse de ses cendres, c'est pourquoi le principe d'autorité s'agitant au sein de notre propre nature humaine constitue peut-être l'ennemi principal de l'anarchisme. L'exemple le plus tragique de cette intériorisation est certainement constitué des dérives totalitaires de type fasciste (34) qu'ont connu vers la même époque divers pays d'Europe occidentale, ainsi que la Russie. Elles trouvent leur source dans la psychologie des masses humaines subissant depuis de millénaires l'oppression du système autoritaire patriarcal, qui poussent les hommes dans certaines périodes de crise à préférer l'oppression et l'esclavage à un climat (même chimérique) de désordre et d'insécurité. Une pure analyse socio-économique, telle l'analyse marxiste conventionnelle, ne suffit pas examiner en profondeur l'horreur fasciste car elle élimine arbitrairement toute la dimension fondamentalement irrationnelle de la nature humaine. Affirmer cela ne revient pas à nier que les régimes fascistes d'extrême-droite européens ont été la réaction préventive extrêmement violente du système capitaliste contre le danger que constituaient les aspirations sociales du puissant mouvement ouvrier. L'émergence du fascisme s'explique en effet notamment par divers facteurs socio-économiques (le spectre de la révolution russe de 1917 dans le cas de Mussolini, la crise mondiale du capitalisme de 1929 pour Hitler, etc) mais tout ceci n'explique pas l'apparition du fascisme (35) et encore moins sa possibilité même.
Par contre, on peut affirmer que si le fascisme a pu naître, croître, et vaincre (et simplement exister), c'est parce qu'il exprime la structure autoritaire irrationnelle de l'homme nivelé dans la foule. Un fait psychologique remarquable est que le fascisme n'est pas, comme on a tendance à le croire, un mouvement purement réactionnaire, mais il se présente comme un amalgame d'émotions révolutionnaires et de concepts sociaux réactionnaires (36), ce qui explique son succès au sein des masses, y compris la classe ouvrière.
Définir le fascisme comme "le bras armé du Grand Capital" ne recouvre que la partie visible du fascisme, extérieure à la nature humaine, elle n'explique pas le succès de sa propagande.
L'efficacité de la propagande politique ne se rattache en effet pas directement à des processus économiques mais à des structures psychologiques humaines.
Les idéologies socialistes sont nées et se sont structurée autour d'un espace historique de deux siècles, correspondant à l'épanouissement du machinisme, de la société industrielle et du système capitaliste. Le fascisme a trouvé sa force dans la structure psychologique irrationnelle de l'homme, dans ses pulsions mystiques et sa soif d'autorité, dans la nature humaine contemporaine, fruit de 4000 à 6000 ans (selon le psychologue Wilhelm Reich) de société patriarcale autoritaire. N'oublions pas que tout ordre social produit dans la masse de ses membres les structures dont il a besoin pour parvenir à ses fins (37). Sans ces structures psychologiques la guerre ou le fascisme seraient impossibles.
Tout pouvoir, même installé par la force et maintenu par la contrainte, ne peut dominer une société durablement sans la collaboration, active ou résignée, d'une partie notable de la population. C'est dans l'esprit de l'opprimé que tout pouvoir trouve d'abord sa force, plus que dans celle des armes. Rien ne paraît plus surprenant [...] que de voir la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit, et l'humble soumission avec laquelle les hommes sacrifient leurs sentiments et leurs penchants à ceux de leurs chefs.
Au dix-huitième siècle, David Hume nous posait déjà la question de savoir quelle était la cause de cette situation paradoxale, et répondait : Ce n'est pas la force ; les sujets sont toujours les plus forts. Ce ne peut donc être que l'opinion. C'est sur l'opinion que tout gouvernement est fondé, le plus despotique et le plus militaire aussi bien que le plus populaire et le plus libre (38).
L'intériorisation sociale du principe d'autorité depuis des millénaires est donc peut-être l'ennemi premier de l'anarchisme, car de cette intériorisation découlent l'inertie sociale et la servitude volontaire sur lesquels reposent tout pouvoir et toute oppression. Jusqu'à présent, comme l'a fait remarquer un compagnon surréaliste, les anarchistes n'ont pas toujours cerné la puissance purement vitale, fondamentale, à laquelle ils s'attaquaient. Dans leur pureté, ils se sont voilés la face devant cette réalité et ils se sont rassurés en désignant l'ennemi sous une forme plus humaine, plus vulnérable et plus facile à montrer du doigt : la Bourgeoisie, l'Église, le Capital. Mais en réalité, le bourgeois, le curé, le financier, le milicien, le chef de cellule, le général, le policier ne possèdent pas la puissance. Ils en sont les pantins. Et la puissance trouvera toujours ses pantins. Débusquer cette puissance qui est partout, qui est en nous, est le devoir fondamental qui nous incombe (39).
La face pessimiste de la vision universelle et contextuelle de la nature humaine des anarchistes nous rappelle que le principe d'autorité, avant toute chose, est en chacun de nous (et dans une certaine mesure, il s'y trouve peut-être à jamais). C'est donc autant contre la domination du monde extérieur sur nous qu'il nous faut lutter que contre ces instincts qui sont en nous et qui nous poussent à succomber aux pulsions de domination ou au confort rassurant de la soumission, à notre désir de pouvoir ou à notre peur de la liberté.
Ceci n'est néanmoins pas une exhortation à un repli sur soi, mais une invitation à un retour sur soi. Pourquoi rendre la quête libertaire individuelle exclusive, alors qu'elle est complémentaire. Il ne faut surtout pas tomber dans l'opposition combien regrettable entre anarchisme individualiste et anarchisme social. Le versant contextuel de l'anarchisme nous rappelle avec force que libération individuelle et collective sont intrinsèquement liées l'une à l'autre, comme le rappelle avec bon sens ce cher Malatesta : Entre l'homme et le mileu social, il y a une action réciproque. Les hommes font la société telle qu'elle est, et la société fait les hommes tels qu'ils sont, d'où une espèce de cercle vicieux. Pour transformer la société, il faut transformer les hommes ; et pour transformer les hommes, il faut transformer la société (40).
Fin de l'Histoire et mot de la fin
En guise de conclusion, on peut noter que l'Histoire a justifié l'évaluation anarchiste de la nature humaine en plus d'une occasion. Les anarchistes aiment à penser que l'histoire de l'Union Soviétique a justifié leurs inquiétudes à propos de l'établissement d'une dictature du prolétariat. Placer le pouvoir dans une élite révolutionnaire ou un parti avant-gardiste attesta le principe de commensurabilité entre moyens et fins (autoritaires contre libertaires), mais confirma aussi leurs suspicions que le pouvoir est une drogue à accoutumance qui, si elle n'est pas stoppée, mettra en péril le fonctionnement convenable de n'importe quelle société (41).
Sans diabolisation ni angélisme, la conception anarchiste de la nature humaine nous offre un futur ouvert à de nombreux possibles ; sans fatalisme, l'homme et son histoire seront ce que nous en ferons.
Pour les anarchistes, il n'y a pas de fin à l'Histoire ou de stade ultime de la société (y compris une hypothétique Anarchie). Ils savent que ni âge d'or du Socialisme, ni Royaume de Dieu n'attendent le long du sentier sinueux tracé par l'humanité hésitante.
Néanmoins, l'Utopie, ce flambeau de l'impossible, est leur guide, indispensable à la réalisation d'un autre futur. L'Utopie n'est certainement pas pour eux un achèvement ultime, mais au contraire ce qui leur reste toujours à construire, à vivre et à réinventer...
Le mot de la fin reviendra au poète Oscar Wilde, exilé de l'île d'Utopie : Une carte du monde qui ne comprendrait pas l'Utopie ne serait même pas digne d'être regardée car elle laisserait de côté le seul pays où l'Humanité vient toujours accoster. Et après y avoir accosté, l'Humanité regarde autour d'elle et, ayant aperçu un pays meilleur, reprend la mer (42).
Xavier Bekaert
(1) Le diplomate florentin Nicolas Machiavel (1469-1527) est le premier a avoir élaboré une théorie de l'État moderne, distinct de l'Empire ou de la Cité. Son analyse sert de base, ne serait-ce que de manière indirecte, à tous ceux qui veulent légitimer le pouvoir d'État, et la domination qu'il exerce sur la société, que le régime étatique soit dictatorial ou parlementaire.
(2) Maurice Jolly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, 1865, Ier Dialogue.
(3) Quiconque compare le présent et le passé, voit que toutes les cités, tous les peuples, ont toujours été et sont encore animés des mêmes désirs, des mêmes passions (N. Machiavel, Discours, I, chap.29).
(4) N. Machiavel, Discours, I, chap.3.
(5) M. Jolly, Ibid.
(6) On peut donc affirmer que la réprobation qui a frappé le Traité du Prince de Machiavel est d'une hypocrisie coupable. En effet, est-ce que la politique, c'est-à-dire l'exercice du pouvoir et les luttes pour son accès, a rien à démêler avec la morale ? A-t-on jamais vu un seul État se conduire d'après les principes de la morale privée ? Le seul crime de Machiavel est d'avoir dit avec honnêteté, ce qu'il considérait non pas comme une vérité morale mais comme une vérité politique. En réalité, le mythe du Machiavélisme porte avec soi une mise en accusation de la politique (Claude LeFort, Le travail et l'ouvre de Machiavel, Gallimard, 1986, p.77). C'est ce qui explique son extraordinaire longévité, car le Machiavélisme a le même âge que la domination d'État.
(7) Pierre Kropotkine, La morale anarchiste, Éd. du groupe Fresnes-Antony, coll. Volonté Anarchiste, 1989.
(8) Errico Malatesta, Umanità Nova, 16 septembre 1922.
(9) E. Malatesta, Umanità Nova, 16 septembre 1922.
(10) Rudolf Rocker, De la doctrine à l'action. L'anarcho-syndicalisme des origines à nos jours, Atelier de Création Libertaire, 1995, p.30.
(11) E. Malatesta, Umanità Nova, 2 septembre 1920.
(12) Paul Goodman, Liberté et autonomie, dans La Critique Sociale, Atelier de Création Libertaire, 1997, p.48.
(13) Ernestan, Pages choisies, La Ruche Ouvrière, 1966, p.79.
(14) E. Malatesta, Umanità Nova, 24 septembre 1920.
(15) Léon Tolstoï, Les rayons de l'aube, Stock, Paris, 1901, p.387.
(16) Le titre de ce texte ainsi que la présentation qui est faite ici de la conception anarchiste de la nature humaine se basent essentiellement sur les idées exprimées dans sa thèse de doctorat Demanding the impossible ? Human nature and politics in nineteenth-century social anarchism, Cassell, 1997 et dans son article Anarchism, Human Nature and History que l'on peut trouver dans l'ouvrage collectif Twenty-first Century Anarchism, Unorthodox ideas for a new millenium, J. Perkins & J. Bowen, 1997.
(17) D. Morland, Anarchism, Human Nature and History, Ibid., p.16.
(18) E. Malatesta, Umanità Nova, 24 septembre 1920.
(19) E. Malatesta, Umanità Nova, 16 septembre 1922.
(20) Cité dans l'introduction du livre de Peter Swinger, A Darwinian left, Darwinism today, Weidenfeld and Nicholson, London, 1999.
(21) Jean Bricmont, Marx ? Plutôt Russel et Bakounine !, cahiers marxistes juin-juillet 1999, n°212, p.11-38.
(22) D. Morland, Demanding the impossible ?, p.7.
(23) Ceci est probablement du au fait que Morland a concentré son étude sur les anarchistes du dix-neuvième siècle, alors que le rejet explicite des travers "idéologiques" de l'anarchisme classique semble s'être progressivement élaboré après mai 68.
(24) Si ceci est vrai pour l'anarchisme "moderne", il faut reconnaître que, historiquement "l'Anarchie", "la Révolution", et "la Sociale" ont pu posséder une valeur religieuse (de type millénariste, c'est-à-dire une foi en l'arrivée d'un monde harmonieux qui serait à l'image de l'âge d'or des origines) incontestable au sein du mouvement ouvrier révolutionnaire, anarchiste en particulier.
(25) R. Rocker, Ibid., pp.19-20.
(26) P. Goodman, Notes d'un conservateur néolithique, Ibid., p.132.
(27) O. Wilde, Aphorismes, Mille et une nuits, 1995, p.8.
(28) Notons qu'un certain nombre d'anarchistes contemporains ne croient même pas à la possibilité d'un ordre social "juste". Par exemple, Paul Goodman considère que l'usage actuel du mot révolution, avec ses connotations habituelles, est contre-révolutionnaire. Il est trop politique. Il semble assurer qu'il pourrait exister une bonne société, une bonne Res Publica, alors que, selon moi, le mieux que l'on puisse espérer, c'est une société acceptable qui ne gêne pas les vraies activités de la vie (Anarchisme et révolution, Ibid., p.65).
(29) O. Wilde, Ibid., p.42.
(30) René Furth, La liberté rien dans les poches, dans Réfractions n°5, printemps 2000.
(31) Du nom de Laia Odo, fondatrice et théoricienne du mouvement, qui est l'héroïne de La veille de la Révolution (publiée dans Le Livre d'Or d'Ursula Kroeber Le Guin, Presses Pocket, Éd. Robert Laffont, 1978), superbe nouvelle sur la vieillesse, la mort et l'amour.
(32) Ursula Le Guin, Les dépossédés, Presses Pocket, Éd. Robert Laffont, 1974, pp.154-156.
(33) Le Guin s'est elle-même défendue d'une telle interprétation plusieurs fois. On lui avait par exemple demandé si son roman pouvait être interprété comme l'affirmation qu'une société anarchiste devient, avec le temps, encore plus oppressive qu'une société capitaliste. Sa réponse est catégorique : Non ! Si j'avais voulu dire quelque chose de précis, ce serait que les êtres humains ne sont que des êtres humains, et qu'avec le temps nous somme en mesure de tout détruire. Vous ne pouvez pas laisser l'État dépérir ; et puis vous asseoir et proclamer : "Eh bien, c'est fini" (cf. interview publiée dans Agora n°2, Toulouse, été 1980 ; compte-rendu du premier symposium international sur l'anarchisme).
(34) Le fascisme est compris ici au sens de mouvement de masse d'idéologie totalitaire reposant sur une forme exacerbée du mysticisme religieux basée sur le principe d'autorité. Cette définition recouvre les mouvements fascistes d'extrême-droite Mussolinien et Hitlérien, aussi bien que le fascisme rouge Stalinien. Les régimes fascistes, par leur totalitarisme idéologique et leur mystique de l'autorité, sont à distinguer de ce qu'ils convient plutôt d'appeler des régimes autoritaires tel que le régime des colonels en Grèce, ou de Pinochet au Chili.
(35) Après tout, pourquoi y-a-t-il eu victoire du fascisme et non révolution sociale ? alors que, selon l'analyse marxiste, étaient rassemblées toutes les conditions historiques nécessaires à cela (l'Allemagne des années 30 était un pays industriellement avancé avec un des mouvements ouvriers organisés le plus puissant d'Europe).
(36) W. Reich, La psychologie de masse du fascisme, Petite Bibliothèque Payot, 1998, p.12.
(37) Ibidem, p.44.
(38) D. Hume, Essais moraux et politiques, 1748.
(39) Claude-Lucien Cauët, L'impensable objet du désir, dans Le pied de grue, Surréalisme et anarchisme, Atelier de Création Libertaire, coll. Le Miroir noir, 1994, p.27.
(40) E. Malatesta, Il programmo Anarchico, 1920.
(41) D. Morland, Anarchism, Human Nature and History, Ibid., p.17.
(42) Oscar Wilde, Ibid., p.19.
Petite vidéo illustrant l'approche libertaire, à propos d'une boulangerie bio autogérée :
https://youtu.be/4ZNxp49fNCk
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Alain V
Inscrit le: 24 Fév 2007 Messages: 6318
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Posté le: Ma 03 Août 2021 21:35 Sujet du message: |
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Merci pour le texte !
Je ne vais pas devenir anarchiste pour autant mais il y a des idées intéressantes ...
Machiavel n'était sûrement pas un type sympa ( c' était peut être bien un enfoiré , en fait ) ...mais Rousseau n'était pas forcément sympa non plus.
Leur idée de la société est radicalement opposée.
Malheureusement il me semble que Machiavel est beaucoup plus réaliste que Rousseau.
Ceci étant, rien n'est jamais définitivement écrit, et même s' il me semble qu' il existe une " nature humaine " ( pas très à l'avantage de " l' humain bon " ... Il faut le reconnaître ) il n' en reste pas moins que la créativité humaine, l' ingéniosité, la bonne volonté ... tout ça peut surprendre, des défis peuvent être relevés.
A l' image de cette boulangerie bio.
Je ne sais pas si ça peut durer dans le temps mais le résultat est sympa.
Notamment cette idée de ne pas jeter les invendus et les donner en fin de journée.
Un capitaliste pur et dur risque tout de même de périr d' une attaque d'apoplexie car ce mot - que dis je, cette injure ! - DONNER ...sera dur à avaler.
Bien sûr, il restera toujours ceux qui auront compris comment il faut s' y prendre pour avoir le pain gratos ...
Bon, en tout cas belle initiative ! |
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KIYA
Inscrit le: 20 Fév 2014 Messages: 2270
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Posté le: Ma 03 Août 2021 22:34 Sujet du message: |
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Pour ma part, je me sens quelques affinités avec l'idée d'anarchisme. Cependant je suis bien trop solitaire et consciente des dérives possibles pour envisager de suivre quelque mouvement que ce soit.
Je peux être assez désabusée en surface, mais au fond, je crois en la capacité de l'homme à créer une société plus humaine, plus égalitaire.
Pour ce qui est de la nature humaine je crois que la bonté et la bonne volonté est beaucoup répandue que l’égoïsme et l'amour du pouvoir sur l'autre. Le seul hic, c'est que ce sont les individus qui appartiennent à la deuxième catégorie qui gèrent le sens dans lequel nos sociétés sont orientées. |
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Alain V
Inscrit le: 24 Fév 2007 Messages: 6318
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Posté le: Ma 03 Août 2021 23:26 Sujet du message: |
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KIYA a écrit: | Pour ma part, je me sens quelques affinités avec l'idée d'anarchisme. Cependant je suis bien trop solitaire et consciente des dérives possibles pour envisager de suivre quelque mouvement que ce soit.
Je peux être assez désabusée en surface, mais au fond, je crois en la capacité de l'homme à créer une société plus humaine, plus égalitaire.
Pour ce qui est de la nature humaine je crois que la bonté et la bonne volonté est beaucoup répandue que l’égoïsme et l'amour du pouvoir sur l'autre. Le seul hic, c'est que ce sont les individus qui appartiennent à la deuxième catégorie qui gèrent le sens dans lequel nos sociétés sont orientées. |
...et c' est assez facile de comprendre pourquoi, je pense ...
C' est que le pouvoir revient presque toujours à ceux qui s' en emparent par la brutalité et le ...machiavélisme.
D' ou d'ailleurs cette idée que j'expose ici assez souvent ...
Celle d' un Dieu totalement Amour ...donc étranger à ce monde et donc impuissant à le changer. |
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KIYA
Inscrit le: 20 Fév 2014 Messages: 2270
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Posté le: Ma 03 Août 2021 23:56 Sujet du message: |
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Je ne crois pas en un Dieu. Et encore moins en un Dieu qui agirait sur le monde.
Je me dis souvent que si l'homme savait ce qu'il est, il n'aurait pas besoin de tous ces concepts extérieurs à lui même. Et il pourrait enfin se devenir en paix. |
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konrad
Inscrit le: 25 Mars 2018 Messages: 1700 Localisation: En van...dredi.
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Posté le: Me 04 Août 2021 7:11 Sujet du message: |
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Bonjour,
Il y a eut un courant anarchiste mystique au début du mouvement, en Russie, qui n'est pas inintéressant.
Et puis dans la Grèce antique, peut-être les premiers anarchistes, les cyniques avec Diogène, entre autres ! |
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Alain V
Inscrit le: 24 Fév 2007 Messages: 6318
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Posté le: Me 04 Août 2021 8:09 Sujet du message: |
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KIYA a écrit: | Je ne crois pas en un Dieu. Et encore moins en un Dieu qui agirait sur le monde.
Je me dis souvent que si l'homme savait ce qu'il est, il n'aurait pas besoin de tous ces concepts extérieurs à lui même. Et il pourrait enfin se devenir en paix. |
Je ne crois pas non plus en un Dieu extérieur.
Mais mon idée concerne justement l' IDEE de Dieu, et non pas Dieu lui même.
Je pars simplement de cette idée que l'amour - dans son sens le plus noble et le plus large - est l'énergie la plus positive qui soit pour l'humain.
Et donc mon idée de Dieu se trouve dans l'intériorité et t certainement pas dans la nature.
Cela rejoint tout à fait !es grands principes de la philosophie : l'Être et le Devenir. |
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didier
Inscrit le: 18 Fév 2018 Messages: 3260 Localisation: Région Parisienne
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Posté le: Me 04 Août 2021 8:40 Sujet du message: |
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Bonjour à tous et merci, daniel, pour ce sujet.
A 18 ans, je me disais anarchiste, avec pour devise « Ni dieu ni maître ». Nous étions un petit groupe de 4 et cette année là, l’année du bac et fûmes parmi les premiers du lycée à nous mettre en grève pour protester contre je ne sais plus quoi, et parmi les derniers à sortir de cette grève. Nous étions adolescents et rebelles à toute autorité.
konrad a écrit: | Il y a eut un courant anarchiste mystique au début du mouvement, en Russie, qui n'est pas inintéressant.
Et puis dans la Grèce antique, peut-être les premiers anarchistes, les cyniques avec Diogène, entre autres ! |
Je suis allé regardé sur wikipedia ce qu'ils disaient de l'anarchisme mystique dont voici la définition (dont les sources sont jugées insuffisantes) :
Citation: | Georges Tchoulkov publie le Manifeste de l'Anarchisme mystique à Moscou en 1906, dans la lignée des événements révolutionnaires de 1905 durement réprimés par Nicolas II. Marqué par l'œuvre de Fiodor Dostoïevski et celle de Léon Tolstoï, Tchoulkov va jeter les bases d'une pensée révolutionnaire aux dimensions tant politiques qu'artistiques, et dont l'idéal mystique se traduira par la forte importance accordée à une théosophie résolument holistique en tant qu'appliquée directement à la question sociale et ses différentes problématiques (politique, éthique, éducative, culturelle).
Tchoulkov écrit ainsi : « La lutte contre le dogmatisme dans la religion, la philosophie, la morale et la politique, voilà le slogan de l’anarchisme mystique. Le combat pour l’idéal anarchique ne nous mène pas au chaos indifférent mais au monde transfiguré, à une condition : que par ce combat pour toutes les libérations, nous participions à l’expérience mystique, à travers l’art, l’amour religieux et les musiques. J’appelle musique non seulement l’art qui nous ouvre à l’harmonie des sons, mais toutes les créativités fondées sur les rythmes qui nous font découvrir le côté nouménal (spirituel) du monde ».
Le caractère à la fois artistique, spirituel et éthique de l'anarchisme mystique se voit ainsi souligné comme caractéristique d'une approche multidisciplinaire du fait politique et des problématiques anthropologiques et sociales liées. Pleinement anarchiste, le courant revendiquera les visées libertaires d'autogestion et d'émancipation quant à toute autorité collective qu'elle soit politique, judiciaire, économique ou religieuse. La défense radicale de la personne humaine au nom de sa transcendance telle que proclamée par le Christ s'oppose à l'autorité autant qu'elle vise à organiser le corps social entier sur l'impératif de liberté intégrale au nom d'une plus haute spiritualité.
Néanmoins, l'alliance des deux versants, religieux ou mystique d'une part, anarchiste d'autre part a débordé du cadre strictement chrétien. En effet, via la fréquentation des œuvres de Tolstoï, puis au travers de la correspondance épistolaire qui s'ensuivit, le jeune Gandhi a intégré à son action politique et à sa philosophie morale certains aspects importants de l'anarchisme, enchâssés cette fois dans le cadre hindou. |
Effectivement, ça me parait très intéressant. Merci konrad. |
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konrad
Inscrit le: 25 Mars 2018 Messages: 1700 Localisation: En van...dredi.
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Posté le: Me 04 Août 2021 9:07 Sujet du message: |
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Les anarchistes mystiques russes
par Vladimir Bagrianski
(Article paru dans la revue Nouvelles Clés, sur leur web site)
Connaissez-vous l’histoire de l’étonnant réseau pacifiste qui osa défier Staline ? Leurs racines étaient clairement libertaires. Mais, à la différence des autres anarchistes russes, ils avaient conclu de leurs expériences que la fin ne justifie pas les moyens, que la violence sociale ne mène à rien et que la véritable révolution est intérieure. Curieusement, c’est dans l’ancienne tradition chevaleresque qu’ils allèrent puiser leurs plus belles inspirations. L’un des rares survivants du réseau, le mathématicien Vassili Nalimov, qui réussit à survivre à dix-huit ans de goulag (et dont les éditions du Rocher ont publié la première traduction en français), témoigne en 1996, à l’âge de quatre-vingt-six ans (six mois avant sa mort), en compagnie de son épouse, la poétesse Janna Drogalina..
Le monde entier croit connaître, au moins vaguement, l’anarchisme russe - ces premiers fanatiques poseurs de bombe, ces illuminés dostoïevskiens qui rêvaient de faire sauter les tsars et y parvinrent quelquefois - et l’on pense aussitôt à Michaël Bakounine, qui affronta Karl Marx au sein de la 1ère Internationale, ou au prince naturaliste et explorateur Piotr Kropotkine... Les plus célèbres de ces anars sont traditionnellement associés à un athéisme virulent et à une activité révolutionnaire éventuellement proche - du moins au début - des bolchéviques.
Images simplificatrices. En réalité, le mouvement anarchiste russe du début du XXe siècle était beaucoup plus varié que cela, s’étalant des communautés tolstoïennes (néo-chrétiennes et totalement non-violentes) au radicalisme ultra-guerrier des partisans de Makhno, en passant par les “amis de la nature et du soleil” qui manifestaient tout nus dans Moscou en portant sur des pancartes les mots “À bas la honte !” Certes, tous ces hommes et toutes ces femmes partageaient (théoriquement) l’idée de base de l’anarchie : l’homme détient, par sa nature même, une aspiration à la liberté qu’aucun but, même le plus grand ou le plus séduisant, ne saurait mériter que l’on y porte atteinte. Tous auraient normalement dû souscrire à la devise du prince Kropotkine : “Ma liberté est dans la joie et dans la liberté des autres !”
Dès 1920, ce même Kropotkine, affreusement déçu par les bolchéviques, se met à écrire ce qui sera sa dernière et certainement plus grande œuvre, L’Éthique (qui ne sera publié en Russie qu’en 1991), où il réussit à pousser plus avant quelques idées déjà exposées dans L’Aide réciproque comme facteur de l’évolution, livre où il avait commencé à s’attaquer au réductionnisme darwinien. À la surprise de certains de ses amis anarchistes durs, L’Éthique allait se révéler d’inspiration essentiellement chrétienne. Ce faisant, le “prince au drapeau noir” ne faisait que rejoindre un courant très vaste, bien que fort mal connu : l’anarchisme mystique. Certains se demanderont peut-être comment de tels mots peuvent se trouver réunis. En fait, cet anarchisme avait assez naturellement évolué, passant d’un mouvement purement politique, de caractère juvénile et agressif, vers un refus progressif de tout exercice violent du pouvoir, pour déboucher sur un engagement social d’essence éthique et même, finalement, sur une voie philosophique explicitement spirituelle et mystique. Formidable défi au marxisme triomphant des bolchéviques et plus généralement à l’ensemble du positivisme scientifique de l’époque, mais aussi à l’orthodoxie chrétienne traditionnelle.
On peut légitimement parler de la création, à l’époque, en Russie, d’un mouvement holistique (pour user d’un vocabulaire de notre fin de siècle) basé sur l’idée qu’une liberté totale doit résolument embrasser toutes les manifestations de la culture humaine.
Naissance d’un mouvement
Le premier manifeste de l’anarchisme mystique fut publié en Russie en 1906. Il s’agissait d’une brochure d’un certain Georges Tchulkov, lui-même influencé par le philosophe Vladimir Soloviov et par l’écrivain Dostoïevski. Tchulkov écrivait par exemple : “La lutte contre le dogmatisme dans la religion, la philosophie, la morale et la politique, voilà le slogan de l’anarchisme mystique. Le combat pour l’idéal anarchique ne nous mène pas au chaos indifférent mais au monde transfiguré, à une condition : que par ce combat pour toutes les libérations, nous participions à l’expérience mystique, à travers l’art, l’amour religieux et les musiques. J’appelle musique non seulement l’art qui nous ouvre à l’harmonie des sons, mais toutes les créativités fondées sur les rythmes qui nous font découvrir le côté nouménal (spirituel) du monde.”
La publication de ce manifeste fit immédiatement scandale dans la société avant-gardiste russe. Tchulkov fut attaqué de tous côtés et eut du mal à résister à la pression. Avant sa mort, dans les années vingt, il écrivit une lettre où il disait regretter certains articles de ce manifeste, allant jusqu’à renier l’essence extrême de sa mystique.
Mais le mouvement exprimé par Tchulkov le dépassait largement. Celui qui fit réellement entrer l’anarchie mystique dans la pratique sociale et politique russe fut le professeur Apollon Andrevitch Kareline.
Juriste de formation, Kareline, né en 1863, participa au mouvement révolutionnaire russe alors qu’il était encore tout jeune. Arrêté à la suite de l’affaire de l’assassinat du tsar Alexandre II, il séjourna dans la forteresse de Petropavloskaïa de Saint-Pétersbourg. À sa libération, il dut s’exiler en Sibérie par deux fois. Après la révolution de 1905, il immigra en France, où il organisa une série de conférences et publia plusieurs articles. C’est alors qu’il fut initié dans la confrérie des Templiers dont il reçut la mission de créer une branche orientale (nous verrons le sens de cette étrange liaison). Kareline revint en Russie au moment de la révolution de février 1917, avec enthousiasme. Vers la fin des années vingt, le dilemme devint malheureusement clair : soit continuer à participer à la construction d’une nouvelle société sur la base du bolchevisme, et dans ce cas une dictature de type matérialiste était inévitable, soit viser prioritairement l’élargissement de la conscience personnelle et le développement spirituel - dans ce cas, la rupture avec le nouveau régime était immédiat. Pratiquer et évoquer l’expérience spirituelle s’avérait en effet beaucoup plus dangereux que prévu, les bolchéviques utilisant le mot “mystique” comme une injure et toute l’atmosphère intellectuelle russe passant peu à peu sous la domination des sociologues rationalistes vulgaires.
Membres éminents de l’intelligentsia russe ouverte aux idées les plus modernistes, les anarchistes mystiques avaient pourtant considéré la révolution comme un événement naturel et inévitable, une révolte légitime contre la violence multiséculaire régissant toute la société slave. Mais ils estimaient que la révolution n’aurait guère de sens si elle ne changeait pas la nature profonde de l’homme, son fond spirituel. Dans une démarche quelque peu comparable à celle des francs-maçons préparant la Révolution française, bien que de façon sans doute plus romantique, ces intellectuels avaient nourri d’immenses espoirs pendant plusieurs décennies. Tout s’écroula en peu d’années. La “dictature du prolétariat” révéla bientôt son vrai visage grimaçant. Le mouvement vers la liberté conduisit au chaos sanglant que l’on sait.
Comme la plupart des anarchistes russes, Apollon Kareline avait espéré que le coup d’État d’octobre 1917 serait le début d’une grande révolution sociale. Si l’historien américain Paul Avrich a pu écrire que Kareline devint alors l’“anarchiste officiel des Soviétiques”, c’est que, pendant quelque temps, il dirigea un petit groupe d’“observateurs” au sein du Soviet Suprême de l’Union Soviétique. Le but de ce groupe était l’humanisation du pouvoir d’État, le combat contre la peine de mort et contre la terreur en général.
Probablement à cause de l’existence de ce groupe, les communistes tolérèrent les anarchistes mystiques un peu plus longtemps que les anarchistes politiques. Pourtant, dès 1920, toutes les illusions de Kareline s’étaient envolées. En pleine montée de la “Terreur Rouge”, alors que socialistes et anarchistes commençaient à remplir à nouveau les prisons de l’empire, il écrivit avec courage un article contre la peine de mort, où il osa proclamer que la révolution avait été “anéantie” par les Bolcheviques, et que son propre humanisme était nourri d’idéaux chrétiens.
Pour lui, il s’agissait de fonder sur l’éthique chrétienne une nouvelle forme d’organisation de la cité, de dépasser l’intolérance entre religions et de s’ouvrir aux sciences pour rendre à chacun la possibilité d’une perception personnelle du monde.
Les nouvelles catacombes
Kareline disait souvent à ses élèves : “En exil, j’ai vu l’ignorance terrible des peuples et j’ai compris que les immenses forces sombres qui soutiennent le pouvoir s’appuient sur cette ignorance.” Avec le développement vertigineux de la technique, le pouvoir étatique était devenu monstrueux. Le but concret de l’anarchisme mystique était clairement de préparer l’humain à la liberté et à la responsabilité d’une nouvelle culture non étatique. Pour cela, Kareline pensait que la question vraiment urgente était d’approfondir le christianisme, hors de toute institution religieuse, en revenant aux origines. Et de fait, les anarchistes mystiques allaient se trouver contraints de retrouver la clandestinité des catacombes. Pendant les années vingt, on les voit encore parfois en public. Ces enseignants, ces scientifiques, ces artistes constituent un réseau qui touche beaucoup de grandes villes de Russie. Leurs contacts avec toutes sortes de mouvements culturels et spirituels non confessionnels sont nombreux. S’ils font régulièrement des conférences, écrivent des articles, leur mode d’expression favori est le théâtre. Ils écrivent et jouent des pièces qui constituent des sortes de Mystères médiévaux, adaptés au monde moderne. À partir des années trente, tout le mouvement devenu hors la loi, les “Mystères” en question se dérouleront dans une totale clandestinité. Combien sont-ils ? On ne le saura sans doute jamais ; la peur (hélas fondée) d’être infiltrés par les agents du Guépéou puis du NKVD, ancêtres du KGB, les oblige en effet bientôt à utiliser plusieurs noms pour désigner leur mouvement et à brouiller les pistes de façon d’autant plus indéchiffrable pour nous aujourd’hui, que la plupart des membres actifs du réseau furent exécutés ou s’éteignirent dans les camps.
Que font-ils ? Leurs activités sont multiples mais viennent toutes se nourrir à ce rituel commun : le “Mystère”. Purement oral, tant par précaution vis-à-vis de la police que par tradition didactique, l’enseignement spirituel de ces anarchistes mystiques était prodigué lors de réunions qui se tenaient dans des appartements privés et ne comptaient jamais plus de dix personnes. Cet enseignement reposait essentiellement sur le récit de contes et de légendes.
Une certaine idée de la chevalerie
Kareline lui-même connaissait plus de cent légendes. Après sa mort, en 1926, on ne retrouva pas le moindre bout de manuscrit dans ses affaires personnelles. Il s’agissait surtout de ne pas figer l’enseignement, mais de garder les esprits en mouvement créatif constant. “Pas de base écrite !
La pensée anarchiste doit rester libre et ne se laisser enchaîner par aucun dogme !” Qu’une de ces légendes tombe dans les mains de non-initiés ne présentait pas de grand “danger” (sauf à titre de preuve pour la police) - leur compréhension subtile n’étant de toute façon possible que dans l’atmosphère créée par la méditation... Les réunions se déroulaient en quatre temps :
Les animateurs commençaient par raconter une ancienne légende généralement issue de la tradition gnostique.
Puis venait une séance de méditation - dont le protocole, seul texte lu aux participants, était détruit immédiatement après lecture.
À la suite de quoi, chacun pouvait déclamer ses propres créations.
La réunion se terminait par une discussion libre.
L’essentiel tenait à ce que chacun était totalement libre d’interpréter les textes et légendes à sa façon et de les intégrer selon son bon vouloir, comme autant d’impulsions à son développement personnel. Les contes étaient considérés comme des métaphores de nouvelles conceptions du monde. La tâche créative de l’élève consistait à faire émerger de l’ancien texte sa propre nouvelle vision, de manière adaptée à la nouvelle situation - vieux principe gnostique, qui sous-tend toute la transmission orale dans l’ancien christianisme. Le fait que ces visions et ces légendes soient transmises oralement entretenait un dynamisme particulier. Le conteur pouvait par exemple métamorphoser le texte entier par sa simple intonation. L’attention la plus importante était accordée aux questions des participants.
Beaucoup de légendes se rapportaient au temps de la chevalerie - de celle du roi Arthur à toutes celles que les croisades ramenèrent de leur contact avec l’ésotérisme oriental. Kareline, disions-nous avait donc été initié au gnosticisme au sein d’un Ordre Templier durant son exil en France, quelques années avant la Première Guerre mondiale - à une époque où, pour la première fois, des femmes venaient d’être admises à l’intérieur de cette très ancienne confrérie. Vue depuis la France de 1996, pareille alliance entre anarchisme et tradition templière peut nous sembler étrange, pour ne pas dire franchement antinomique. Notre vision est déformée par de sombres dégénérescences, tant du côté templier que du côté anarchiste. Les vrais anars sont évidemment fidèles à l’idéal chevaleresque ! Afin de donner une idée du type d’engagement que son initiation avait impliqué chez lui, voici selon quels critères Kareline définissait une authentique appartenance à la chevalerie :
N’accepter aucun ajournement ni compromission de l’éthique chrétienne.
Développer une haute maîtrise de soi, physique et morale, ainsi qu’une conscience claire de sa propre dignité.
Savoir déployer une vision mystique du monde, pour être conscient de la nature spirituelle de toute manifestation de la réalité.
Attiser sa soif profonde de retrouver les origines de l’Univers.
Deux particularités du gnosticisme : il embrasse tous les héritages archétypiques de l’humanité sans limite dogmatique, se voulant le système philosophique le plus libre qui soit ; il est fondamentalement non-violent. Revenons un instant sur ce second aspect.
La force de la non-violence
René Guénon, le fameux chercheur soufi, fut parfois appelé “le Templier du XXe siècle” - lui aussi avait été initié au sein de cet ordre, dont il était un éminent représentant de la branche occidentale. Il se trouve que l’enseignement de Guénon justifie à plusieurs reprises l’usage de la violence. Pour les anarchistes russes, cela rendait cet enseignement inacceptable. Les représentants de la branche orientale considéraient en effet que le combat pour la liberté de l’individu ne pouvait en aucun cas justifier la moindre violence organisée. Étudiant le développement du bolchevisme en Russie, du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, il leur était aisé de constater que, chaque fois, l’asservissement le plus avilissant était parti d’une savante justification de la violence “pour le bien de l’individu et de la société.” La violence représentait, pour les anarchistes mystiques, le danger de toutes les formes de pouvoir. Or, aucune révolution n’avait échappé à la tentation du pouvoir. Quant aux Templiers acceptant la violence, on sait qu’il s’en trouva jusque parmi les fondateurs du nazisme.
Après la mort de Kareline, son élève Alexi Solonovitch, mathématicien et philosophe, devint l’un des principaux animateurs des cercles anarchistes mystiques. Contrairement à son maître, Solonovitch laissa quelques traces écrites - que son propre élève, Vassili Nalimov, a récemment retrouvées dans les archives du KGB. Parcourant des manuscrits intitulés Le Christ et le christianisme, ou L’Anarchisme mystique, ou encore Un Culte de deux millénaires derrière Michaël Bakounine, on découvre une problématique fort charpentée sur la non-violence, assez bien résumée dans la citation suivante :
“Le principe de non-violence est, pour l’essentiel, le principe de plus grande force, car une force gigantesque est nécessaire pour agir dans la non-violence. C’est pourquoi les anarchistes veulent la force mais pas le pouvoir, ni la violence.”
Solonovitch écrivait aussi : “Il faut savoir comprendre chaque homme en se mettant dans sa peau. Cette compréhension est une voie de co-expérience, de joie partagée et de compassion.” Ou : “La liberté est la seule forme acceptable dans laquelle on peut penser Dieu.” Ou encore : “Les plus grands idéaux éthiques se sont manifestés dans trois grandes religions à caractère universel : celle du Bouddha, celle de Krishna et celle du Christ. Il faut simplement nettoyer ces religions des interférences et parasites apportés par leurs fidèles, sincères ou non...”
Arrêté une troisième fois en 1930, Solonovitch mourut en prison, en 1937, à la suite d’une terrible grève de la faim. Après son arrestation, c’est sa femme Agnia, mathématicienne, qui le remplaça au sein du mouvement anarchiste. C’est elle qui initia Vassili Nalimov - l’homme qui nous rapporte cette étonnante saga. Agnia fut arrêtée à son tour en 1936 et fusillée un an plus tard, à la suite d’une parodie de procès qui dura, montre en main, deux minutes.
Dans l’Évangile apocryphe de Philippe, on trouve cette phrase : “Tant que sa racine est cachée, le mal est fort.” Les anarchistes mystiques voulaient mettre à nu cette racine, en démontant notamment la supercherie d’une dictature sanglante supposée servir le bien social et le monde. Ils le payèrent cher. Accusés de “terrorisme”, huit autres dirigeants anarchistes mystiques furent arrêtés en même temps qu’Agnia Solonovitch et jugés par une instance militaire de la Haute Cour d’URSS - inutile d’insister sur l’ineptie de l’accusation. On ignore combien de membres de leurs cercles furent arrêtés à la même époque. On sait seulement qu’un groupe important fut condamné au goulag ; parmi eux figurait Vassili Nalimov, qui eut la “chance” d’être réhabilité après dix-huit ans de camp de travail forcé. Soixante ans plus tard, il est celui qui cherche à nous passer le relais.
Le passeur de relais
Nalimov commença à fréquenter les cercles anarchistes mystiques à l’âge de dix-sept ans. Durant toute son enfance, il avait eu sous les yeux un modèle d’anarchisme profondément naturel : celui de son père, professeur d’anthropologie à l’Université de Moscou. L’anarchisme de ce dernier se manifestait dans le respect absolu de l’autre, caractéristique probablement liée à ses origines : il était fils d’un chaman d’une petite peuplade du Nord de la Russie, les Komi. Après un conflit personnel avec Staline, Vassili Nalimov père fut arrêté, accusé d’activités contre-révolutionnaires et exécuté en 1939. Vassili Nalimov fils ne fut réhabilité lui-même qu’en 1957, après dix-huit ans de captivité. Pendant tout ce temps, il réussit à conserver intacte sa passion pour les mathématiques, à un niveau supérieur où elles pouvaient se métamorphoser en quête spirituelle. Malgré son isolement, il faut croire que le bagnard était doué : son “approche probabiliste de la conscience” intègre sans problème, non seulement toute la philosophie classique, de Socrate à Kant, mais propose des convergences fortes avec la théorie du chaos et celle des structures dissipatives - à cette importante différence près qu’il se situe toujours dans une perspective transcendantale. Laissons donc la conclusion à ce rare survivant d’une des plus grandes sagas spirituelles du siècle.
“En ces temps difficiles et compliqués, où beaucoup de gens ont l’impression que la philosophie s’est arrêtée, je m’efforce de créer un courant de pensée philosophique que nous pourrions appeler “ Vision du monde probabilistiquement orientée”. Cette tentative est très naturelle de nos jours, dans la mesure où le paradigme conceptuel contemporain a commencé à se détourner du déterminisme dur en direction d’une compréhension probabiliste du monde.
“Un trait particulier de mon approche est une aspiration à l’intégralité. Je cherche à fonder ma spéculation sur toute la diversité de la culture contemporaine, sans perdre de vue les grandes cultures du passé. Pour cela, je fais appel : d’une part à de nombreuses branches de la science (les mathématiques, la physique théorique, la linguistique, l’étude des religions comparées), d’autre part aux processus irrationnels profonds de notre conscience, dont l’expérience mystique, notamment la mienne propre. Ces idées fort diverses se diffractent à travers le prisme de la pensée philosophique, et ceci depuis Platon.
“Si l’on peut parler d’une “idée russe” réellement originale dans les temps modernes, ce n’est pas par le messianisme léniniste qu’il faut évoquer, mais l’anarchisme mystique, dont les représentants furent notamment : Razine et le père Abakan, Lermotov et Tolstoï, Kareline et Solonovitch, Sakarov et Nalimov, mon père. Je pense qu’aucune “réforme” ne peut sauver la Russie de la crise. L’esprit russe à besoin de vivre à l’air libre. Le communisme en cassant cette liberté a cassé l’homme lui-même. Que faire aujourd’hui ? Nous aimerions penser que le mouvement œcuménique nous amènera vers une religion universelle permettant l’expression de toutes les théologies personnelles.
La pierre qui a fait trébucher le christianisme fut la tentation du pouvoir, puisque deux millénaires se sont écoulés dans la violence au nom du Christ - pourtant Jésus avait renié le pouvoir. Aujourd’hui, les techniques sont devenues de tels outils de violence qu’ils menacent de détruire l’humanité, la nature, la terre elle-même. La culture du XXIe siècle ne peut être qu’une culture de non-violence.”
À lire :
Cet article s’inspire de plusieurs entretiens avec Vassili Nalimov et de la lecture de trois de ses livres non traduits du russe : Suis-je un chrétien ? in Revue annuelle n° 3, éd. Péligrim, 1995 ; Le traité d’amour , in La Montagne sacrée n° 3 éd. Péligrim, 1995, ainsi que de L’Anarchisme insulté , par Janna Drogalina, in Le Pouvoir de l’Esprit n° 2, Moscou, 1996.
Paul Avrich, The Russian Anarchism, éd. Norton, New York, 1978.
Kropotkine Piotr, L’Éthique (en russe), éd. Politizdat. Moscou, 1991. L’Aide réciproque comme facteur de l’évolution (en russe), Saint-Petersbourg, 1904.
Tchulkov Georg, On Mystical Anarchism (en russe), in Russian Titles for Specialists,n° 16, Lethworth (GB), 1971. |
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daniel
Inscrit le: 15 Fév 2006 Messages: 9284 Localisation: belgique
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Posté le: Me 04 Août 2021 9:20 Sujet du message: |
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Merci à touTEs pour votre ouverture !
Effectivement, Konrad, les cyniques et Diogène sont une référence, par leur subversion, pour les anarchistes, surtout les anarchistes individualistes, tout comme les stoïciens pour affronter seul l'hostilité des systèmes établis ... pour une approche du vivre ensemble, il faut plutôt voir les épicuriens, à trois, ils font la paire d'anarchistes ! Han Ryner, philosophe libertaire, en a fait une synthèse !
@ mon poto Konrad : j'apprécie l'approche des anarchistes, je rêve parfois, en me disant qu'elle pourrait s'ouvrir aux bouddhistes, aux advantistes, aux shivaïstes du Cachemire, aux soufis (islam), aux mystiques juifs, aux new-agistes, et, bien sûr, toujours aux agnostiques et aux athées ! Mais, pour que l'approche mystique a sa pertinence, il faut que "Dieu" existe et que l'on oublie pas qu'à la base, il y a les principes d'égalité et de liberté, les notions d'émancipation et d'épanouissement individuels (et collectfs), à la fois acquérir des qualités manuels, intellectuels, pourquoi pas artistiques, voir physiques, et développer, depuis tout petit, l'esprit critique, pour bien faire fonctionner la société libertaire ! !
Sinon, on risque de tomber dans une forme d'obscurantisme ! |
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konrad
Inscrit le: 25 Mars 2018 Messages: 1700 Localisation: En van...dredi.
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Posté le: Me 04 Août 2021 12:54 Sujet du message: |
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daniel a écrit: | Merci à touTEs pour votre ouverture !
Effectivement, Konrad, les cyniques et Diogène sont une référence, par leur subversion, pour les anarchistes, surtout les anarchistes individualistes, tout comme les stoïciens pour affronter seul l'hostilité des systèmes établis ... pour une approche du vivre ensemble, il faut plutôt voir les épicuriens, à trois, ils font la paire d'anarchistes ! Han Ryner, philosophe libertaire, en a fait une synthèse !
@ mon poto Konrad : j'apprécie l'approche des anarchistes, je rêve parfois, en me disant qu'elle pourrait s'ouvrir aux bouddhistes, aux advantistes, aux shivaïstes du Cachemire, aux soufis (islam), aux mystiques juifs, aux new-agistes, et, bien sûr, toujours aux agnostiques et aux athées ! Mais, pour que l'approche mystique a sa pertinence, il faut que "Dieu" existe et que l'on oublie pas qu'à la base, il y a les principes d'égalité et de liberté, les notions d'émancipation et d'épanouissement individuels (et collectfs), à la fois acquérir des qualités manuels, intellectuels, pourquoi pas artistiques, voir physiques, et développer, depuis tout petit, l'esprit critique, pour bien faire fonctionner la société libertaire ! !
Sinon, on risque de tomber dans une forme d'obscurantisme ! |
La liste n'est pas exhaustive, chacun est le bienvenu.
Je ne sais pas s'il faut nécessairement faire intervenir "Dieu", c'est une question.
Le principe premier est à mon sens la liberté, ensuite égalité en droit mais pas égalitarisme et surtout fraternité.
Mais bon, nous le savons, tout cela reste à construire. |
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didier
Inscrit le: 18 Fév 2018 Messages: 3260 Localisation: Région Parisienne
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Posté le: Me 04 Août 2021 13:56 Sujet du message: |
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konrad a écrit: | daniel a écrit: | Merci à touTEs pour votre ouverture !
Effectivement, Konrad, les cyniques et Diogène sont une référence, par leur subversion, pour les anarchistes, surtout les anarchistes individualistes, tout comme les stoïciens pour affronter seul l'hostilité des systèmes établis ... pour une approche du vivre ensemble, il faut plutôt voir les épicuriens, à trois, ils font la paire d'anarchistes ! Han Ryner, philosophe libertaire, en a fait une synthèse !
@ mon poto Konrad : j'apprécie l'approche des anarchistes, je rêve parfois, en me disant qu'elle pourrait s'ouvrir aux bouddhistes, aux advantistes, aux shivaïstes du Cachemire, aux soufis (islam), aux mystiques juifs, aux new-agistes, et, bien sûr, toujours aux agnostiques et aux athées ! Mais, pour que l'approche mystique a sa pertinence, il faut que "Dieu" existe et que l'on oublie pas qu'à la base, il y a les principes d'égalité et de liberté, les notions d'émancipation et d'épanouissement individuels (et collectfs), à la fois acquérir des qualités manuels, intellectuels, pourquoi pas artistiques, voir physiques, et développer, depuis tout petit, l'esprit critique, pour bien faire fonctionner la société libertaire ! !
Sinon, on risque de tomber dans une forme d'obscurantisme ! |
La liste n'est pas exhaustive, chacun est le bienvenu.
Je ne sais pas s'il faut nécessairement faire intervenir "Dieu", c'est une question.
Le principe premier est à mon sens la liberté, ensuite égalité en droit mais pas égalitarisme et surtout fraternité.
Mais bon, nous le savons, tout cela reste à construire. | Ce sont là des paroles d'ouverture et peut-être d'avenir. |
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spin
Inscrit le: 13 Déc 2021 Messages: 11 Localisation: France, sud-ouest
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Posté le: Me 15 Déc 2021 12:22 Sujet du message: |
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Alain V a écrit: | Machiavel n'était sûrement pas un type sympa | Attention avec Machiavel qui était loin d'être le pourrisseur immoral qu'on a voulu voir en lui : "... Et qui lira la vie de Cyrus [le Jeune] écrite par Xénophon, reconnaitra, en lisant ensuite celle de Scipion, combien cet exemple lui apporta d'honneur, et combien Scipion, en chasteté, affabilité, humanité, générosité, s'est essayé de ressembler à ce que Xénophon a écrit de Cyrus. Cette même manière, le prince sage la doit observer, et n'être jamais en temps de paix oisif, mais de ce temps mettre son soin à amasser un capital duquel il se puisse aider en l'adversité, afin que quand la fortune tournera le dos, elle le trouve prêt à résister à sa furie." (Machiavel, Le Prince, plus d'extraits significatifs, https://bouquinsblog.blog4ever.com/le-prince-nicolas-machiavel).
Mais il était terriblement réaliste sur la nature humaine, ce en quoi il préfigure Montesquieu ("qui a du pouvoir est porté à en abuser"). Et même d'une certaine façon Bakounine, qui quoi qu'on pense de lui par ailleurs a bien montré ce qui n'allait pas dans le projet "marxien" (comme il disait en français), pour la même raison. Ca s'est vérifié avec le Goulag et la Nomenklatura (plus : https://bouquinsblog.blog4ever.com/etatisme-et-anarchie-mikhaal-bakounine). |
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