feuille
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Posté le: Je 09 Mars 2006 19:01 Sujet du message: Mahmoud Darwich : la solitude et la mort |
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Je voudrais partager avec vous un extrait de « Murale » écrit par un poète Palestinien, Mahmoud Darwich. C’est un personnage très particulier, dont la finesse et la beauté de ses écrits resplendissent dans toute son œuvre, mais aussi, parce qu’il a affronté les mystères de la mort il y a quelques années…
Murale est une poésie écrite après cette expérience, sur la mort et la vie, sur la dualité, abordant ce sujet au travers de la relation du poète à la femme, au langage et à l’histoire. Je n’ai pas saisi toutes ses références mais il y a bien des passages qui me parlent…
Celui que j’ai sélectionné parle de la solitude et de la mort. Je me permet d’extraire celui-ci pour le mettre en relation avec mon vécu : l’année dernière, lors d’une profonde discussion assez bouleversante avec mon amie, alors que je cherchais à lui suggérer que nous ne sommes pas seul, elle m’a dit, dans une totale spontanéité désespéré : « je suis seul ». Sur le moment, j’ai été déstabilisé par sa réponse, je ne pouvais rien lui dire… deux jours plus tard, je me suis brusquement réveillé dans la nuit, et j’ai versé des larmes et serré la main de mon amie… je venais de réaliser toute la vérité de ses propos…
Cette solitude qui m’a poussé à voir au plus profond de moi, pour que je décide un jour de faire un long voyage, pour enfin réaliser à la fin du voyage l’impensable, c’est cette même solitude que j’ai retrouvé au plus profond de moi cette nuit-là, dans la plus belle expression de son unité…
C’est assez bouleversant de faire un pas parce que l’on se sent seul, de réaliser qu’on ne l’est pas « vraiment », et de retrouver finalement cette solitude originelle…
[…]
A quoi servirait le printemps clément
S’il ne tenait compagnie aux morts, s’il n’accomplissait,
Après eux, la joie de vivre et l’éclat de l’oubli ?
La clé de ma poésie serait là,
Ma poésie sentimentale du moins.
Et les songes sont notre seul mode de parole.
O mort, hésite et assieds-toi
Sur le cristal de mes jours,
Comme si tu étais l’une de mes amies de toujours,
Comme si tu étais l’exilée
Entre les créatures.
Toi seule es l’exilée. Tu ne vis pas ta vie.
Ta vie n’est que ma mort. Tu ne vis ni ne meurs
Et tu enlèves les enfants à la soif du lait pour le lait.
Jamais tu ne fus
L’enfant bercé par les chardonnerets.
Jamais les angelots et les bois du cerf distrait ne t’ont cajolée
Comme ils nous ont cajolés, nous,
Les hôtes du papillon.
Toi seule es l’exilée, ô malheureuse.
Aucun homme ne te serre contre sa poitrine,
Qui partage avec toi
La nostalgie de la nuit écourtée par la parole libertine
Fusion de la terre et du ciel en nous.
Tu n’as pas donné naissance à un enfant qui vient à toi, implorant :
Mère, je t’aime.
Toi seule es l’exilée, ô reine des reines.
[…]
( extrait de Murale, page 29-30, de Mahmoud Darwich, Editions Actes-Sud )
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