joaquim Administrateur
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Posté le: Ve 31 Déc 2004 1:38 Sujet du message: Jacky Chevaux : Soleil Noir |
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Voici un tableau qui m’avait bouleversé lorsque je l’avais vu pour la première fois à Art82, l’exposition d’art internationale de Bâle. J’avais ressenti un choc de voir peint – j’en fus immédiatement convaincu – une représentation de l’éveil. Je m’en étais procuré une reproduction, et plus je contemplais cette oeuvre, plus j’étais fasciné par sa magie. Elle s’intitule Soleil Noir, et a été peinte en 1980 par Jacky Chevaux, un peintre inclassable et génial, malheureusement décédé en 1995 et peu connu (sa fille a relevé le défi d’y remédier, voir le magnifique site qu’elle lui a consacré (il faut un peu de persévérance pour l’apprivoiser, mais il le mérite )). Le tableau représente un paysage d’apocalypse dans une ambiance d’éclipse totale de soleil, décor dramatique contrastant avec le personnage central, serein, irradiant une lumière intérieure, absorbé dans sa contemplation méditative, semblant totalement étranger aux cataclysmes qui l’entourent, bien qu’une partie de son corps soit devenue braise au contact de la roche en fusion sur laquelle il repose. Il semble absent, mais en même temps communie avec les éléments déchaînés par l’intermédiaire de la boule de feu qu’il tient dans sa main ouverte, avec une telle force tranquille qu’il semble imposer sa paix au tableau. Il en ressort l’impression troublante de voir deux tableaux distincts, entre lesquels on alterne selon le regard qu’on emprunte: l’un sombre, que l’on découvre lorsque l’on reste rivé à ses propres yeux, et qu’on observe un personnage dévoré par la lave au milieu d'un paysage cataclysmique, et l’autre serein, qu’on découvre à travers les yeux de ce personnage, qui nous prête sa paix et nous fait voir ces cataclysmes comme de simples vaguelettes sur la surface de l’océan.
Le choix du thème de l’éclipse, pour exprimer ce basculement, est particulièrement heureux, car l’éclipse de soleil provoque justement un basculement du regard du spectateur, comme si tout-à-coup celui-ci voyait derrière les coulisses du ciel. Tous ceux qui ont assisté à une éclipse totale de soleil ont été frappés par l’impossibilité de communiquer la vivante impression qu’ils en ont retirée à quiconque ne l’avait pas vécue lui-même. J’ai eu la chance d’assister à l’éclipse totale de 1998 en Guadeloupe. C’était comme si un rideau céleste se déchirait brusquement, offrant à mes yeux ébahis le spectacle silencieux et grandiose des astres évoluant en un ballet cosmique, un spectacle que je découvrais avec surprise en plein ciel, comme si j’assistais à une séance commencée sans moi et dont je n’avais pas idée, bien qu’elle jouât en permanence derrière le grand rideau de lumière aveuglante, une séance à laquelle je fus invité à participer pour quelques instants, par une faveur inespérée, comme un gamin incrédule et émerveillé qui serait accueilli dans le monde des dieux.
J’ai glané sur la Toile quelques témoignages de personnes ayant assisté à une éclipse, et qui la décrivent en des termes que l’on pourrait, en les transposant à peine, appliquer à l’éveil.
Selim NASSIB, paru dans Libération du lundi 26 novembre 1984
Le 23 novembre à 8 heures 54 minutes et 11 secondes une éclipse de Soleil a eu lieu à 150 kilomètres à l'ouest de la Nouvelle-Calédonie. En plein Pacifique sud, les « Homo sapiens » embarqués sur le « Jacques Cartier » ont vu la fin du monde.
Dix secondes plus tôt, dix secondes plus tard, ça n'a rien à voir, rien de rien. Ceux qui une fois dans leur existence ont eu le privilège de vivre une éclipse totale du Soleil comprendront. Totale, j'insiste, sinon c'est pas la peine.
(...)
Quelque chose se noue au-dedans de soi. Des silhouettes en contre-jour qui se détachent à présent contre le ciel obscurci sont des boussoles orientées au Soleil. Dans la tension immobile, des sensations contradictoires s'agitent : exaltation et terreur mélangées, alors que les derniers chiffres du compte à rebours s'apprêtent à nous faire passer de l'Étoile mystérieuse au Temple du Soleil.
Tous bascule en une seconde. Inutile de s'attendre à quelque chose : ça ne ressemble à rien. Quelques points extrêmement brillants scintillent au moment ultime sur les bords - les « grains de Baily » me diront les astronomes - et puis le Soleil disparaît par magie, comme ça, en plein jour, de façon littéralement renversante, pour être remplacé par un astre noir et pourtant brillant qui, à cause des traînées de nuages qui passent à cet instant, semble lancé à une vitesse vertigineuse au-dessus de nos têtes ébahies. La chute de la lumière est extrêmement brutale. Soudain, il fait nuit, mais pas tout à fait. Ça « ressemble » - mais ce n'est pas ça du tout - à un crépuscule. En réalité, le bleu de la mer tourne à l'indigo, le bleu du ciel au violet, l'un et l'autre étant comme aspirés par ce trou noir qui occupe le centre de la voûte et vous laisse absolument stupéfait, les bras ballants : la fin du monde.
L'éclipse est parfaite, parfaitement totale. Mais... elle se produit aussi à l'intérieur de soi. Des couleurs, des sentiments sombres et tumultueux envahissent votre être et le mettent « up side down ». Brusquement, on n'est plus ni journaliste, ni astronome, ni officier de marine en short blanc impeccable, mais assemblée d'homo sapiens, hommes des cavernes totalement subjugués par un phénomène planétaire qui dépasse l'entendement. Le disque noir et irradiant file dans le ciel métamorphosé, il faut le voir pour le croire. Au secours ! L'affaire dure un peu plus d'une minute - une éternité ! puis, aussi brusquement qu'au début, les grains de Baily réapparaissent pour marquer la fin du renversement des signes cosmiques. Dans le léger voile de nuages, il provoque des halos irisés de lumière qui vous font léviter au-dessus du pont. Encore, encore, s'il vous plaît ! Hélas, retour sur terre, ou plutôt sur le pont arrière du navire ! Et là, soudain, la tension longtemps contenue explose en enthousiasme débridé. D'un seul coup, scientifiques, marins et journalistes sont des frères de lait qui ont tété au même mystère. On se congratule, on se tape dans le dos, on est heureux. Ça y est : je fais partie de la confrérie des chasseurs d'éclipses, pour lesquels la seule question qui compte est : à quand la prochaine ?
Sébastien Muller:
Le 11 août 1999 restera pour moi une date magique. C'est comme une naissance... Il y a un avant et un après ECLIPSE.
Comment décrire ce spectacle unique à quelqu'un qui n'aurait pas encore eu la chance d'assister à ce débauchage pantagruélique de splendeurs ??
Lentement, sûrement, la Lune grignote l'astre du jour. (...)
Le moment tant attendu approche.
C'est long... Puis seul un mince croissant témoigne encore de la présence du Dieu solaire.
Les nerfs vont lâcher...
Instant figé devant l'éternité, on attend bouche bée, le souffle coupé, puis.... un mystérieux inconnu coupe toute lumière, et VLAN...ce même individu a le bon goût d'allumer une lampe néon à l'éclat nappé, irréel... la couronne solaire.
Parure étincelante du Dieu Soleil, délicatement sculptée par un orfèvre cosmique au talent incontestable, elle se dévoile à cette seule occasion. Attribut du seul Dieu, révélée pour un instant de bonheur tellement intense. Les protubérances lancent leurs arches de matière avec de chaudes nuances rosées à violacées d'une beauté incommensurable. Impossible de décrocher les yeux, impossible de penser, seule compte la lumière divine.
Le ballet des planètes accompagne cette scène ahurissante, tout droit sortie d'un instant d'éternité. Pour un moment les hommes peuvent goûter la destinée des Dieux. Vénus, étincelante et Mercure si fugitive, dansent et tourbillonnent dans un ciel qui a revêtu une couleur si particulière, nocturne, douce, tellement agréable...
Mais déjà l'instant fugitif s'envole. Une lueur timide d'abord pointe, puis irradie magistralement l'espace. Un anneau magique ornementé du plus beau de tous les diamants cosmiques...un diadème sans prix au dimension de l'Univers. Un oeil, l'oeil, l'oeil de la vérité. Les rayons solaires dardent toute leur puissance, comme s'ils avaient tous concentré leur lumière divine en un seul point de l'espace et du temps.
Et déjà le règne solaire salué par le chant du coq reprend ses droits, fier d'avoir émerveillé le monde, mais avare de sa beauté.
Vénus semble résister un instant, puis s'incline finalement devant plus fort qu'elle. Le jour revient lentement, l'émotion tombe, devient souvenir, souvenir d'une vie. Et l'on aspire désormais plus qu'à une seule chose... revivre ce spectacle. Le rendez vous est d'ores et déjà pris pour le 21 juin 2001 !
Jip
Et puis plus rien ; à travers le masque l'image est toute noire. Je m'écrie : "Retirez les lunettes ! Retirez les lunettes !". Derrière moi les observateurs retirent leurs lunettes protectrices et se lèvent l'un après l'autre comme une "standing ovation" au soleil. La période de totalité a commencé ! Mon visage se dresse vers le ciel, et mes yeux nus contemplent le spectacle : autour de la lune noire, la couronne solaire d'un rose brillant irradie sur un fond bleu indigo. Jamais je n'ai vu chose plus belle. Dans ma tête s'enclenche le compte à rebours le plus court de ma vie ... il ne faut rien perdre du spectacle. Tous mes sens sont en alertes. Mes yeux se connectent par la voie express à la mémoire centrale de mon cerveau, qui s'efforce de tout enregistrer le plus fidèlement possible. Chaque instant est précieux, sacré, magique. Ma tête se dévisse, mes yeux partent dans tous les sens. J'observe tour à tour les regards du public, transfiguré et debout, les lumières du château en contre-bas, les routes de la vallée qui s'allument dans la demi-nuit, la faune qui s'endort comme à l'aurore, le ciel d'un bleu surréaliste, et la dansante couronne solaire blanche teintée de rose autour du disque parfait de cette lune d'un noir presque diabolique. Cette image, aucun appareil ne peut la fixer car ce contraste, seule la rétine humaine peut la saisir. Je regarde ma montre mais ça ne veut plus rien dire : je ne sais même plus à quel heure l'éclipse a commencé, j'ai perdu toute notion du temps. A la vue de l'aiguille des secondes qui tourne inexorablement, je relève les yeux vers la couronne solaire. En cet instant plus rien n'importe ici-bas. Seul compte l'instant présent de ce divin spectacle. Emu, les larmes aux yeux je prie, oui, je prie, pour que ce délicieux instant de communion avec l'univers ne s'arrête jamais.....
N’est-ce pas renversant ? Une telle émotion à voir ce qui est toujours là, mais qu’on ne voit jamais ? |
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