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André Gide : Les Nourritures terrestres

 
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joaquim
Administrateur


Inscrit le: 06 Août 2004
Messages: 1421
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MessagePosté le: Ma 11 Jan 2005 22:19    Sujet du message: André Gide : Les Nourritures terrestres Répondre en citant

André Gide, le tourmenté cristallin, a eu cette phrase sobre et limpide, dont la transparence, loin d’être signe de simplicité, laisse entrevoir dans la profondeur un mouvement subtil:

        « Du jour où je parvins à me persuader que je n'avais pas besoin d'être heureux, commença d'habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n'avais besoin de rien pour être heureux.»
        André Gide, Les Nouvelles Nourritures, NRF, 1935, Livre premier, ch. I.




Calvin et Hobbes nous donnent à leur manière une version du même thème:



Celui qui parvient, comme Hobbes, à mettre au silence la ruche mentale qui en demande toujours plus et paye pour prix de son avidité la perte du contact immédiat avec la réalité présente, celui-là sera heureux parce qu'il sera simplement là, et peut-être ne le saura-t-il pas vraiment, mais il sera éveillé à côté de celui qui se berce, douloureusement souvent, dans des rêves illusoires.
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joaquim
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Inscrit le: 06 Août 2004
Messages: 1421
Localisation: Suisse

MessagePosté le: Me 12 Jan 2005 23:16    Sujet du message: Répondre en citant

Bien que je voulais extraire cette seule phrase de Gide pour la laisser briller dans sa sobre simplicité, je m'aperçois qu'il serait quand même trop dommage de ne pas citer, au moins en partie, le reste du passage qu'elle introduit:

      «Il semblait, après avoir donné le coup de pioche à l’égoïsme, que j’avais fait jaillir aussitôt de mon coeur une telle abondance de joie que j’en pusse abreuver tous les autres. Je compris que le meilleur enseignement est d’exemple. J’assumais mon bonheur comme une vocation. (...)

      Âme naturellement joyeuse, ne redoute plus rien que ce qui pourrait ternir la limpidité de ton chant.

      Mais j’ai compris à présent que, permanent à tout ce qui passe, Dieu n’habite pas l’objet, mais l’amour; et je sais à présent goûter la quiète éternité dans l’instant.»

      op. cit.


André Gide est un auteur qui m’a accompagné durant plusieurs années, et qui m’a prêté son courage et sa lucidité quand j’en avais besoin pour échapper aux pièges dans lesquels je m’étais empêtré. J’avais établi avec lui cette complicité au-delà du temps, en me laissant être, comme tant d’autres, ce Nathanaël qu’il invoquait. J’ai suivi même son dernier conseil, et l’ai laissé, pour poursuivre mon propre chemin, tout en gardant en moi une reconnaissance muette.

Je l’avais découvert plusieurs années après le bac, en me remémorant les mots, que j’avais enfouis en moi comme une graine qui arrivait enfin à maturité, les mots de mon prof de français (il existe de tels profs, dont l'enthousiasme laisse une empreinte Smile ), qui nous répétait sans cesse ces quelques phrases de l’Envoi de Paludes, et qui justifient à elles seules tout le livre:

          «Avant d’expliquer aux autres mon livre, j’attends que d’autres me l’expliquent. Vouloir l’expliquer d’abord, c’est en restreindre aussitôt le sens; car si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela. — On dit toujours plus que CELA. — Et ce qui surtout m’y intéresse, c’est ce que j’y ai mis sans le savoir, — cette part d’inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu. — Un livre est toujours une collaboration, et tant plus le livre vaut-il, que plus la part du scribe y est petite, que plus l’accueil de Dieu sera grand. — Attendons de partout la révélation des choses; du public, la révélation de nos oeuvres.»
          André Gide, Paludes, Gallimard, 1895.


Simplement parfait... enaccord9
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wildchild



Inscrit le: 17 Mai 2006
Messages: 3
Localisation: PARIS

MessagePosté le: Me 17 Mai 2006 22:52    Sujet du message: Répondre en citant

Je reponds à ce message bien tard... peut-être que le rédacteur est parti, laissant tout derrière lui, sur les routes..
Toujours est -il que je voudrais simplement remercier André Gide.
Les Nourritures Terrestres est un livre très difficile, parce qu'on ne saisit pas tout de suite où l'auteur veut en venir. Il parle d'endroits où on est jamais allé, il utilise de jolis mots, mais au départ, cela ne percute pas.

J'ai baclé la fin de ce bouquin. Mais je voulais essayer de lire Les Nouvelles Nourritures. En un jour, le livre était fini. Je suis resté sans mots, et rempli d'un enthousiasme fervent.
Camarade! Gide dans ces livres s'adresse à nous tous! Il nous chuchote des vérités. C'est dingues comme il dit des choses juste. On a alors presque envie de griffonner sur un cahier quelques phrases. Et on le fait.

Gide a résonné en moi, et ses paroles y font encore écho.
Gide m'a réveillé et donné envie de repartir.
J'étais Nathaniael. J'étais le Camarade.
J'ai laissé ce bouquin. Et je suis parti.

_________________
Nobody can take the fire of your spirit.

wild child
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Véa



Inscrit le: 15 Mai 2006
Messages: 11

MessagePosté le: Je 18 Mai 2006 15:23    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour Joachim, Bonjour à tous,

Je voudrais répondre au premier post de Joachim..
Citation:
_. « Du jour où je parvins à me persuader que je n'avais pas besoin d'être heureux, commença d'habiter en moi le bonheur ; oui, du jour où je me persuadai que je n'avais besoin de rien pour être heureux.»
_. André Gide, Les Nouvelles Nourritures, NRF, 1935, Livre premier, ch. I.

Le Bonheur, voilà un thème qui revêt souvent beaucoup de confusion, parce qu’il englobe plusieurs notions.
On le confond souvent avec les sensations agréables que l’on peut ressentir, physiquement, ou mentalement, le plaisir que quelque chose peut nous apporter, qu’il s’agisse d’un plaisir matériel, mais aussi affectif, spirituel, mental.
Ça c’est un regard, puis il y a le regard général sur sa vie et la satisfaction qu'elle procure; lorsqu’on demande à quelqu’un « êtes vous heureux », le mental fait rapidement un constat général, fait un aperçu rapide entre familial, professionnel, affectif, quelques rapides comparaisons, rétablit l’équilibre pour que la réponse puisse être donnée, en général tout aussi insatisfaisante pour le questionneur que pour le questionné, ce qui donne « Je n’ai pas à me plaindre, ça pourrait être mieux, mais ça pourrait être pire !»…

Alors entre les deux il y a la réponse de Gide, que j’aurai tant envie de compléter par : « .. on a besoin de rien pour être heureux, pas même de la notion de bonheur, ou plus, encore :le bonheur n’a besoin de personne, il se suffit à lui-même… », mais en réalité je crois que c’est un mot trouble avec lequel il convient donc d’être clair !!

S’il s’agit de quelque chose qui se situe dans l’instant, et englobant ce qui est de l’ordre de la sensation et de la perception, tout cela est éphémère, impermanent, ces sensations ne durent pas ,alors à cet attachement que nous avons pour tout ce qui est plaisant succèdera inévitablement la douleur lorsque toutes ces sensations auront disparues…Alors le Bonheur, oui, mais lorsqu’il n’y a plus rien de tout cela (non pas des sensations et des perceptions, car elles seront toujours présentes tant que nous seront en vie), mais rien de cet attachement.
Et déraciner cet attachement cela ne signifie pas devenir indifférent ou insensible, cela signifie ne pas se laisser emporter par le plaisir seul que nous procure cette sensation, mais être conscient intèrieurement de ce qui se passe lorsque celle-ci se manifeste en nous…
Le mot est dit : « être conscient » , ce qui m’amène à :
Citation:
Celui qui parvient, comme Hobbes, à mettre au silence la ruche mentale qui en demande toujours plus et paye pour prix de son avidité la perte du contact immédiat avec la réalité présente, celui-là sera heureux parce qu'il sera simplement là, et peut-être ne le saura-t-il pas vraiment, mais il sera éveillé à côté de celui qui se berce, douloureusement souvent, dans des rêves illusoires.

Ne pas perdre le contact avec la réalité présente est d’une importance capitale, et la faim est une bonne illustration de la réalité du corps, tout comme l’imagination, les rêves illusoires sont une bonne illustration de la réalité du mental.
Il s’agit de deux réalités distinctes, et ce sont deux réalités qui cohabitent en nous, l’une relevant pour ce qui est de la faim, du besoin fonctionnel du corps, l’autre d’un désir (bon ici c’est très matériel, mais cela pourrait tout aussi bien être spirituel que cela ne changerait rien, après évidemment on peut discuter sans fin de la réalité du besoin spirituel, mais c’est autre chose.. ), le premier ayant évidemment plus de chance d’être exaucé, et de manière plus rapide, d’autant plus qu’il y a nécessité !
Mais prétendre que celui-ci, parce que plus proche de la réalité présente serait plus éveillé que le rêveur, non, je ne crois pas.
Parcequ’il est un facteur fondamental qui n’est pas présent et qui est : la conscience. Tant qu’on n’observe pas ce qui est « agissant » en nous , on laisse les choses se manifester ainsi sans être conscient de ce qui se passe, et comment arriver à comprendre ces forces agissantes si on n’en est pas conscient ?
Et si on ne les comprend pas, comment pouvons-nous croire un seul instant que le doux rêveur ait les mêmes chances d’ « éveil » que celui qui est beaucoup plus pragmatique?

En réalité, c’est cette chance qu’une compréhension de nous mêmes soit possible, c’est à dire de ce qui se passe en nous, qui donne la possibilité au partage d’exister, et qui met chacun au même « niveau » que l’autre ; et ce qui lui donne cette chance, c’est la possibilité que cela soit rendu conscient par l’investigation de soi.

A mon sens, et de par mon expérience…


Dernière édition par Véa le Ve 19 Mai 2006 17:53; édité 2 fois
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joaquim
Administrateur


Inscrit le: 06 Août 2004
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MessagePosté le: Je 18 Mai 2006 23:31    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour wildchild, bienvenue Smile

Je résonne en totale harmonie avec tes mots, car pour moi aussi, Gide est un ami qui m'a longtemps accompagné, et pour qui je conserve une affection particulière. Ce qui m'a peut-être le plus touché chez lui, c'est la radicale honnêteté de sa démarche. Il se met totalement au service de ce qu'il a à dire, sans rien y rajouter qui puisse en ternir la transparence. Lorsqu'on se regarde soi-même avec une telle honnêteté et une telle transparence, ce qu'on exprime, en même temps qu'éminemment personnel, devient universel.

VÉA a écrit:
Mais prétendre que celui-ci, parce que plus proche de la réalité présente serait plus éveillé que le rêveur, non, je ne crois pas.
Parcequ’il est un facteur fondamental qui n’est pas présent et qui est : la conscience. Tant qu’on n’observe pas ce qui est « agissant » en nous , on laisse les choses se manifester ainsi sans être conscient de ce qui se passe, et comment arriver à comprendre ces forces agissantes si on n’en est pas conscient ?


Tu as raison. L'accueil de ce qui est n'est que la moitié du chemin, la moitié Yin (cf. ici). Gide en est un éminent représentant. Une sorte d'ascète de la pensée honnête. Il n'est pas non plus quelqu'un de simplement passif, bien sûr. Même si, comme il le dit lui-même, il n'a pas été à proprement parler un "créateur", il n'a pas fait surgir des mondes, mais n'a toujours parlé, au fond, que de lui. A l'exception peut-être des Faux-Monnayeurs, qui est son seul roman, mais qui brille, plus que par une profusion imaginative, par son éblouissante construction cristalline. Même s'il ne parlait que de lui, Gide le faisait en classique, pour qui l'artiste s'efface derrière son oeuvre, et non pas en romantique. Gide a connu la ferveur, il l'a merveilleusement chantée, il a connu des extases, surtout dans sa jeunesse, mais il n'a jamais atteint, autant que je sache, l'éveil tel qu'on en parle dans ce forum. Il s'en est lui-même rendu compte, et l'a consigné de manière émouvante, avec son impitoyable honnêteté, dans son Journal, quelques années avant sa mort:

    «Fès, octobre 1943.
    Si Abdallah, converti à l’Islam et sanscrisant, me fait lire les livres de René Guénon. Que serait-il advenu de moi si j’avais rencontré ceux-ci aux temps de ma jeunesse, alors que je plongeais dans la Méthode pour arriver à la vie bienheureuse et écoutais les leçons de Fichte, du plus docile que je pouvais? Mais, en ce temps, les livres de Guénon n’étaient pas encore écrits. A présent, il est trop tard; “les jeux sont faits, rien ne va plus”. Mon esprit sclérosé se plie aussi difficilement aux préceptes de cette sagesse ancestrale, que mon corps à la position dite “confortable” que préconisent les yogis, la seule qui leur paraisse convenir à la méditation parfaite; et, à vrai dire, je ne puis même parvenir à souhaiter vraiment celle-ci, cette résorption qu’ils cherchent de l’individu dans l’Être éternel. Je tiens éperdument à mes limites et répugne à l’évanouissement des contours que tout mon éducation prit à tâche de préciser. Aussi bien le plus clair profit que je retire de ma lecture, c’est le sentiment plus net et précis de mon occidentalité; en quoi, pourquoi et par quoi je m’oppose. N’importe! Ces livres de Guénon sont remarquables et m’ont beaucoup instruit, fût-ce par réaction. J’admets volontiers les méfaits de l’inquiétude occidentale, dont la guerre même reste un sous-produit; nais la périlleuse aventure où nous nous sommes imprudemment lancés valait la peine qu’elle nous coûte, valait la peine d’être courue. A présent, du reste, il est trop tard pour reculer; nous devons la mener plus avant, la mener jusqu’au bout. Et ce “bout”, cette extrémité, je tâche de me persuader que c’est Dieu, fût-il atteint par notre ruine. Il faudrait sans doute la “position confortable” pour mener à maturité cette pensée. En attendant, je persévère dans mon erreur; et je ne puis envier une sagesse qui consiste à se retirer du jeu. Je veux “en être” et dût-il m’en coûter.»

Encore une fois, la lucidité et le courage sont au rendez-vous. Assortis d'une utile mise en garde contre la tentation de chercher refuge dans une quiétude à l’abri de l’implication dans la réalité du monde, à l’abri de la responsabilité même (cf. la discussion sur ce sujet). Gide n'a malheureusement pas perçu que le chemin qu'il entrevoyait n'impliquait pas de renoncer à l'individu, mais à ce à quoi l'individu s'identifie, à ce qui l'emprisonne. Ironie du sort: celui qui, en traquant tout au long de son oeuvre avec tant de précision l'individuel, a exprimé l'universel, n'a pas accédé lui-même, dans sa propre conscience, à travers son propre noyau individuel, à l'universel.
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