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Le concept de Joie chez Deleuze
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Jean-Marie



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MessagePosté le: Lu 05 Mars 2007 23:58    Sujet du message: Répondre en citant

mushotoku-nad a écrit:
Hé, Jean Marie, tu n'est peut etre absolument pas concerné, je parlais de mon experience! Laughing

Laughing Laughing J'avais bien compris ton intention, mais je n'ai résisté à faire "comme si". Juste une habitude d'auto-humour.


petitmoyengrand a écrit:
Je crois que beaucoup hurleraient en lisant ces mots sur Nietzche

Si je te donne mon avis sur l'art, il y en a encore beaucoup plus qui vont hurler. Enfin, allons-y ! (sous réserve que ce n'est qu'un avis personnel et que je ne suis ni un spécialiste, ni un artiste).

Dans l'art (peinture, sculpture, musique, littérature, danse, théâtre, etc...), je distinguerais la forme et le fond.

La forme est très dépendante du "petit moi". Il y a une maxime qui s'applique à merveille : "tout passe, tout casse, tout lasse". Autrement dit, il y a dans la forme une course effrénée à la nouveauté. Ce qui a été fait il y a 20 ans n'est plus bon maintenant. C'est presque la même chose que pour la mode. Il y a une véritable obsession de l'originalité, pour échapper à la banalité.

Pour celui qui s'inscrit dans un processus de libération par rapport au "petit moi", les choses s'inversent pratiquement à 180°. C'est cette obsession de l'originalité qui devient banale et qui prête à sourire, mais un sourire triste car elle témoigne de l'enfermement dans le "petit moi".

Le fond concerne quant à lui ce qui cherche à s'exprimer à travers la manifestation artistique. Ecartons les charlatans qui n'expriment rien du tout sinon leur avidité à attirer les sous des crédules. Les autres, ceux qui tentent vraiment d'exprimer quelque chose, qu'essayent-ils d'exprimer ? Ce qui les touche, ce qui les émeut, ce qui les bouleverse, ce qui les étonne, ce qui les excite, ce qui les déprime, ce qui les assaille, ce qui les berce, ce qui les console, ce qui les charme..... Tous ces sentiments émergent des profondeurs de l'individu à condition de les laisser venir à la surface, et d'être suffisamment sensible c'est-à-dire conscient de leur présence.

Mais ces sentiments n'indiquent pas leur origine. Beaucoup proviennent des zones obscures et conflictuelles du moi. Il suffit de se libérer de la peur du gendarme (ou du père castrateur) pour voir émerger des sentiments pas tristes (qu'il vaut probablement mieux exprimer dans des oeuvres artistiques tourmentées que dans la réalité). D'autres mouvements ou sentiments peuvent trouver leur origine au-delà du "petit moi", dans ce que nous appellerions ici le centre de l'Etre, ou le "moi divin". Ces mouvements-là s'inscrivent toujours dans l'harmonie.

Parfois les forces et les mouvements originaires du "petit moi" profond sont aussi empreints d'harmonie ou mélangés aux mouvements de l'Etre. Mais il y a un signe qui permet de faire la distinction : ce qui provient du "petit moi" comporte toujours un intérêt pour la personne. (Ce qui n'est évidemment pas mauvais en soi !)

Que l'art soit inspiré du "petit moi" ou du "moi divin", la plupart des artistes et des amateurs d'art n'en ont rien à foutre : ils ignorent jusqu'à l'existence de cette distinction. Les vrais artistes vivent l'intense sentiment d'exprimer leur profondeur, quelle que soit l'origine de cette profondeur. Les vrais amateurs d'art trouvent le chemin de leur propre profondeur par le truchement de l'oeuvre d'un autre. (mais ils doivent être assez rares). Pourquoi finalement y a-t-il vénération pour l'art ? Peut-être est-ce une fascination pour le mystère de profondeurs inaccessibles dont les artistes apparaissent comme des "passeurs", tout comme les psy ou les voyantes, profondeurs auxquelles la religion traditionnelle permet de moins en moins d'accéder, depuis que ses incohérences ont été relevées par les "Lumières", le matérialisme et l'existentialisme.

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Jean-Marie
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Jean-Marie



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 0:34    Sujet du message: Répondre en citant

Sorry, Feuille, si j'ai écorché Nietzsche, mais il me semble tellement loin de la douceur, de la tendresse, de l'harmonie, de l'humilité...
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Jean-Marie
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joaquim
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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 0:38    Sujet du message: Répondre en citant

feuille a écrit:
Bref, si Nietzsche s’est arrêté à l’expérience d’éveil, il n’en reste pas moins un philosophe poète capable de me parler de l’éternité bien mieux que nombre de spirituels d’un new-age éculé…


Permets-moi, feuille, d'amener de l'eau à ton moulin. Wink

«Ce qui fait la noblesse d’un être, c’est que la passion qui s’empare de lui est une passion particulière, sans qu’il le sache; c’est l’emploi d’une mesure rare et singulière et presque une folie; c’est la sensation de chaleur dans les choses que d’autres sentent froides au toucher; c’est la divination de valeurs pour lesquelles une balance n’a pas encore été inventée; c’est le sacrifice sur des autels voués à des dieux inconnus; c’est la bravoure sans le désir des honneurs; c’est un contentement de soi qui déborde et qui prodigue son abondance aux hommes et aux choses.»
Nietzsche, Le gai savoir, livre premier, par. 55.


Bref, c’est l’exaltation de quelque chose en soi qui est plus que soi. Nietzsche pousse tout au long de son oeuvre un cri contre la paresse, la médiocrité, le confort, la sécurité de l’acquis, et invite à se risquer à chaque instant dans le contact nu avec la vie — au risque de s’y brûler. Toute réticence pour lui est négation de la vie. Sauter dans le feu, pour devenir dieu ou mourir. — Il en est mort...

Pourtant lorqu’on lit ses mots, n’a-t-on pas l’impression qu’il était tout prêt de déchirer le voile?

«J’ai découvert pour moi que la vieille humanité, la vieille animalité, oui même tous les temps primitifs et le passé de toute existence sensible, continuent à vivre en moi, à écrire, à aimer, à haïr, à conclure, – je me suis réveillé soudain au milieu de ce rêve, mais seulement pour avoir conscience que je rêvais tout à l’heure et qu’il faut que je continue à rêver, pour ne pas périr: tout comme il faut que le somnambule continue à rêver pour ne pas tomber. Q’est désormais pour moi l’“apparence”? Ce n’est certainement pas l’opposé d’un “être” quelconque – que puis-je énoncer de cet être, si ce n’est les attributs de son apparence? Ce n’est certes pas un masque inanimé que l’on pourrait mettre, et peut-être même enlever, à un X inconnu! L’apparence est pour moi la vie et l’action elle-même qui, dans son ironie de soi-même, va jusqu’à me faire sentir qu’il y a là apparence et feu follet et danse des elfes et rien de plus – que, parmi ces rêveurs, moi aussi, moi “qui cherche la connaissance”, je danse le pas de tout le monde, que le “connaissant” est un moyen pour prolonger la danse terrestre, et qu’en raison de cela il fait partie de ces maîtres de cérémonie de la vie et que la sublime conséquence et le lien de toutes les connaissances sont et seront peut-être le moyen suprême d’assurer l’universalité de la rêverie et l’entente de tous ces rêveurs entre eux et, par cela même, de faire durer le rêve
Ibid, par. 54.


N'est-ce pas dire, avec des mots sortis du fond des tripes, qu'il a découvert que la vie n'est qu'un jeu qui se joue de toute conscience qui s'illusionne "être", mais qu'il a pourtant décidé d'adhérer à ce jeu, parce que s'en détacher, ce serait retomber sous le charme d'une nouvelle illusion, l'illusion de se croire "être" celui qui aurait percé le jeu à jour, alors qu'y adhérer, tout en le perçant à jour, c'est enfin être vivant?

Pour revenir à ta question initiale, petitmoyengrand, je ne connais malheureusement pas Deleuze Embarassed, mais cette expérience d’“être traversé par le sentiment de la Vie, employé ici plutôt dans un sens intensif et relevant de l'indicible. Une sorte d'expérience de l'extrème, au delà de l'individu, qui semble assez proche du "surhomme" nietzchéen” me semble effectivement proche de l’éveil, et relève plus précisément du chemin d’éveil par l’action, de l’éveil héroïque.
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mushotoku-nad



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 1:10    Sujet du message: Répondre en citant

feuille a écrit:
Je ne suis que partiellement d’accord avec ce que vous appelez l’expérience d’éveil un simple surgonflement euphorique du « petit moi » et assez étonné de voir réduire la poésie de Nietzsche à une sombre histoire oedipienne (soit dit en passant, cette forme de réduction est une belle forme de castration



.... Embarassed oups, il ne m'est jamais venu a l'esprit de taxer une expérience d'eveil, quelle qu'elle soit de gonflement euphorique du moi...Même si ce gonflement peut effectivement en résulter!Seulement de relativiser les experiences d'eveils, et de replacer celle de N a sa juste place par rapport a l'Eveil au Tout.
S'ouvrir a la liberté et a la puissance du moi individuel est une experience "d'eveil" aussi, a un certain niveau et je ne permettrais pas de la nier,car elle transforme la vie de celui qui la fait!
Et a aucun moment il me semble, la poésie de N.n'a été réduite a une histoire oedipienne!! Désolée si tu y a ressentis une "attaque "mefiant15

Aucune négation non plus la beauté de la poésie de N.,ni son inspiration, ni son indéniable talent!là n'était pas le sujet de l'échange...
Je dis simplement que l'expérience de la toute puissance du moi,et son euphorie, ce n'est pas celle du Soi ni la "joie sans objet" qui en découle.

Je pense que soit je me suis mal exprimée, soit tu as lu un peu vite, Feuille! Confused

)
Feuille a écrit:
Ce que défend Nietzsche, c’est justement l’affirmation de l’affirmation, la Joie. Dans la fable au début de Zarathoustra, le Chameau (qui porte le fardeau des déterminismes) doit se transformer en Lion (plus ou moins à midi, représentant du nihilisme) pour enfin se transformer en un Enfant (représentant de la Joie).


La "joie " résultant de cette affirmation de l'affirmation, comme tu le dit tres bien est effectivement de l'ordre d'une euphorie,et l'expression de la satisfaction de sa propre puissance...
Personnellement, pour tres bien les connaitre,je ne mettrais pas un enfant comme symbole de cette joie là, je dois dire...sauf si il vient de gangner a la course!!
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Jean-Marie



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 11:15    Sujet du message: Répondre en citant

Hello Joaquim,

Manifestement, les citations que tu nous donnes de Nietzsche te parlent et parlent à beaucoup d'autres, sinon Nietzsche serait tombé dans l'oubli depuis longtemps. Cependant, j'éprouve une grande difficulté à entrer dans ces textes et à en percevoir le sens. Cela fait d'ailleurs bien longtemps que je me suis aperçu que je n'avais pas la "fibre philosophique", ou plutôt la "fibre du langage philosophique". Du coup, la philo m'apparaît souvent comme une expression hautement intellectualisée, camouflant des idées qui pourraient être présentées beaucoup plus simplement. D'ailleurs, heureusement que tes commentaires rendent un peu plus accessibles des propos ... obscurs (pour moi). La même dérive existe en médecine : au lieu de parler de saignement de nez, de faire pipi ou de douleur à l'estomac, on dira souvent épistaxis, miction ou épigastralgie, de quoi faire malin et protéger l'hermétisme de la profession.

Ceci dit, j'avoue que je n'ai jamais fait l'effort de m'initier vraiment au langage philosophique. Mais il existe beaucoup d'auteurs qui ont des choses profondes à dire et qui les disent de manière accessible.

Tout ceci n'est qu'une critique de la forme.

Pour le fond, si la recherche de Nietzsche l'avait conduit à la sérénité et la joie, c'eût été un puissant stimulant pour explorer son chemin. L'arbre se reconnaît à ses fruits. C'est un peu ce que dit Matthieu Ricard à son père dans "le moine et le philosophe". Les philosophes occidentaux manient des idées intellectuellement très poussées mais cela n'a pas de répercussion sur leur vie concrète. Cela ne leur apporte pas le bonheur. Ils restent aux prises avec les mêmes difficultés que tout le monde.

On peut dire à peu près la même chose pour les psychiatres et psychologues. Leur science ne supprime pas leurs difficultés relationnelles. J'en connais un qui, après une longue psychanalyse, à fini par assez bien se connaître (connaître son "petit moi") et s'accepter. Du coup il est devenu imbuvable pour les autres.

En spiritualité, on dit aussi qu'il faut s'accepter et s'aimer tel qu'on est. C'est vrai mais il faut ajouter que ce n'est plus le "petit moi" qui tient la barre.

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Jean-Marie
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joaquim
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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 13:56    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour Jean-Marie,

Je comprends bien que les termes “petit moi” et “grand moi” aient une importance primordiale pour toi, car ils t’ont permis semble-t-il de mettre des mots sur l’événement qui t’a transformé. A ce titre, ils ont pour toi une valeur explicative capitale. Et je pense qu’ils ont une valeur explicative subjective importante pour bon nombre de personnes ici. Mais ils restent malgré tout d’une utilisation très délicate lorsqu’on échange autrement que sous la forme d’un dialogue intime. Car ils créent artificiellement une frontière entre la nature du discours de l’un ou de l’autre, selon que l’un parlerait à partir du “grand moi” et l’autre du “petit moi”. C’est une frontière à mon avis artificielle, car dès lors que l’on parle, on le fait toujours à partir du “petit moi”. On ne parle jamais à partir du “grand moi”. Le discours peut y conduire, mais jamais en partir. Le discours part toujours de la dualité, et tente de pointer vers ce qui est au-delà de la dualité. Vouloir partir de ce qui est au-delà, c’est livrer un discours qui se cautionnerait lui-même d’autorité. Comme si ce qui est au-delà nous appartenait. Ainsi, dire que certains parleraient à partir du grand moi, et d’autres, comme Nietzsche, à partir du petit moi, crée une catégorisation dans la valeur des discours qui me semblent bien dangereuse. Pour moi, un discours ne vaut que par lui-même, par la capacité qu’il a à éclairer son objet, par sa cohérence interne, par sa transparence, etc...

Quand bien même on a découvert le grand moi, si on veut en parler autrement que sous la forme du témoignage, on ne peut pas partir de lui: on n’éclairerait dans ce cas absolument rien, on ne ferait que dire un mot qui s’auto-attribuerait une valeur particulière. De même on ne peut pas réduire la valeur d’un discours en prétendant qu’il proviendrait du petit moi. Ce sont là des jugement de valeur qui ne tiennent pas compte de “ce qui est là”, en l’occurrence la réalité propre du discours, et qui donc pèchent contre ce qu’il prétendent défendre, à savoir le “petit moi” (celui qui juge) au détriment du “grand moi” (ce qui est). Grand moi et petit moi sont toujours présents ensemble dans la manifestation, dans chacune de nos manifestations. C’est pour cela qu’on dit qu’il n’y a rien ni personne à éveiller, car tout EST déjà.

C’est ce que reconnaît aussi humblement Nietzsche, en avouant que le fait d’avoir percé à jour le jeu de la vie ne l’autorise à pas parler à partir d’un point qui serait “au-dessus” de la vie (les fameux "arrières-mondes"), mais toujours autant dans la vie, dans le jeu, dans la danse, car même si j'ai découvert que chacun rêve, «parmi ces rêveurs, moi aussi, moi “qui cherche la connaissance”, je danse le pas de tout le monde.» C’est cette humilité-là qui est la marque de la véritable grandeur (et cela même si N. n'a pas découvert le "grand moi"), et qui justifie pleinement à mon avis ces mots de feuille: “si Nietzsche s’est arrêté à l’expérience d’éveil, il n’en reste pas moins un philosophe poète capable de me parler de l’éternité bien mieux que nombre de spirituels d’un new-age éculé…” Je ne dis bien sûr pas, cher Jean-Marie, que tu ferais partie de cette mouvance-là: tes propos et tes témoignages sont marqués d’un sceau qui ne trompe pas. Mais si tu utilise la distinction petit-moi/grand-moi comme un argument qui cautionnerait ton discours au détriment de celui d’autrui (et c’est bien cela que tu fais avec Nietzsche), alors le risque de dérapage existe bel et bien.
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mushotoku-nad



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 15:35    Sujet du message: Répondre en citant

Joachim a écrit:
Mais si tu utilise la distinction petit-moi/grand-moi comme un argument qui cautionnerait ton discours au détriment de celui d’autrui (et c’est bien cela que tu fais avec Nietzsche), alors le risque de dérapage existe bel et bien.


...c'est noté.
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Jean-Marie



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 17:05    Sujet du message: Répondre en citant

Joaquim a écrit:
dès lors que l’on parle, on le fait toujours à partir du “petit moi”. On ne parle jamais à partir du “grand moi”. Le discours peut y conduire, mais jamais en partir.

Tu as bien raison. Je dérape et en même temps, je ne peux quasiment pas m'en empêcher. Je me crois dans le "grand moi" et, au nom de Cela qui ne juge pas, je me mets à évaluer de quel piedestal les autres parlent. Sincèrement merci pour ta lucidité, Joaquim. Tu m'aides vraiment à voir des choses que j'ai grand besoin de voir.

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Jean-Marie
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petitmoyengrand



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 17:30    Sujet du message: Pour revenir à Nietzche Répondre en citant

Ce dialogue est décidemment très enrichissant! Vraiment, merci. Les points de vue divergent sous certains angles, et je sais de plus en plus que je n'aurai jamais de réponse tranchée.

Deux des messages me poussent à poser deux autres questions, autour de la folie, plus d'ordre psychologique.

Celui de Feuille, qui rapporte la "malédiction" de N. à celle d'être condamné à porter l'Indicible. Mais la folie de N. n'est-elle pas un autre aspect tout différent de cette malédiction?

Et celui de Joachim, le premier. Nietzche est mort parce qu'il n'a jamais renoncé a sauté dans le feu. Comment est-il possible que l'on passe d'un tel extrême à l'autre? Comment peut-on déboucher sur le Soi, ou bien sombrer dans la folie? L'antagonisme est-il pertinent?
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feuille



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 20:52    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour Jean-Marie, mushotoku-nad, joaquim et petitmoyengrand,

joaquim a écrit:
Grand moi et petit moi sont toujours présents ensemble dans la manifestation, dans chacune de nos manifestations.

Merci joaquim pour formuler avec tact ce que je sentais comme un enfermement insupportable, où le petit-moi séparé totalement du grand-moi serait encore capable d’exprimer quoi que ce soit ou même de… danser…

Jean-Marie et mushotoku-nad, j’avoue m’être trouvé à l’étroit, acculé comme un animal et j’ai craché ce que je pouvais pour défendre la parole de Nietzsche (Et oui, il nous aurait peut-être vociféré les pires insanités... votre remarque m’a fait sourire ! Smile ) mais sachez que j’apprécie grandement votre sensibilité, votre démarche constructive et votre sincérité…

Jean-Marie, au sujet de l’hermétisme de la philosophie, s’il y a une chose que l’expérience d’éveil a faite sauter en moi, c’est le cloisonnement que j’attribuais entre les disciplines et la primauté sur le fond et la forme de l’une sur les autres… c’est ce qui m’avait le plus marqué lors du déplacement de ma lave intérieure après cette première éruption : en commençant par le côté spirituel de Krishnamurti, j’avais rapidement réalisé que tout se trouvait imprégné de l’indicible, à des degrés parlants différents (subjectivement, cela va de soi…), sur les affiches de métros, devant un spectacle au théâtre ou un film au cinéma, dans des textes religieux de tous bords, dans une poésie ou une musique (waxou poste d'ailleurs souvent des paroles de musiques : cela me fait penser qu’il n’y a pas de catégories en page d’accueil joaquim ! ) …etc. C’est à ce moment que je me suis ouvert à la philosophie mais sachez que j’ai la même frilosité que vous dans nombre de ces ouvrages. Je fronce les sourcils lorsque cela devient analytique pour la philosophie, mais tout autant lorsque cela frise le fourre-tout-melting-pot pour le spirituel « new-age » (que je ne vous attribuais point !)…

petitmoyengrand a écrit:
Mais la folie de N. n'est-elle pas un autre aspect tout différent de cette malédiction?

Je dirais une conséquence et une curiosité de la malédiction qui fait que l’on peut paraître « fou » pour les autres et c’est ce qui nous rend proche aussi du fou : celui qui offre un visage délicieusement imprévisible qui nous bouscule mais qui se retrouve sous le joug de la norme égalitaire étouffante.

Peut-être que ces mots de Deleuze dans l’Abécédaire (à la lettre F comme fidélité) éclaireront ta question : "Le vrai charme des gens, c'est le côté où ils perdent un peu les pédales, où ils ne savent plus très bien où ils sont. Ca ne veut pas dire qu'ils s'écroulent, au contraire, ce sont des gens qui ne s'écroulent pas. Mais si tu ne saisis pas la petite racine, le petit grain de folie chez quelqu'un, tu ne peux pas l'aimer. On est tous un peu dément. Or, j'ai peur ou au contraire je suis content que le point de démence de quelqu'un soit la source de son charme même" (Les Inrockuptibles, 5 février 1997)
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Jean-Marie



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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 23:23    Sujet du message: Répondre en citant

Bonsoir Feuille.

Feuille a écrit:
j’avoue m’être trouvé à l’étroit, acculé comme un animal et j’ai craché ce que je pouvais pour défendre la parole de Nietzsche

Je ne me rendais vraiment pas compte de ton ressenti. Je crois que cela n'aurait pu arriver si nous avions été en face l'un de l'autre. Il n'empêche que j'ai manqué de sensibilité et, malheureusement, je ne le vois qu'après coup.

J'ai une petite idée de la raison pour laquelle j'ai sorti l'artillerie lourde contre les philosophes (c'est Nietzsche qui a pris les coups mais cela aurait pu être Sartre ou un autre). Il y a 5 ans, je faisais partie d'un groupe de réflexion de pensée laïque. Nous nous réunissions un soir par mois pour réfléchir à un sujet de philo ou de morale. Alors est survenue mon expérience spirituelle (racontée ici pour les nouveaux). J’ai encore assisté à la réunion suivante, au cours de laquelle j’ai tenté de faire sentir la source d’harmonie que nous avons en nous. C’était à la limite de ce que je pouvais. J’avais la voix tremblante, au bord des larmes. Etant donné les positions matérialistes bien affirmées du groupe, je ne me suis pas senti capable d’aller plus loin dans le partage de ce que j’avais vécu. J’ai démissionné. Il me reste probablement un fond de rancune contre les philosophes. Je n'appréciais déjà pas le langage hermétique, mais en plus depuis 5 ans, j’ai l’impression qu’ils ratent l’essentiel en faisant mine de l’avoir découvert et de l’expliquer aux autres.

Je me sens plus léger d’avoir pu déposer cela sur ce forum vraiment hors du commun. Merci à vous tous.

Par ailleurs, Feuille, je partage ton idée que l'indicible est mêlé à tout.

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Jean-Marie
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joaquim
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MessagePosté le: Ma 06 Mars 2007 23:52    Sujet du message: Re: Pour revenir à Nietzche Répondre en citant

petitmoyengrand a écrit:
Nietzche est mort parce qu'il n'a jamais renoncé a sauté dans le feu. Comment est-il possible que l'on passe d'un tel extrême à l'autre? Comment peut-on déboucher sur le Soi, ou bien sombrer dans la folie? L'antagonisme est-il pertinent?


Nietzsche a mis dans sa recherche une intensité hors du commun. Et une honnêteté totale aussi. Lorsqu'on apporte une telle intensité et une telle honnêteté, on amène nécessairement son propre être à son point d'incandescence. Ce point d'incandescence, c'est la porte du néant. Mais selon que l'on s'agrippe alors à soi ou que l'on s'abandonne à ce qui vient, on bascule dans la lumière de l'éveil ou dans l'angoisse de sa propre solitude. Nietzsche a fait face au néant, mais autant que j'en aie compris, il ne s'est pas abandonné; il a au contraire adopté la position héroïque de celui qui tient bon, qui fait face et campe sur sa propre force. Cette position met en jeu des force intérieures considérables, qui donnent une clarté puissante à la conscience, mais qui oblige du même coup celle-ci à se supporter elle-même, à bouts de bras, sans possibilité de lâcher, sous peine de s'écrouler. Cette intensité reposant entièrement sur soi donne un sentiment de vertige, et si on insiste dans cette voie, on peut vraiment avoir l'impression de devenir fou. Car on se retrouve écartelé entre deux choix également impossibles: la surenchère infinie de sa propre puissance et l'anéantissement. Il me semble que Nietzsche a été extrêmement loin dans cette voie, jusqu'à ce que le fil casse. Dans ce sens – je le répète, ce n'est là que ma compréhension des choses – je partage l'avis de Jean-Marie et mushotoku-nad, en disant que Nietzsche n'aurait pas connu l'éveil tel qu'on l'entend ici. Il est resté sur le pas de la porte, refusant farouchement le lâcher-prise salvateur – qu'il aurait pris pour un aveu de faiblesse –, refusant de dire ces mots: "Que Ta volonté soit faite!", les mots par lesquels tout se trouve accompli, persistant au contraire à braver la tempête plutôt que d'accorder à Cela toute-puissance sur lui-même.

joaquim ici a écrit:
Je vous ai dit tout-à-l’heure que l’éveil gît en chacun comme la promesse de sa propre métamorphose, mais je pense aussi que chacun porte en soi une prison infernale, dont il ne ressent pas la morsure glacée parce que la magnificence du monde extérieur l’en détourne et l’en protège. Mais la puissance de la nature, désormais vaincue par l'homme, est de moins en moins forte, et je crains bien qu'elle nous protège aussi de moins en moins efficacement contre nous-mêmes. Comme je l'ai dit, il semble que toujours plus de personnes se voient appelées à découvrir la félicité de la communion à l’être, mais je crains qu'il y en ait aussi toujours plus qui se trouvent piégées dans un enfermement en soi dont on n’imagine en général pas l’atrocité, même s'il ne dure que quelques instants. Il semble en effet que ces expériences d’angoisses, auxquelles on donne depuis les années 1980 le nom d’attaques de panique, se font plus fréquentes depuis quelques années, ou tout au moins, au même titre que l'éveil, qu'on en parle beaucoup plus. Ce sont l'une et l'autre des expériences qui surviennent lorsqu'on arpente la crête nue de la conscience de soi, lorsqu'on lâche les amarres qui nous incarnent dans la réalité matérielle du corps et du monde; et l'on bascule sur le versant “éveil” ou sur le versant “angoisse” selon que cette expérience est vécue sur un mode actif ou passif, selon qu’on plonge dans le vide ou qu'on subit la perte de tout.


Il ne semble pas que Nietzsche ait basculé sur le versant de l'angoisse, et je pense que c'est parce qu'il n'a jamais lâché-prise. Ni activement, ni passivement. Il a lutté jusqu’au bout, il s'est cramponné sur le sommet de l'arête, avec une détermination presque surhumaine, il a tenu bon, jusqu'au moment où l'intensité continuellement amplifiée des flots qu'il avait déchaînés finit fatalement par le submerger.

[edit] Merci pour tes mots ci-dessus, Jean-Marie. Smile
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daniel



Inscrit le: 15 Fév 2006
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MessagePosté le: Me 07 Mars 2007 12:11    Sujet du message: Répondre en citant

c'est exactement ça, joaquim, jusqu'à, il y a peu, je n'arrivais pas à envisager de "lacher la prise", de peur de me tromper, d'abandonner la lutte pour changer le monde (des années de militantistes en tant qu'anar), de laisser derrière moi un monde de souffrance, évoluant dans des sociétés basées sur la peur et l'exploitation, sous le joug des puissants qui tiennent les rênes de l'économie et le monde entre leurs mains, afin de préserver, et de péréniser leurs privilèges et d'empêcher toute volonté d'émancipation et d'épanouissement, à la fois, individuelle et collective ... j'avais peur d'abandonner ce monde, sans plus rien faire pour que ça change, pour me laisser aller à l'ivresse de la profondeur, là où les opposés s'annulent, laissant place au regard neuf, là où l'on arrête de tourner en rond ... j'avais peur d'abandonner la lutte, pour me dissoudre dans ce qui n'était peut-être qu'un tripe du mental ... aujourd'hui, je ne sais pas, cela me paraît si loin, et pourtant, sans solution ... j'ai fini par hisser la voile, et laisser la brise nous guider (la voile et moi) ...
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mushotoku-nad



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MessagePosté le: Me 07 Mars 2007 16:57    Sujet du message: Répondre en citant

Jean Marie a écrit:
Il n'empêche que j'ai manqué de sensibilité et, malheureusement, je ne le vois qu'après coup.


je le vois moi aussi feuille, .... Embarassed

Jean marie a écrit:
j’ai l’impression qu’ils ratent l’essentiel en faisant mine de l’avoir découvert et de l’expliquer aux autres
.

Et je suis aussi un peu dans le même cas, alors il y a cette "réaction"...mais c'est vrai, "qui" réagit?Sad

[quote"Joachim"] Lorsqu'on apporte une telle intensité et une telle honnêteté, on amène nécessairement son propre être à son point d'incandescence. Ce point d'incandescence, c'est la porte du néant. Mais selon que l'on s'agrippe alors à soi ou que l'on s'abandonne à ce qui vient, on bascule dans la lumière de l'éveil ou dans l'angoisse de sa propre solitude[/quote]

C'est là ceque je voulais dire, et je reconnais a N tout autant son honnéteté que sa force...

joachim a écrit:
Il est resté sur le pas de la porte, refusant farouchement le lâcher-prise salvateur – qu'il aurait pris pour un aveu de faiblesse –, refusant de dire ces mots: "Que Ta volonté soit faite!", les mots par lesquels tout se trouve accompli, persistant au contraire à braver la tempête plutôt que d'accorder à Cela toute-puissance sur lui-même


.....!

joachim a écrit:
Ce sont l'une et l'autre des expériences qui surviennent lorsqu'on arpente la crête nue de la conscience de soi, lorsqu'on lâche les amarres qui nous incarnent dans la réalité matérielle du corps et du monde; et l'on bascule sur le versant “éveil” ou sur le versant “angoisse” selon que cette expérience est vécue sur un mode actif ou passif, selon qu’on plonge dans le vide ou qu'on subit la perte de tout.


....! oui! c'est exactement ça! c'est drôle, mais cela me rappelle les angoisses récentes de "qulqu'une" Embarassed Merci Joachim...
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joaquim
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MessagePosté le: Je 08 Mars 2007 14:19    Sujet du message: Répondre en citant

daniel a écrit:
c'est exactement ça, joaquim, jusqu'à, il y a peu, je n'arrivais pas à envisager de "lacher la prise", de peur de me tromper, d'abandonner la lutte pour changer le monde


Lorsqu’on vit un moment d’une totale intensité, on sent bien qu’on touche l’essence de l’être (même si on appelle cela “hypertrophie du petit moi” Wink). A partir d’une certaine intensité, on débouche sur quelque chose de substantiel, quelque chose qui EST, et donc qui nécessairement dépasse le petit moi. Simplement, dans un cas comme celui-ci, on reste convaincu qu’il s’agit d’un état d’exception. On a touché l’éveil, la réalité de l’être, mais on n’y est pas entré. Y entrer, c’est réaliser que ce moment que l’on vit comme un état d’exception a en fait toujours été là, que ce n’est véritablement pas un moment d’exception, mais notre vraie nature, la nature de ce qui EST, et que l’état d’exception c’est celui d’en être séparé parce qu’on s’identifie à une illusion. Tant qu’on n’a pas réalisé cela, on croira nécessairement que les seuls instants vrais de notre vie sont ces instants d’exception durant lesquels on communie à l’être, et que tout le reste est sans valeur. C’est dans ce sens que je comprends la théorie de l’éternel retour de Nietzsche, qui pour moi a toujours eu un caractère angoissant. Revivre éternellement le retour du même. Ou plus précisément, car c’est cela qu’entendait Nietzsche, revivre éternellement le retour de ces moments d’exception, ces seuls moments réels. Car du moment qu’on pense qu’eux seuls sont réels, qu’eux seuls sont enracinés dans l’être éternel, l’évidence s’impose que d’une part ils ne sauraient disparaître, et que d’autre part tout le reste ne saurait avoir d'existence réelle. Et donc que l'éternité est faite de ces moments d'exceptions, qu'elle est faite de l'éternel retour de ceux-ci.
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