joaquim Administrateur
Inscrit le: 06 Août 2004 Messages: 1421 Localisation: Suisse
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Posté le: Me 02 Jan 2008 1:55 Sujet du message: |
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lune a écrit: | Agota Kristof a gardé de son pays natal, la Hongrie, la nostalgie de ceux qu'on a arrachés de force à leur terre.Arrivée en Suisse romande, elle travaille pour survivre en usine tout en apprenant le français.Elle écrit tout d'abord des poèmes, mais s'en détourne rapidement; les sentiments et les émotions qu'ils véhiculent ne dessinent pas les contours du monde « vrai » dont elle veut témoigner.
« Hier » est son quatrième roman. On y retrouve un thème qui lui est proche, celui du déracinement.
A douze ans,Tobias Horvath quitte son village à la suite d'un drame qui a bouleversé sa vie. Après des semaines d'errance, il atterrit dans une ville inconnue, change de nom pour éviter d'être reconnu ou recherché.De la terre de son enfance il ne garde enfoui en lui qu'un prénom: Line, celui de la petite fille qu'il aime depuis le temps de l'école, Line, un prénom obsessionnel qui en quatre lettres renferme toute l'attente et les espoirs d'une vie qu'il ne parvient pas à habiter:
« A présent, il me reste peu d'espoir. Avant, je cherchais, je me déplaçais tout le temps. J'attendais quelque chose. Quoi? Je n'en savais rien. Mais je pensais que la vie pouvait être ce qu'elle était, autant dire rien. La vie devait être quelque chose et j'attendais que ce quelque chose arrive, je le cherchais. Je pense maintenant qu'il n'y a rien à attendre, alors je reste dans ma chambre, assis sur une chaise, je ne fais rien.Je pense seulement que si quelqu'un entrait... Mais ce « quelqu'un » n'existe pas.Personne n'entre. »
Devenu adulte, Tobias est embauché à l'usine, comme bon nombre de ses compatriotes.Une fabrique d'horlogerie. Percer le même trou dans le même modèle de pièce, indéfiniment. Manger, dormir, s'arrêter au café, attendre que les saisons passent.Se lier sans amour, sans engagement, juste par manque de force pour le refuser. Subir. Vivre dans un ailleurs dont Tobias ne parvient pas à s'extirper. Vivre englué. Tobias marche pourtant sans fin, comme si le mouvement de ses pas allait enfin réveiller celui de son âme. Il observe les oiseaux, comme si la légèreté de leur vol allait le faire décoller de lui-même. Le réunifier,le libérer de ce monde clos dont il ne trouve pas la clé.
Lors d'une de ses promenades sous la pluie, un « quelque chose » parvient pourtant subitement à se révéler:
« Le temps se déchire. Où retrouver les terrains vagues de l'enfance? Les soleils ellyptiques figés dans l'espace noir? Où retrouver le soleil basculé dans le vide? Les saisons ont perdu leur signification. Demain, hier, que veulent dire ces mots? Il n'y a que le présent. Une fois, il neige. Une autre fois, il pleut. Puis il y a du soleil, du vent. Tout cela est maintenant. Cela n'a pas été, ne sera pas. Cela est.Toujours. Tout à la fois. Car les choses vivent en moi et non dans le temps. Et en moi tout est présent. »
Une sorte d'éveil, peut-être? Tobias s'extirpe du temps, comme si tout ce qui est lui sautait brusquement à la figure.Tout à la fois, tous les temps conjugués. Dans ce qui est se dissout la douleur de ce qu'on a vainement espéré: attendre, croire, changer, revenir, partir, rencontrer, chercher, trouver, patienter, reconnaître, savoir... Les yeux s'ouvrent autrement, sur un monde offert sans condition. Un monde plein et intact qui vit sa complétude dans le recoin le plus minuscule, le plus oublié. Un monde entier voué à la solitude de chacun. Une solitude qui devient ouverture lorsqu'elle s'enracine dans un présent commun. Il neige. Dans notre monde solitaire nous voyons la neige aux couleurs d'une saison, aux chuchotements ouatés qu'elle nous évoque,aux souvenirs d'une enfance nostalgique.Ce faisant nous la retenons, comme si nous refusions de la laisser danser, nous l'enfermons dans sa représentation. Par crainte de la perdre nous l'empêchons de respirer. Tobias a créé sa propre prison; il s'est muré dans le temps, celui d'avant, celui qu'on n'en peut plus d'attendre. Mais le temps figé n'est fait que d'absence. C'est celui auquel on s'abandonne qui allume la présence.
On a souvent reproché à Agota Kristof d'avoir écrit une livre triste, étouffant, au style trop austère et manquant d'une certaine étoffe.Pourtant il est des mots qui touchent plus loin à l'intérieur quand ils ne sont pas recouverts d'un vernis pour éblouir.Des mots qui scintillent par eux-mêmes, pareils à ces diamants dont l'écrin le plus recherché ne changerait en rien le ruissellement de leur lumière. |
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