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Regards sur l'éveil Café philosophique, littéraire et scientifique
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petitmoyengrand
Inscrit le: 16 Déc 2005 Messages: 27 Localisation: Koblenz
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Posté le: Di 10 Sep 2006 19:33 Sujet du message: Paradoxe de la méditation (?) |
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Bonjour à tous,
En réfléchissant un peu, je me suis posé la question suivante: la méditation crée des pensées et invite à creuser le Moi. De ce fait, une ribambelle de pensées vient défiler sur l'écran de l'Ego et semble, elle aussi, faire partie de ce vent qui contribue à le gonfler. Pourtant, la méditation est une voie certaine pour l'Eveil. Est-ce paradoxal? Ou bien doit-on distinguer plusieurs types de méditations? Dans ce cas, la méditation sur soi serait à opposer à l'ouverture au monde.
Merci |
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phoeniks
Inscrit le: 02 Août 2006 Messages: 51
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Posté le: Di 10 Sep 2006 20:09 Sujet du message: |
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Bonjour petitmoyengrand,
Ne mettons nous pas chacun un sens particulier derrière le mot "méditation"?
Je ne sais pas si, comme tu le dis, la méditation crée des pensées. Dans ce que je peux vivre, la méditation consiste en une attention portée vers ce avec quoi je ne suis pas en contact le reste de la journée. La médiation consiste alors à voir le flot des pensées qui existe de toute manière, que j'en sois conscient ou pas. Elle consiste également en un contact avec le corps au sein de son environnement qu'est le monde, contact dont l'intimité est très différente de celui de mon quotidien.
Ce qui me semble primordial dans ce que j'appelle méditation, c'est la possibilité de voir à un instant donné ce dont je suis coupé le reste du temps. L'ensemble de mes pensées fait parti de cela, parce que le reste du temps en question, "je suis mes pensées".
Il me semble que la méditation peut aider, par l'attention et la conscience de son propre fonctionnement, à rétablir un équilibre où l'ego ne serait pas détruit, anéanti ou je ne sais quoi de la sorte. L'attention et la conscience de soi dont je parle peuvent, il me semble, aider à ce que l'ego laisse un peu plus de place à ce qu'il cache habituellement et qui ne demande qu'à émerger.
Ca n'est peut être pas décrit très clairement tout ça! |
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waxou
Inscrit le: 13 Mars 2005 Messages: 361 Localisation: Marseille
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Posté le: Lu 11 Sep 2006 14:24 Sujet du message: |
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En effet, il y a un paradoxe de surface.
La méditation devrait amener au delà de la pensée, mais elle fait penser d'avantage, et si on en reste là, ancré à cette idée du but, on aura au mieux de belles réflexions, mais pas de quoi être surpris ou libéré. On se heurtera à ce paradoxe. Probablement parce que ce n'est pas la pensée qui peut mener, seule, au delà d'elle même.
Pour celà, il faut trouver autre chose. Comme arrêter de penser que la pensée est à eviter parce que c'est déjà paradoxal.
L'homme est un peu comme un musicien qui, lorsqu'il ferait une fausse note par exemple trop grave, réagirait en faisant une note aussi fausse dans les aigus. Il se retrouve alors avec deux fausses notes, et se voit contraint d'en faire deux autres et continue ainsi jusqu'à abandonner l'oeuvre. Pourtant, si à l'origine la note gêne, c'est parce qu'elle sort de l'harmonie de la musique. Faire une note à l'opposé, c'est aussi ne pas la respecter. Rendre la fausse note finalement plus importante qu'elle alors qu'on croit la servir.
C'est ce cycle qu'il faut arrêter. C'est le même que celui de la violence: condamner la violence par la violence.
L'idée, c'est de faire une note qui est en harmonie avec la musique mais aussi avec la note qui nous a gêné. Abandonner son ancienne idée d'harmonie pour accueillir ce qui est.
La méditation, pour moi c'est un peu pareil. Il s'agit de trouver l'harmonie avec tout, et pour cela, il est nécessaire de tolérer, d'accepter, de s'harmoniser aussi (et non pas uniquement) avec ce qui nous dérange. Ni l'ignorer, ni se focaliser dessus.
Je suis donc d'accord avec phoeniks lorsqu'il dit :
phoeniks a écrit: | Il me semble que la méditation peut aider, par l'attention et la conscience de son propre fonctionnement, à rétablir un équilibre où l'ego ne serait pas détruit, anéanti ou je ne sais quoi de la sorte. |
Sinon, il y a deux aspects à la méditation bouddhiste: samatha, l'arrêt et vipashyana, le regard profond. Le regard profond n'est pas possible sans l'arrêt. L'arrêt permet de sortir des cycles, des schémas, des habitudes tandis que le regard profond permet de les voir et de voir au delà. |
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feuille
Inscrit le: 09 Mai 2005 Messages: 353 Localisation: Paris
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Posté le: Lu 11 Sep 2006 19:26 Sujet du message: |
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Bonjour à tous,
je me permets de glisser des extraits de J.Krishnamurti dans le livre "La révolution du silence". Il parle souvent de la méditation, et dans sa conception, il l'explique comme "à la fois le moyen et la fin". Elle n'est pas non plus une introspection (qui s'apparente un peu "à creuser le moi"), même si l'introspection peut être le mouvement initial de la méditation, pour peu qu'elle bute à un certain moment sur un vide libérateur...
On retrouve dans ces quelques lignes de Krishnamurti, ce que vous avez fort bien expliqué par ailleurs, waxou et phoeniks.
Si l'on entreprend de méditer de propos délibéré, ce n'est pas de la méditation. Si l'on se propose d'être bon, la bonté de fleurira jamais. Si l'on cultive l'humilité, elle cesse d'être. La méditation est comme la brise qui vient lorsque l'on laisse la fenêtre ouverte ; mais si on la laisse ouverte délibérément, si, délibérément, on invite la brise, elle n'apparaîtra jamais.
La méditation n'est pas dans le processus de la pensée, car la pensée est si rusée qu'elle a d'infinies possibilités de se créer des illusions, mais alors la méditation lui échappe. Comme l'amour, elle ne peut être pourchassée.
/…/
La méditation est un dur travail. Elle exige la plus haute forme de discipline - non celle du conformisme, de l’imitation, de l'obéissance ; mais celle qui résulte de ce que l'on est constamment conscient, à la fois du monde extérieur et de la vie intérieure. Donc la méditation n'est pas une activité dans l'isolement, mais une action dans la vie quotidienne, faite de coopération, de sensibilité et d'intelligence. Si la méditation ne pose pas les fondements d'une vie irréprochable, elle devient une évasion et par conséquent n'a absolument aucune valeur. Être irréprochable ce n'est pas se conformer à une morale sociale, mais être libéré de l'envie, de l'avidité et de la recherche du pouvoir, qui sont des causes d'inimitié. On ne s’en libère pas par une action volontaire, mais en en étant conscient du fait qu'on se connaît. Si l'on ne connaît pas les activités du moi, la méditation devient une excitation sensorielle et a très peu de sens.
/…/
La méditation est un mouvement perpétuel. Vous ne pouvez jamais dire que vous êtes en train de méditer, et vous ne pouvez pas réserver un temps pour la méditation. Elle n'est pas à vos ordres. Sa bénédiction ne vous est pas octroyée du fait que votre vie est réglée par un système , une routine ou une morale. Elle ne vient que lorsque votre coeur est réellement ouvert. Non pas ouvert avec la clé de la pensée, Ni mis en sécurité par l'intellect, mais lorsqu'il est ouvert comme un ciel sans nuages ; alors elle survient à votre insu, sans avoir été invité. Mais vous ne pouvez jamais la surveiller, la conserver, lui rendre un culte. Si vous essayez de le faire, elle ne reviendra jamais plus ; quoi que vous fassiez elle vous évitera. Ce n'est pas vous qui importez dans la méditation, vous n'y avez aucune place, sa beauté n'est pas en vous met en elle-même. Ne regardez pas par la fenêtre dans l'espoir de la capter à son insu, ne vous asseyez pas dans une chambre tamisée afin de l'attendre ; elle ne vient que lorsque vous n'êtes pas là du tout, et sa félicité n'a pas de continuité.
/…/
L'épanouissement de la méditation est espace et innocence. Il n'y a pas d'innocence sans espace. L’innocence n'est pas un état infantile : on peut être à la fois physiquement mûr et innocent. Mais le vaste espace qui accompagne l'amour ne peut pas se produire tant que le psychisme n'est pas libéré des nombreuses cicatrices de l'expérience. Ces cicatrices empêchent l'esprit d'être innocent. La méditation consiste à libérer l'esprit de la constante pression de l'expérience.
/…/
La méditation n'est jamais une prière. Les prières, les supplications, sont dictées par la commisération que l'on a pour soi-même. On prie lorsqu'on est en difficulté, lorsqu'on souffre. Mais lorsqu'on est heureux, joyeux, on ne supplie pas. Cette compassion envers soi-même, si profondément enfoui dans l'homme est la racine de son isolement. Se séparer des autres, où se penser isolés, aller perpétuellement à la recherche d'une identification avec une totalité, c'est amplifier la division et la douleur. Du fond de cette confusion, on invoque le ciel ou un conjoint ou une divinité inventée. Cet appel peut attirer une réponse, mais cette réponse et l’écho, dans sa solitude, de la compassion que l'on a pour soi-même.
La répétition de mots, de prière, vous met dans un état d'auto hypnose, vous enferme en vous-même, vous détruit. L'isolement de la pensée est toujours dans le champ du connu, et la réponse à la prière est la réponse du connue.
La méditation est fort éloignée de tout cela. La pensée ne peut pas pénétrer dans son champ qui ne comporte pas de séparation, pas d'identité. La méditation est à ciel ouvert, les secrets n’y ont aucune place. Tout y est exposé, tout y est clair, alors la beauté de l’amour est .
J.Krisnamurti, La révolution du silence, Edition Stock, p46-148. |
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joaquim Administrateur
Inscrit le: 06 Août 2004 Messages: 1421 Localisation: Suisse
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Posté le: Lu 11 Sep 2006 23:35 Sujet du message: |
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La méditation, qui est un geste intérieur par lequel on cherche à prendre distance par rapport à ses propres contenus de pensée afin de ne plus s’identifier à eux, nous fait effectivement buter sur un problème paradoxal et têtu, que waxou a très bien décrit. Comment, en effet, sortir de la pensée dans laquelle on est immergé, si l’on est obligé de prendre appui pour cela sur... la pensée, car on n’a malheureusement rien d’autre à disposition? Je repense à ce propos à un paradoxe dont a parlé dernièrement phoeniks dans le dilemme du prisonnier, qui dérive du célèbre paradoxe de Zénon d’Achille et la tortue. Ce paradoxe me semble tout-à-fait approprié pour éclairer la position de la pensée dans la méditation, car celle-ci parvient, comme la balle dans l’exemple de phoeniks, à serrer toujours de plus près son but, sans pourtant jamais le toucher. Tant que la pensée s’appuie sur son mouvement propre, c’est-à-dire sur la saisie de son objet, l’objet qu’elle poursuit dans la méditation lui échappe inéluctablement, quelque soin qu’elle mette à s’en rapprocher, puisque l’objet en question est le sujet que je suis — et que je ne serai jamais saisi comme sujet tant que ma pensée fera de moi un objet. Il y a là un saut qualitatif, qui est du même ordre que celui que doit faire la pensée pour laisser la balle toucher le sol: abandonner la poursuite sans fin de son raisonnement, et regarder ce qui est, tout simplement, dans sa totale nudité, sans nul instrument conceptuel pour le saisir. La réalité prosaïque, bonne mère, nous oblige à faire ce pas, car la balle, une fois lancée, touche bel et bien le sol, quoi qu’en pense la raison. Mais sans cette évidence qui lui vient de la réalité, la pensée abandonnerait-elle si facilement son os? Heureusement que la réalité nous protège en général assez efficacement contre les égarement où nous conduisent les labyrinthes de nos pensées. En tous cas la réalité matérielle. Car pour ce qui est de la réalité relationnelle, il semble bien que cette dernière soit trop malléable à la pensée pour nous éviter de tomber dans ses pièges. Quant à la méditation, c'est bien pire encore: elle est une situation expérimentale où l'on se livre tout cru aux subterfuges de la pensée, en renonçant délibérément, du fait qu’on s’en isole, à la protection naturelle que nous accorde la réalité. Jusqu'à ce que, peut-être, on la touche, la réalité, à l'intérieur de soi.
Je repense aussi à cette extraordinaire video qu’Oniris avait mise en lien sur son ancien site, dans laquelle on effectue une plongée vertigineuse dans l’univers microscopique de la matière. Rendez-vous ICI et cliquez sur "voir le film". On s’approche, s’approche toujours plus, avec l’impression vertigineuse de tomber, et pourtant, jamais on ne touche, même lorsqu’on se trouve à un grossissement de 20 mio de fois (autant dire qu’on est très très près, et pourtant, si loin encore...). On ne touche pas tant qu’on demeure quelqu’un qui voit quelque chose. Toucher, ce serait percevoir la réalité de l’objet comme la sienne propre. Ce serait n'être plus que regard.
Et c’est cela dans la méditation aussi. Dès qu’une pensée naît, dès qu’on naît à travers une pensée, une autre est déjà née aussi, qui nous fait nous saisir comme sujet pensant de la première. Et la magie est rompue, on est renvoyé, soi au sujet vivant mais inconnaissable que l'on est, la pensée à l’objet connaissable mais sans vie qu'elle saisit. Il faudrait, pour ainsi dire, désamorcer la pensée saisissante avant même qu’elle ne naisse. Aussitôt qu’elle est née, c’est trop tard. Autant dire qu'on n'en sort pas. A moins d'une grâce qui nous transporte en amont. Mais ce que l'on peut faire, comme le dit waxou, c'est cesser de réagir, cesser de produire sans fin l’effet-même qu’on cherche à neutraliser. Si l'on ne peut pas supprimer les pensées saisissantes, alors les accepter, en pleine conscience. Voyons bien la chose: si l’on réagit, c’est que ce qui nous apparaît ne correspond pas à ce qu’on attend. On réagit parce qu'une attente en nous est déçue. Cesser de réagir, c’est donc cesser d’attendre quelque chose. C'est là qu'est la solution, car cesser d'attendre quelque chose, c’est du coup voir simplement ce qui est. Notez bien que cela ne veut pas dire la mort du désir, entendu comme mouvement qui nous porte vers les choses et les êtres. Cela veut dire la mort du désir entendu comme mise en conformité des choses et des êtres à notre attente. |
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Denis
Inscrit le: 24 Jan 2006 Messages: 68 Localisation: Nancy
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Posté le: Ma 12 Sep 2006 8:48 Sujet du message: |
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Cesser de réagir, cesser d'avoir des attentes, ne pas laisser le passé construire le futur via le présent, j'arrive à voir cette clé que tous les maîtres désignent mais je ne sais pas m'en servir. |
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sam'di Invité
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Posté le: Ma 12 Sep 2006 13:09 Sujet du message: |
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Citation: | Notez bien que cela ne veut pas dire la mort du désir, entendu comme mouvement qui nous porte vers les choses et les êtres. Cela veut dire la mort du désir entendu comme mise en conformité des choses et des êtres à notre attente. |
très bien, mais que faire du désir de l'autre pour soi ? est-ce compatible !? |
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joaquim Administrateur
Inscrit le: 06 Août 2004 Messages: 1421 Localisation: Suisse
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Posté le: Ma 12 Sep 2006 18:17 Sujet du message: |
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Denis a écrit: | Cesser de réagir, cesser d'avoir des attentes, ne pas laisser le passé construire le futur via le présent, j'arrive à voir cette clé que tous les maîtres désignent mais je ne sais pas m'en servir. |
Ce qui t’empêche de voir, c’est peut-être simplement le fait que tu attendes que ce que tu vois soit en conformité avec ce qu’en disent les maîtres. Car même cette attente-là, il faut s’en défaire. Voir ce qui est, c’est ne plus compter que sur soi, c’est se faire assez confiance pour se passer des béquilles qui nous rassurent, c’est oser le plongeon de la confiance. Et c’est en même temps devenir libre — une liberté que personne d’autre que nous-mêmes ne peut nous accorder. Être libre, c’est déboulonner toutes les idoles à qui on confie le soin de guider sa vie. C’est ne plus s’accommoder de ces ajustements, inconfortables certes, mais que l’on préfère pourtant au risque de se retrouver seul aux commandes. On dit souvent que l’éveil, c’est renoncer à soi. Oui, dans le sens où on s’identifie en général aux béquilles auxquelles on s’accroche. C’est renoncer à ce soi-là. Mais c’est en même temps faire une confiance totale, aveugle, au soi que l’on est, ce petit être si fragile que l’on porte en soi, et qu’on protège avec tant de fausse bienveillance d’un contact trop rude avec la réalité. Prendre sa liberté, ce n’est pas seulement se libérer de ce qu’on perçoit clairement comme une entrave; c’est bien plus se libérer de ce qu’on ne perçoit que sourdement comme un entrave; c’est se faire assez confiance, se donner assez de poids pour reconnaître cette entrave comme telle, malgré toutes les tentatives de notre ego affolé de nous faire croire que c’est mieux ainsi.
On aura ainsi peut-être peur de décevoir quelqu’un, et on choisira le rôle gratifiant de celui qui est à l’écoute des besoins de l’autre, plutôt que d’offrir à cet autre la réalité moins édulcorée de ce qu’on est vraiment. On ne fait pas confiance à ce qu’on est vraiment, on pense que ce ne sera pas assez bien, qu’il faut plus, ou autre chose que ce qui est là. C’est lui, ce faiseur d’idoles qu’il s’agit de démasquer, celui qui s’arroge le droit de dicter ce qui serait bien, et qui recouvre celui qui est d’une couverture de bons sentiments qui le paralysent. Ce genre d’accommodement où l’on se sacrifie pour une cause apparemment noble est particulièrement retors, car il est plus difficile à démasquer, mais il peut en même temps se révéler un allié particulièrement efficace pour peu qu’on trouve le courage de reconnaître son hypocrisie, car il ne nous laisse alors vraiment plus rien d’autre sur quoi s’appuyer que soi-même.
Bien sûr, parvenu à ce point, chacun aura reconnu en lui ces multiples replis de lâcheté. Et se dira: c’est vrai, il faut que je change. Mais c’est là que l’histoire se corse, car cette nouvelle pensée qui naît alors risque bien à son tour d’être récupérée par la machine à fabriquer des idoles: sous prétexte de les déboulonner, elle va faire de cette mission de déboulonnage une nouvelle idole. Vraiment retors... On se rend compte, lorsqu’on va jusqu’au fond, qu’il n’y a vraiment rien sur quoi s’appuyer. Et si on va vraiment jusqu’au fond, on tombe nécessairement, derrière ce rien, sur Soi. Parce que ce “rien”, c’est Soi, c’est Ce qui Est.
sam'di a écrit: | très bien, mais que faire du désir de l'autre pour soi ? est-ce compatible !? |
Bonjour sam’di, bienvenue.
Qu’entends-tu par là ? Pourrais-tu préciser ? |
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Denis
Inscrit le: 24 Jan 2006 Messages: 68 Localisation: Nancy
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Posté le: Ma 12 Sep 2006 23:12 Sujet du message: |
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Merci Joaquim! |
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cieletbaie
Inscrit le: 20 Fév 2006 Messages: 108
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Posté le: Me 13 Sep 2006 2:45 Sujet du message: |
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Bonjour
Quelles belles paroles, emplies de vérité, de nobles responsabilités !!
"Voir ce qui est, c’est ne plus compter que sur soi, c’est se faire assez confiance pour se passer des béquilles qui nous rassurent, c’est oser le plongeon de la confiance."
Il m'a fallu un jour être tellement désespéré de mon passé, tellement sans espoir pour mon avenir, que la seule chose qu'il me restait possible de faire était le pari sur moi. Un pari complètement fou, illogique, un pari ne reposant sur rien d'objectif. Rien non plus qui se serait situé dans un futur proche ou lointain. Pas quelque chose du genre "je fais cela pour obtenir quelque chose... non.
Un pari sur rien, juste sur un vouloir(le mot n'est pas adéquat) être bien, vouloir être,moi, sans rien, complètement nu, sans aucun vêtement psychologique, sans histoire, sans passé ni avenir, uniquement maintenant (peut-être même une seule fois infiniment courte, au moins une seule fois, sans même que cela dure, tant pis pour le futur)
"On dit souvent que l’éveil, c’est renoncer à soi. Oui, dans le sens où on s’identifie en général aux béquilles auxquelles on s’accroche. C’est renoncer à ce soi-là. Mais c’est en même temps faire une confiance totale, aveugle, au soi que l’on est, ce petit être si fragile que l’on porte en soi"
Confiance, foi, surgissement de l'amour de soi, respect également. On ne plus plus faire n'importe quoi ensuite...
Par fidélité à cette merveille, j'ai déménagé, changé d'activité...et il était clair qu'il n'y avait pas à discutter l'évidence de ces changements matériels.
La tête et le raisonnement n'ont pas de place ici, tout simplement parcequ'ils sont inadéquats !!
"Mais c’est là que l’histoire se corse, car cette nouvelle pensée qui naît alors risque bien à son tour d’être récupérée par la machine à fabriquer des idoles: sous prétexte de les déboulonner, elle va faire de cette mission de déboulonnage une nouvelle idole. Vraiment retors..."
Continuer ensuite à démasquer les récupérations mentales, non pas parcequ'elles devraient être perfectionnées de mieux en mieux, mais parceque, radicalement, elles sont à côté de la plaque.
Je ne veux pas donne une fausse impression, je ne suis pas "libéré".
Mais que la banlieue de la capitale est déjà belle...
Dernière édition par cieletbaie le Ve 08 Juin 2007 22:48; édité 1 fois |
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joaquim Administrateur
Inscrit le: 06 Août 2004 Messages: 1421 Localisation: Suisse
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Posté le: Me 13 Sep 2006 21:34 Sujet du message: |
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Merci, cieletbaie, pour cette vie que tu introduis entre mes lignes, et qui les rend vraies. C’est cela surtout qui compte dans ce forum: non pas tellement produire des idées, mais les remplir de vie personnelle. C'est seulement ainsi qu'elles peuvent devenir vraies.
Ce "pari sur rien" , comme tu le dis, ce "pari sur moi", c’est la prise de conscience de sa propre dignité, c’est l’accession à la dignité de sa condition humaine. C’est un sujet que l’on a déjà évoqué plusieurs fois, en particulier dans Eveil psychologique et éveil spirituel et dans La dignité. Je remets ici le texte magnifique de Maurice Zundel, qui saisit l'éclosion de cette dignité dans son premier matin:
« Le petit Henri (Heinrich der Grüne de Gottfried Keller) est l'enfant unique d'une femme devenue veuve, qui l'élève de son mieux, en lui vouant toute sa tendresse. A l'époque, il a 8 ou 9 ans. Il revient de l'école au déclin de l'après-midi. Son souper l'attend et il se met à table, en omettant, pour la première fois, de faire sa prière. Sa mère, supposant qu'il s'agit d'une distraction, le rend gentiment attentif à cette omission. Il feint de ne pas entendre. Elle insiste. Il se raidit dans une muette résistance. Alors la mère, sur le ton du commandement : “Tu ne veux pas faire ta prière ? - Non ! - Eh bien, va te coucher sans souper !” L'enfant, bravement, relève le défi et se couche sans mot dire. Au bout d'un moment la mère, prise de remords, lui apporte son souper au lit. Trop tard : depuis lors, le petit garçon cessa de prier. Ce petit incident est lourd de signification. Il nous fait assister précisément, chez un enfant, à la prise de conscience de son inviolabilité. Il découvre qu’il y a en lui un domaine où sa mère ne peut pénétrer sans son aveu, un domaine qui lui appartient et dont lui seul peut disposer.
(...)
Ce petit garçon, qui découvre soudain en lui-même un domaine inaccessible à sa mère et qu’il est résolu à défendre contre elle, qu’a-t-il fait pour rendre inviolable sa propre intimité? Rien. Il n’est pas l’origine de lui-même, il a été mis au monde sans le vouloir, il n’a pas cessé d’être porté par la tendresse de sa mère, comme il reçoit de l’univers tous les éléments de sa subsistance. Comment peut-il dire je et moi? Qu’est-ce qui l’autorise à faire unsage de ces pronoms personnels et à se poser comme un être autonome? Encore une fois: rien. Et pourtant cette prose de conscience est irréversible et l’accompagnera toute sa vie, comme la justification imprescriptible des droits qu’il revendique.
Si l’on ne veut pas contester la valeur de cette expérience, il faudra reconnaître que l’inviolabilité qui vient de se révéler en lui est une vocation à réaliser et non un bien acquis. Tout le préfabriqué qu’il porte en lui, et qui n’est pas de lui, devra subir une transformation radicale pour que la dignité radicale de la personne s’actualise en lui. Il apparaît comme remis à lui-même pour se recréer, en se libérant de tout ce qui l’empêcherait d’être l’origine du moi à travers lequel il s’affirme.
Cette conquête de soi, à laquelle nous sommes tous appelés, est ce qu’il y a de plus difficile. Beaucoup n’en ont ni la notion ni le souci. Ceux qui s’en préoccupent en ignorent, le plus souvent, le terme et le chemin. Le non que nous opposons si fermement aux empiétements d’autrui contraste, dérisoirement avec l’incertitude du oui qui devrait animer la volonté de nous construire. C’est sans doute que nous percevons rarement l’exigence d’une refonte totale de nous-mêmes, pour réclamer, sans tricher, le respect des autres.
Cet aveuglement est presque naturel. S’il nous est facile, en effet, de revendiquer contre eux notre dignité quand nous nous croyons offensés, en quoi la faire tenir quand nous sommes seuls avec nous-mêmes? Où et qui est ce moi qui devant eux paraît si sûr de lui? Il nous échappe dès que nous tentons de le saisir.»
Maurice Zundel, Quel homme et quel Dieu (texte de la retraite qu'il a prêchée au Vatican en 1972), Ed. St.-Augustin, 1989, p. 31 |
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sam'di Invité
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Posté le: Ve 15 Sep 2006 18:37 Sujet du message: |
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joaquim a écrit: | sam'di a écrit: | très bien, mais que faire du désir de l'autre pour soi ? est-ce compatible !? |
Bonjour sam’di, bienvenue.
Qu’entends-tu par là ? Pourrais-tu préciser ? |
et bien, à partir du moment où "l'on ne cherche plus à s'approrier l'autre afin qu'il comble notre attente ...", que faire du désir de l'autre qui cherche, encore, à s'approprier ce qu'on pourrait lui donner, afin de combler son attente !? comment agir ? notamment, dans la relation amoureuse !? |
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joaquim Administrateur
Inscrit le: 06 Août 2004 Messages: 1421 Localisation: Suisse
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Posté le: Sa 16 Sep 2006 3:20 Sujet du message: |
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Si j'ai bien compris, tu aimerais savoir qu'est-ce qu'on serait en droit, ou en devoir d'attendre de l'autre, une fois que soi-même on serait parvenu à "ne plus s'approrier l'autre afin qu'il comble notre attente..."?
Formulé ainsi, perçois-tu le paradoxe que contient ta question? |
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joaquim Administrateur
Inscrit le: 06 Août 2004 Messages: 1421 Localisation: Suisse
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Posté le: Sa 16 Sep 2006 3:55 Sujet du message: |
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Lorsqu’on médite, on a tendance à exercer une certaine pression sur sa conscience. C’est forcé. Sans quoi l’esprit vagabonde, et on n’est pas présent. On presse la conscience sur l’objet sur lequel on veut faire porter son attention, et on sent confusément que cette pression devrait déboucher sur quelque chose, sur une sorte de solution. La conscience débridée nous apparaît comme un amalgame hétéroclite et branlant, et on essaye, par la concentration, de le consolider tant bien que mal, avec le vague espoir que cette construction puisse finalement tenir debout toute seule, pour nous emporter, si possible, au-delà de nous-mêmes. Un espoir empreint d’une impression d’irréalité, car on sent bien qu’on porte soi-même cette construction à bout de bras, et on ne voit pas très bien, même si la conscience devient plus vive et plus intense, comment on pourrait lâcher prise sans que tout s’effondre.
On commet tout simplement une erreur de perspective. On fait un effort, comme s’il s’agissait de construire quelque chose, puis de se reposer une fois la construction achevée. En fait, il ne s’agit pas de lâcher prise au bout de son effort, il ne s’agit pas de faire un effort, puis de lâcher prise, mais de lâcher-prise à chaque instant de notre effort. Lâcher-prise, cela veut dire prendre conscience que ce n’est pas notre effort qui crée quoi que ce soit, que notre effort ne sert qu’à être attentif à ce qui est là, à quelque chose qu’on n’a pas soi-même à créer, mais qui est déjà là dans notre conscience, quelque chose qu’on n’a donc pas à porter, mais simplement à laisser être. L’effort d’attention consiste plutôt à décrisper la conscience chaque fois qu’elle tente de faire un effort, chaque fois qu’elle vise un but, quel qu’il soit. A se persuader à chaque fois qu’on n’a rien à faire, qu’on n’a aucune responsabilité à assumer, juste à être présent. Lorsqu’on réalise vraiment cette évidence, on se sent déchargé d’un poids. C’est cela, le lâcher-prise. On ressent alors une légèreté dans laquelle on flotte sans efforts. Mais là encore, il ne s’agit pas de faire de cette légèreté un but, mais de la goûter simplement, et de la laisser partir si elle part. Si la crispation réapparaît, il ne s’agit pas non plus de chercher à la décrisper de force, mais de la regarder simplement, de la laisser être. De ne pas se crisper sur la crispation. Elle se décrispera tôt ou tard; en fait, elle le fera au moment où on pourra vraiment la regarder en l’acceptant telle qu’elle est. Ce qui naît alors, à la place de l’effort, c’est la confiance, une confiance qui grandit, et qui prend peu à peu toute la place. On s’y enfonce, on la laisse devenir soi. C’est elle qui fait le travail. Soi-même, on n'a rien d'autre à faire que... lui faire confiance. |
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waxou
Inscrit le: 13 Mars 2005 Messages: 361 Localisation: Marseille
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Posté le: Sa 16 Sep 2006 16:31 Sujet du message: |
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Waou! Il y a tellement de paroles intéressantes que je ne sais pas par ou commencer.
joaquim a écrit: | Notez bien que cela ne veut pas dire la mort du désir, entendu comme mouvement qui nous porte vers les choses et les êtres. Cela veut dire la mort du désir entendu comme mise en conformité des choses et des êtres à notre attente. |
Cette nuance entre ces deux désirs me paraît vraiment cruciale, je ne l'avais jamais vraiment remarquée et regrette qu'elle ne soit pas plus souvent exprimée par certains auteurs ou maîtres.
Ce que je me demande, c'est ce qui fait que l'on réagisse à son désir, soit par un "mouvement vers", ou soit par cette volonté de mise en conformité. Dans les deux désirs, je crois qu'il y a une notion d'ideal, ou tout au moins de rêve. Dans le désir-attente, on essaie de faire disparaître le décallage entre la réalité et le rêve, on considère ce décallage inacceptable, frustrant et une fois qu'il est réduit à néant, pour autant que ce soit possible, c'est situation normale. Dans le désir-"mouvement vers", on harmonise rêve et réalité. On ne compare pas les deux pas plus qu'on ne les met en opposition. Le rêve est bel et bien réel en tant que rêve.
cieletbaie a écrit: | Continuer ensuite à démasquer les récupérations mentales, non pas parcequ'elles devraient être perfectionnées de mieux en mieux, mais parceque, radicalement, elles sont à côté de la plaque.
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Je trouve ça simplement et donc très bien dit. Cela résume exactement ce que j'essayais de faire passer avec mon histoire de musicien qui corrige sa fausse note par une autre fausse note.
Merci également d'avoir remis ce texte de Maurice Zundel, joaquim, à chaque fois que je le relis, il me ramène à ce que j'ai ressenti il y a maintenant plus de deux ans (c'est fou parfois j'ai l'impression que dix ans ont passé depuis). La réalisation de cette intimité du "je" et de Dieu. Une inviolabilité en effet à réaliser. C'est ça qui est étrange, presque paradoxal.
Il n'y a pas longtemps je butais sur un problème tout bête mais pourtant important: comment réussir à s'exprimer et à agir librement, oser réaliser cette inviolabilité, sans faire violence à l'autre.
Imaginons par exemple que l'attitude du petit Henri fasse atrocement souffrir sa mère pour une raison ou pour une autre. On se retrouve justement devant un désir-attente, sa mère voudrait mettre son enfant en conformité avec son désir: qu'il soit sage, obéissant, et agisse comme elle pense qu'il est bien d'agir. Si elle souffre parce qu'il y a décallage entre la réalité et son attente, c'est entièrement son problème. Donc la réponse est là: pourquoi le fait d'assumer l'intégrité de son être, de sa liberté d'action et d'expression ferait violence à l'autre? Ce n'est pas cela qui fait violence à l'autre. C'est l'autre qui se fait violence tout seul de par ses attentes. C'est son problème (mais ça ne veut pas dire qu'il le fait exprès ou qu'il ne souffre pas vraiment, ça c'est une autre histoire).
Dans le livre "Moi, Bouddha" de José Freches, il y a un passage ou Bouddha s'évade du palais en désobéissant à son père. Ananda lui demande si ce n'est pas mal d'agir ainsi. Bouddha lui répond que si son père n'avait pas voulu le retenir, il n'aurait pas eu à mentir (on a encore le désir-attente du père vs le désir d'aller vers l'extérieur de Bouddha). Que c'est l'obligation que veut lui imposer son père qui est la cause réelle du mensonge, il ne lui a pas laissé le choix. C'est le fait de se retenir d'être soi pour combler l'attente de quelqu'un d'autre qui est "mal"...
joaquim a écrit: | L’effort d’attention consiste plutôt à décrisper la conscience chaque fois qu’elle tente de faire un effort, chaque fois qu’elle vise un but, quel qu’il soit. A se persuader à chaque fois qu’on n’a rien à faire, qu’on n’a aucune responsabilité à assumer, juste à être présent. Lorsqu’on réalise vraiment cette évidence, on se sent déchargé d’un poids. C’est cela, le lâcher-prise. |
C'est vraiment très bien dit. Aucune responsabilité à assumer? Finalement, c'est vrai. On est là, mais ça, ce n'est pas une chose à décider ou à assumer, il n'y a rien à faire, donc aucun poids à supporter. C'est bien là la différence avec la culpabilité il me semble. Merci.
edit: la question que poste sam'di, et le paradoxe qu'elle contient (si c'est bien ce qu'il voulait exprimer) me paraîsent aussi très intéressants. Se retenir d'être soi pour combler l'attente de quelqu'un d'autre c'est "mal", au moins pour soi. On serait tenté alors d'exiger de l'autre qu'il n'attende rien de nous pour ne pas qu'il nous mette dans cette situation difficile, ou il faudrait choisir entre être soi sans retenue, ou satisfaire l'attente de l'autre. Seulement ce serait déjà avoir une attente envers lui, qui se voudrait plus importante que les siennes. Et si ce choix est difficile, c'est probablement parce que quelque part, on a un peu honte d'être soi sans sucre ajouté et/ou qu'on veuille renvoyer une image edulcorée. C'est cela le véritable problème. Pas l'attente de l'autre. |
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